C’est par ce qu’il appelle la « question du lendemain », à savoir : « Si vous êtes élu, quelles décisions prendrez-vous au lendemain de votre élection », que le Grand rabbin Bernheim a commencé son exposé liminaire et défini ce que sont, selon lui, les deux axes qui constituent la priorité des priorités.
Il faudra, tout d’abord, dit-il, que le Grand rabbin élu soit le Grand rabbin des rabbins de France, sur le plan de la halakha et des questions sociétales. Il faudra que face à toute question, une équipe de juges et de Grands rabbins français puisse dire clairement la position officielle du rabbinat, sinon, chacun ira, selon son gré, consulter son « maître ». Pour éviter que le judaïsme soit atomisé, le judaïsme doit être présent dans la société civile. « Je veux être le Grand rabbin des Juifs devant la France ».
Deuxième axe : une importance à la mesure des enjeux doit être donnée à l’Ecole rabbinique. En coordination avec le futur président du Consistoire Central, il faudra faire de cet établissement un pôle de rayonnement du judaïsme orthodoxe en France, un centre de référence. « Le judaïsme orthodoxe doit s’ouvrir au monde. La société, dans son ensemble, ne doit pas être étrangère, voire hostile, aux rabbins ». Pour résumer, « il est important que le judaïsme de France soit à la fois celui d’une orthodoxie (terme que Gilles Bernheim corrigera un peu plus tard, à l’occasion d’une question, pour lui préférer celui d’orthopraxie) rigoureuse et celui d’un judaïsme qui donne à penser à tous avec une image positive, intelligente et rigoureuse ».
Une série de questions-réponses a suivi cet exposé. Combien y a-t-il d’étudiants à l’Ecole rabbinique ? Actuellement dix, mais ce n’est pas le nombre, mais la qualité et la sélection qui comptent.
Faut-il interdire le tabac ? Le Grand rabbin propose de multiplier dans les salles communautaires des panonceaux d’avertissement, mais, plus sérieusement, il considère qu’inciter les Juifs à la pratique du sport tout en étudiant la Thora est peut-être plus indiqué. Plus grave est la question du pamphlet qui circule sous la signature de Yehiel Brand à propos de l’ouvrage du Grand rabbin écrit avec le cardinal Barbarin. Tout cela est hors sujet, hors propos et dangereux pour le dialogue judéo-chrétien.
Que faire pour les petites communautés qui végètent et ne sont pas visitées ? « Il faut favoriser la province. Le Grand rabbin de France devra d’abord être celui de la province ».
Pour ce qui est d’un éventuel rapprochement avec les différentes facettes non consistoriales du judaïsme français : libéraux et massortis, avec les problèmes adjacents des enfants issus de mariages mixtes et du danger de l’assimilation, Gilles Bernheim s’est voulu parfaitement clair. Dans la lignée de l’un de ses maîtres, Joseph Dov Soloveitchik qui connut à ce propos une expérience personnelle très désagréable, il considère qu’il ne saurait, en la matière, y avoir d’initiative personnelle: toute position devra être celle de l’unanimité du rabbinat. Il ne faut pas confondre la forme et le fond. En tout état de cause, Gilles Bernheim se déclare fondamentalement opposé à la vision libérale du judaïsme.
Le droit des femmes, les violences conjugales, la douloureuse affaire concernant le Grand rabbin Krief de Bordeaux. Ce dernier sera-t-il, malgré l’instruction judiciaire le concernant, l’un des 303 votants pour l’élection du Grand rabbin ? Tout en se retranchant derrière un secret professionnel qu’il assimile à celui des médecins ou des prélats catholiques, Gilles Bernheim n’en dévoile pas moins quelques incongruités du système : il n’existe aucun texte explicatif, il y a des gens qui votent sans savoir pourquoi ils sont électeurs, la liste des votants varie de semaine en semaine, on découvre dans le listing des personnes décédées depuis des années.
Le Consistoire réintégrera-t-il le CRIF en cas de victoire du Grand rabbin Bernheim ? Réponse : « La place du Consistoire est au sein du CRIF, mais je dois d’abord étudier les motifs de la séparation »
Sur Israël, il s’oppose formellement au rabbin Melchior : « Jérusalem ne peut pas être partagée ». Cependant, dans la lignée du rav Botschko, il sera « fidèle aux décisions de l’Etat d’Israël ». Quant au retrait de Gaza, il n’a pas été bien expliqué et, finalement, quand on voit ce qui ce passe à Sdérot, il n’a rien apporté aux Israéliens : « La contrepartie du retrait n’est pas explicite à mes yeux »
Enfin, faut-il limiter le nombre de mandats du Grand rabbin ? Oui, dit Gilles Bernheim, qui se réfère à la mandature de dix ans du Grand rabbin d’Israël ou encore à celle du président du CRIF. « Le renouvellement est une nécessité ».
Photo : © 2008 Alain Azria