Le CRIF en action
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Publié le 23 Juillet 2007

Les Milles: devenir un mémorial pour demain

La « Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français, et d'hommage aux Justes de France », a été commémorée officiellement ce 22 juillet au Wagon-souvenir des Milles à l’occasion du 65e anniversaire des rafles dites du Vel d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, qui ont abouti à la déportation à Auschwitz, via Drancy, de 12 884 juifs, parmi lesquels des vieillards, des femmes et des enfants.


Un mois plus tard eurent lieu les déportations de la zone dite libre, y compris à partir du camp des Milles.
Cette cérémonie au Camp des Milles prend un relief particulier à deux jours d’une réunion financière sur le futur Mémorial des Milles, en présence de Me Serge Klarsfeld. Il s’agit désormais d’assurer la qualité et l’attractivité de cet équipement, qui est celle de l’outil éducatif et culturel voulu au cœur du projet.
Après le dépôt de gerbes et la lecture des noms de la centaine d’enfants déportés des Milles vers Auschwitz, Me Sidney Chouraqui, ancien résistant, engagé volontaire de la France Libre, évoqua « cette histoire terrible, ces drames, ces courages et ces sacrifices ». Il rappela le discours de Jacques Chirac reconnaissant le rôle de l’Etat et repris il y a deux jours par le Président Sarkozy. Il souligna que « si Pétain et si certains de nos compatriotes ont déshonoré notre pays, d’autres au contraire ont été fidèles à ses valeurs humanistes fondamentales ». Il termina par un appel pressant aux autorités :
« Le Mémorial des Milles se fera, grâce aux efforts de chaque partenaire, que nous tenons à remercier. Mais ce qui se joue maintenant, c’est de savoir s’il aura les moyens financiers d’être un véritable « Mémorial pour demain » qui présente l’histoire, qui présente les lieux, mais aussi qui aide à faire comprendre et à être vigilant…
Ai-je besoin de dire que nous, les anciens, après avoir si longtemps attendu, nous avons été attristés, et même choqués, par les hésitations et délais qui ont marqué le rassemblement des fonds nécessaires à l’investissement pour conserver ce seul camp français encore intact ? Comme nos amis de l’Amicale des déportés d’Auschwitz, nous adjurons tous les partenaires, et l’Etat en premier rang, de faire en sorte qu’une telle situation ne se reproduise pas maintenant pour le rassemblement des moyens de fonctionnement. Ce serait à l’honneur de chacun d’y veiller.
Nous aurions alors enfin la paix en sachant que ce lieu de mémoire aura les possibilités matérielles de vivre, de témoigner après notre départ, et d’éclairer les jeunes générations. C’était le vœu le plus cher de tant de nos camarades disparus, morts pour la France ou, tout simplement, pour une autre idée de l’homme. »
Après cette allocution prononcée au nom des anciens déportés, internés et résistants de l’Association du Wagon-souvenir des Milles, eurent lieu plusieurs brèves prises de parole.
Au nom de la communauté juive, Me Jacky Ayache évoqua le terreau antisémite séculaire et rappela que « plus un peuple a de passé plus il doit avoir de mémoire ».
Puis M. Susini prit la parole au nom de la Ville d’Aix-en-Provence et lut un message de Mme Revcolevschi au nom de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, rappelant l’importance du témoignage et celle du futur Mémorial des Milles.
Enfin, M. Fornari, au nom du Préfet, rappela fortement que « rien, hélas, ne laisse supposer que l’infâme ne se reproduira pas ».
Rappelons que le Camp des Milles fut le principal camp d’internement, de transit et de déportation de la région sud-est, et reste le seul camp français encore intact. Il vit passer 10 000 internés, dont 2 500 hommes, femmes et enfants juifs déportés.
Allocution de Maître Sidney Chouraqui, co-Président de l’Association du Wagon-souvenir et du Site-Mémorial des Milles
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs les représentants des autorités civiles, militaires et religieuses,
Mesdames et messieurs les représentants des associations,
Messieurs les porte-drapeaux des organisations patriotiques,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,
Je parle ici au nom de l’Association du Wagon-souvenir et du Site-Mémorial des Milles et de ses deux autres co-présidents, mes amis Denise Toros-Marter, déportée à Auschwitz à 15 ans, et Louis Monguilan, résistant déporté à Mauthausen.
Nous commémorons aujourd’hui, et dans toute la France, le souvenir des crimes racistes et antisémites de l’Etat français ; et nous rendons hommage aux Justes de France.
