Le CRIF en action
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Publié le 28 Octobre 2004

Le Primat des Gaules : « Que la paix vienne sur Jérusalem ! »

A l’occasion de la réunion de l’Exécutif du CRIF à Lyon le 25 octobre 2004 en présence du Président Roger Cukierman, le Cardinal Archevêque de Lyon et Primat des Gaules Philippe Barbarin a écrit au CRIF. Il a appelé à « ne pas laisser l’oubli et la banalisation détruire les noms de ceux qui ne sont plus » et a souligné les avancées du dialogue judéo-catholique.



Il y a plus de vingt ans, le Cardinal Decourtray s’adressait à vous lors du quarantième anniversaire du CRIF. Depuis, des pages de l’histoire des relations entre catholiques et juifs se sont tournées, permettant un respect mutuel dans nos différences, et ouvrant les catholiques à une compréhension religieuse plus profonde des juifs dans le monde d’aujourd’hui.

Dans quelques mois, nous célèbrerons le soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. Nous ne devons pas oublier que cette libération fut bien tardive : non seulement la marche de la mort avait emmené la plupart des déportés, mais, plus largement, des millions de personnes juives, enfants, femmes, vieillards avaient été assassinés, tant dans les fosses communes à l’Est que dans les camps d’extermination.

Il faut bien sûr commémorer, pour ne pas laisser l’oubli et la banalisation détruire les noms de ceux qui ne sont plus, mais il faut se rappeler que l’antisémitisme n’est pas une pathologie comme une autre ; elle a conduit aux pires horreurs ! Sans l’antisémitisme d’avant-guerre en Europe, Auschwitz n’aurait, sans doute, pas pu exister ! Comme le rappelle souvent le Pape Jean-Paul II, l’antisémitisme est un péché contre Dieu et contre l’humanité. Nous devons le condamner sans cesse, mais veiller aussi, à ce que nos cœurs mêmes ne soient touchés ni par l’antisémitisme, ni par le racisme quel qu’il soit. C’est d’abord dans le cœur que l’homme se pervertit.

Je veux aussi, avec vous, rendre grâce au Seigneur pour la vitalité des communautés juives à Lyon, et plus largement dans le pays. Combien d’écoles, combien de yeshivot, de cercles d’étude, de mouvements de jeunes ne peuvent que faire l’émerveillement d’un homme de foi. Je me suis, moi-même, rendu en janvier dernier à un symposium à New York entre une vingtaine de rabbins des grandes yeshivot du monde, notamment des pays de l’Est, et autant de cardinaux et d’archevêques.

J’ai découvert avec joie la richesse du patrimoine religieux juif, sa diversité et ce qu’il peut apporter au monde, en particulier par les œuvres sociales. A ce titre, puis-je me permettre de rappeler que c’est ici, à Lyon, que naquirent les Amitiés judéo-chrétiennes de France et, ici aussi, que juifs, catholiques et protestants ont décidé d’agir ensemble en faveur des plus pauvres et de l’humanisation de la cité.

Plus que jamais, le monde attend de nous, dans un grand respect, une coopération au service de l’homme, notamment en faveur des plus démunis, pour répondre au don de Dieu que nous avons reçu dans nos traditions différentes. Il ne s’agit plus simplement de dialoguer, de se comprendre, mais d’être fidèles pour les besoins de la société moderne. Partout où cette coopération effective est possible, à temps et à contre temps, il faudrait des hommes et des femmes de part et d’autre qui osent s’associer pour relever les défis de la société. Je sais que, par ailleurs, vous travaillez à établir des relations de confiance avec les communautés musulmanes de France, et je m’en réjouis, car si la haine et les conflits peuvent commencer dans le plus simple des quartiers, la paix, la fraternité et le respect doivent également prendre ce chemin.

Enfin, j’aimerais rappeler que nous avons su dépasser plus que des incompréhensions, des deuils, des humiliations accumulés pendant 2000 ans d’histoire. Nos retrouvailles et notre fraternité inespérée, portée par des hommes tels que le grand rabbin Jacob Kaplan et le Pape Jean-Paul II, ne peuvent que nous renouveler dans l’audace et l’espérance.

Qui aurait cru, il y a cinquante ans, qu’un pape catholique déposerait dans les fentes du kotel un acte de repentance au nom de l’ensemble de l’Eglise ? Qui aurait pu penser que les rabbins des yeshivot les plus orthodoxes de Brooklyn accueilleraient dans leurs schules seize archevêques et cardinaux venus du monde entier ? Qui aurait imaginé, à Lyon, il y a cinquante ans, que l’archevêque serait si bien accueilli à la grande synagogue, chaque année, pour la fête de Yom Kippour ? Qui peut aujourd’hui penser les actes de paix interreligieux qui surviendront demain ou après-demain ?

Pour cela, ancrés dans la confiance en ceux qui nous ont précédés et qui ont agi contre toute espérance, comme le fit Jules Isaac qui avait perdu sa femme et sa fille gazées à Auschwitz, nous ne pouvons que nous tourner ensemble vers demain, face à l’Eternel, ensemble avec les autres religions, afin d’aider les enfants de nos communautés à rendre grâce, dans cinquante ans, de ce qu’aujourd’hui nous osons à peine espérer.

Et puisque mon message vous parvient en ce jour, le 25 octobre 2004, je tiens à saluer l’initiative du président du CRIF, Monsieur Roger Cukierman, qui est intervenu afin que les catholiques ne soient pas blessés par l’utilisation d’images de Jésus et de Marie dans une campagne de presse. Cet acte courageux ne fait que révéler et renforcer, non seulement l’estime mais aussi le respect mutuel scellés entre nos deux communautés.

Que la paix établie entre nous porte des fruits et s’étende aux autres, qu’elle demeure d’abord en nos cœurs comme une condition de l’audace dont nous avons besoin pour aller de l’avant !

Que la paix vienne sur Jérusalem !

Philippe Barbarin

Cardinal Archevêque de Lyon

Primat des Gaules