Le CRIF en action
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Publié le 24 Janvier 2011

Le cri de la maman de Gilad Shalit : C’est mon enfant !!!

Traduit de l'hébreu en français par Daniel Ohnona (Paris)




« C’est mon enfant, le premier souffle auquel j’aie donné vie, que mon corps ait engendré, que j’aie respiré et aimé.



Le son de sa voix ne m’a jamais quittée de ces vingt dernières années, depuis l’instant précis où il est venu au monde et jusqu’à notre dernière conversation téléphonique : « Maman, je rentre à la maison, tu entends ? » Et comment que je t’entends, mon enfant, et très clairement, comme ton tout premier cri.



J’entends encore tes lamentations la nuit quand tu étais bébé… Tu ne me laissais aucun répit. Je m’allongeais à tes côtés et te réconfortais. Lorsque tu as été malade pour la première fois, j’étais effrayée comme une petite fille, alors qu’il ne s’agissait que d’une simple grippe.



Le jour de la rentrée des classes, je t’ai accompagné au cours préparatoire, et ce jour-là tu m’as fait promettre que je serais là pour venir te récupérer après la classe. Je me suis exécutée et pendant toutes les années qui ont suivi, jamais je n’ai manqué à ma promesse.



J’ai placardé tes dessins d’enfant sur le réfrigérateur, et jusque sur les murs de la cuisine, juste pour que tu saches qu’ici c’est ta maison. Ici, avec moi, parmi ces vieux dessins. Sans parler des souvenirs encore plus anciens…



Tu as grandi trop vite, devant mes yeux vieillissants et fatigués. Le jour de ta Bar-Mitsva, j’ai brusquement réalisé à quelle allure insensée tu avais poussé, et à cet instant précis, j’étais la maman la plus fière du monde.



Puis tu es devenu un jeune homme modèle, charmant et intelligent. « C’est mon enfant », me disais-je alors avec fierté. « Oui, c’est mon enfant. »



Lorsque tu as commencé à sortir avec les copains, tu emportais avec toi à chaque virée une partie de moi-même. Je t’embrassais chaudement et te recommandais d’être prudent. « Ne t’inquiète pas, Maman, disais-tu, je suis un grand garçon. »



Mais rien n’y faisait. Si je m’éveillais la nuit, je dirigeais instinctivement mon regard vers la montre. « Où peut-il bien être ? » Je restais alors là à attendre ton retour. Pourvu simplement que tu me reviennes sain et sauf. Et ce n’est qu’au moment où me parvenait ce bruit caractéristique de ton corps s’affalant de tout son long sur le lit que je savais que tu étais rentré à la maison, auprès de moi. Je pouvais enfin fermer l’œil sereinement.



Le jour où tu as décroché ton permis de conduire, que tu as commencé à emprunter la voiture, je priais systématiquement pour qu’il ne t’arrive rien, que le véhicule n’aille pas dans le ravin, qu’on ne te percute pas et que tu évites de prendre le volant à chaque fois que cela n’était pas indispensable. Et sur ce plan-là, tu ne m’as jamais déçu : tu es à chaque fois revenu sain, entier et heureux de vivre. Je m’enivrais de ton sourire, même si j’en payais le prix fort par l’éternelle anxiété et les nuits sans sommeil. Au moins j’avais la certitude que tu ne manquais de rien.



Les battements de mon cœur se sont accélérés le jour où, à 17 ans, tu as répondu à ton premier appel militaire. Tu en es revenu épanoui, gratifié d’un potentiel physique élevé : la fierté illuminait ton visage. La nuit qui a suivi, je n’ai pas fermé l’œil. Je priais pour que tu ne t’engages pas dans une unité combattante, que tu ne serves pas dans une zone dangereuse. Je t’ai imploré, mais tu n’as pas écouté mes prières. Tu disais vouloir protéger ta patrie. Mais ce n’est pas la patrie qui t’a élevé. C’est moi qui t’ai élevé ! Moi seule !



Depuis ce jour où tu as refermé la porte derrière toi pour te rendre à la base de recrutement, tout à ton émotion de servir la patrie, j’ai commencé à compter les jours qui te sépareraient de moi avant que tu me reviennes. Chacun des Chabbatot où tu es rentré, j’ai rendu grâce au Ciel, juré de fréquenter la synagogue et d’observer la totalité des 613 Mitsvot, et de remercier l’Eternel de m’avoir rendu mon fils. Mais, à chaque fois, ces serments sont restés sans effet, happée que j’étais par l’urgence de laver et repasser tes uniformes et la préparation de tes repas…



Ce jour sombre où ont retenti trois coups secs frappés à la porte, j’ai tout de suite compris que quelque chose n’allait pas. J’ai ouvert la porte en implorant le Ciel de ne pas y trouver les personnes qui — précisément — se trouvaient là : deux hommes en uniforme flanqués d’un infirmier. L’un d’eux, ton commandant, m’a serré la main avec vigueur. Je n’ai pas eu besoin d’entendre ce qu’il avait à me dire. La nuit qui a instantanément envahi mes yeux et comme bloqué mes artères me faisait comprendre que quelque chose clochait. Quelque chose était arrivée…



Au journal télévisé on a montré des photos de toi.



Et moi j’étais là, prostrée, en pleurs. Je suis allée à la synagogue. J’ai prié. Jusque dans mon sommeil agité et confus, je prie pour que tu reviennes…



C’est mon enfant. Mon enfant, kidnappé à Gaza.



Mon enfant, qui peut-être ne reviendra pas… »



Photo : D.R.