Gérard Israël : Israël peut et doit devenir la plaque tournante des relations entre juifs et chrétiens. La « réconciliation » (pour reprendre le concept employé par Benoît XVI lors de son voyage à Jérusalem) est en marche. Chrétiens et juifs ne se contentent plus du « dialogue fraternel » ou de « compréhension mutuelle ». Un processus nouveau est engagé qui se traduira par la reconnaissance d’une « filiation » historique et spirituelle entre les deux religions. Le voyage de Jean Paul II en 2000 avait marqué par une demande de pardon. Celui de Benoît XVI, imprégné du souci théologique, a été fondé sur cette dépendance du christianisme au judaïsme ; non pas bien sûr, d’un point de vue dogmatique ou religieux mais au regard de la transmission continuée d’une même inspiration. Dans son livre le plus récent, le pape écrit : « Jésus a révélé à l’humanité le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ; le Dieu d’Israël ». L’idée s’impose progressivement que sans le judaïsme, le christianisme serait incompréhensible.
Dans ce colloque, une attention particulière se portera sur les communautés chrétiennes qui vivent en Israël. Les aspects culturels, traditionnels, et sociétaux seront étudiés. Pour quelles raisons ?
Gérard Israël : Vivent aujourd’hui en Israël, environ 12000 Arabes chrétiens, 30000 chrétiens d’origine américaine ou européenne, 57000 Grecs orthodoxes, 68000 Grecs catholiques (Melkites), 6000 protestants…et même 7000 juifs messianiques ; soit au total 120000 chrétiens. La plupart d’entre eux contribuent éminemment au rapprochement initié par la déclaration Nostra Aetate (Vatican II) et la déclaration de Lauenburg adoptée par de nombreuses Eglises protestantes. Il conviendrait que ceux là soient tous portés, en Israël, par le mouvement de réconciliation et démontrent, précisément par la compréhension qu’ils ont de la religion d’Israël et au regard de la permanence de l’existence juive en Terre Sainte, que quelque chose de déterminant est en marche.
Sera-t-il également question du conflit israélo-palestinien et de ses implications ?
Gérard Israël : Les implications du conflit israélo -palestinien feront l’objet, dans un esprit réaliste, d’une réflexion commune. Disons sous ce rapport que le peuple israélien tout entier qui vit sur le lieu même de la naissance des deux religions, a vocation naturelle à s’associer pleinement, politiquement parlant, au mouvement actuel. Les chrétiens vivant en Israël, à la différence de ceux d’autres pays environnants, ne quittent pas le pays qui les accueille. Peut-être sont-ils, pour la plupart d’entre eux, porteurs d’une authentique volonté de dialogue.
Et la centralité de Jérusalem ? Cette question épineuse et si sensible sera-t-elle abordée et comment ?
Gérard Israël : Jérusalem symbolise par son histoire, par son paysage, par son architecture une convergence authentique des religions fondées sur la Bible. Ainsi la présence chrétienne en Israël devrait être confortée et bien assurée. Nous avons douloureusement ressenti le propos de Mgr Sabbah, patriarche latin de Jérusalem, qui au moment de quitter ses fonctions, a déclaré : « Etre peu nombreux en Terre Sainte fait partie d’une vocation pour la bonne raison que Jésus y est venu, il y a deux mille ans, n’a pas été accepté et reconnu » (Le Monde 20 mars 2008) C’est le contraire qui est vrai. Certes entre la chute de Byzance en 1453 et quatre siècles plus tard, la guerre de Crimée (1854), l’Eglise a détourné son regard de la terre d’Israël, confirmant ainsi, par delà les croisades, le choix de Rome comme centre de la catholicité fait par les premiers Pères de l’Eglise. Mais aujourd’hui, il nous paraît que c’est un regard nouveau que les catholiques jettent sur la Ville Sainte. Les lieux d’études juives comme celui d’Abou Gosh ou de l’Institut Albert Decourtray ainsi que de nombreuses institutions catholiques, pratiquent l’hébreu, plongent dans les textes sacrés du judaïsme ; pas seulement la Bible, mais le talmud, le midrash et la cabale.
Qu’attendez-vous finalement de ce colloque ?
Gérard Israël : Le colloque organisé par le CRIF, en fin d’année 2009 , permettra de traiter des sujets essentiels, quelquefois non-conformistes, relatifs à l’existence chrétienne en Israël, de recueillir les témoignages, peut-être les inquiétudes, de chrétiens partageant la vie des Israéliens, de souligner la signification historique et spirituelle de la Ville qui abrita le Temple, résidence divine, que Jésus traversa avant de connaître le supplice et dans laquelle, aux yeux des chrétiens, il reviendra un jour. Cette Ville d’où Mahomet monta au Ciel. Aussi, seront mis en évidence la mystique juive de Jérusalem, la signification actuelle de cette Ville, au sein de laquelle se croisent tant d’hommes et de femmes semblant attendre que se produise le miracle espéré, pas seulement celui de la réconciliation entre juifs et chrétiens, mais celui de l’ouverture à un monde nouveau.
Propos receuillis par Marc Knobel
Photo (Gérard Israël) : D.R.