Même si l’antisémitisme et le racisme de l’Etat français de Pétain ont été permanents même s’ils ne se sont pas limités aux rafles dites du Vel d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, suivies un mois plus tard par les déportations de la zone dite libre, y compris à l’endroit où nous sommes, il demeure que les rafles du Vel d’Hiv ont pris une importance symbolique dans notre mémoire nationale…
- d’abord parce qu’elles ont abouti à la déportation à Auschwitz, via Drancy, de 12 884 juifs, parmi lesquels des vieillards, des femmes et des enfants ;
- d’autre part par ce qu’elles ont été réalisées par la police française.
Comme les déportations des Milles.
Ce fut l’honneur du Président Chirac de reconnaître enfin, en juillet 1995, au nom de notre pays, le rôle et la responsabilité de l’Etat dans ces arrestations et déportations. C’est à l’honneur du Président de la République actuel d’avoir repris cette déclaration avant-hier lors de sa visite au Mémorial de la Shoah, en ajoutant que "Nous ne pouvons, nous ne devons pas oublier".
Jacques Chirac avait déclaré : « la France est à jamais inconsolable de la faute inexpiable de l’Etat français ».
Oui, notre pays doit en effet être « inconsolable » de la participation de certains de ses fils au génocide des juifs, qui lui avaient pourtant donné, depuis le IVe siècle, d’innombrables preuves de leur attachement, de leur dévouement et de la volonté de servir la France, sur les champs de bataille comme dans le rayonnement de ses lettres, de ses arts et de ses sciences.
Coupable, l’Etat français, coupable Pétain. Et ce d’autant plus qu’ils avaient été prévenus du sort réservé aux juifs. Ainsi, parmi tous les témoignages et rapports reçus, le Consistoire Central écrivait-il dans un courrier aux autorités dès le 25 août 1942 :
« Ce n’est pas en vue d’utiliser les déportés comme main d’œuvre que le gouvernement allemand réclame (les juifs), mais dans l’intention de les exterminer impitoyablement et méthodiquement. Nous avons des informations précises et concordantes sur les massacres de milliers d’israélites …en Europe orientale. »
On le sait à présent, environ 6milions de juifs ont été exterminés, parmi lesquels un million et demi d’enfants. Un million et demi d’enfants…Effroyable !
A quoi se sont ajoutés, on le sait, les massacres de tziganes et d’handicapés, l’exécution des résistants, la persécution des intellectuels et des opposants et tant d’autres horreurs.
Que j’ai découvertes pour ma part avec mon unité de la division Leclerc, lorsque nous libérâmes le camp de concentration de Landsberg, l’un des camps de Dachau.
Mais si Pétain et si certains de nos compatriotes ont déshonoré la France, d’autres au contraire ont été fidèles à ses valeurs humanistes fondamentales. Ce sont tous les résistants, de toutes convictions politiques ou religieuses ; ce sont ceux qui, comme de Gaulle, ont immédiatement réagi contre la collaboration et ses infamies ; ce sont les « Français libres », qui ont rejoint ce symbole de la vraie France. Beaucoup d’entre eux étaient des engagés volontaires juifs, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, comme mon confrère et ami Max Guedj, reconnu par tous les aviateurs comme l’As des as de l’aviation alliée.
Les résistants, ce sont bien sûr, et au premier rang, ceux qui, « au péril de leur vie », ont sauvé des milliers de juifs et en particulier des enfants, devenus parfois aujourd’hui des savants ou des artistes qui font l’honneur de la France. C’est pour eux que l’Etat d’Israël a créé le beau titre de « JUSTES PARMI LES NATIONS ».
Ces Justes ont enfin été honorés officiellement en France, d’abord par l’inauguration l’an dernier d’un « Mur des Justes de France » au Mémorial de la Shoah à Paris, ensuite en les faisant entrer au Panthéon le 18 janvier dernier où une plaque leur est consacrée, et enfin en attribuant la croix de la Légion d’honneur à leurs 160 survivants.
Nous ne devons pas oublier cette histoire terrible, ces drames, ces courages et ces sacrifices. Mais, on l’aura compris, ce n’est pas par quelque volonté de repentance stérile. C’est pour que les jeunes générations comprennent comment cela peut arriver, en Allemagne, en France, partout. Comment on peut se laisser prendre dans des engrenages qui mènent au gouffre. Mais aussi comment on peut y résister, parfois par un simple geste qui sauve.
Vous le savez, c’est l’objet du projet de Mémorial des Milles.
Ce Mémorial se fera, grâce aux efforts de chaque partenaire, que nous tenons à remercier. Mais ce qui se joue maintenant, c’est de savoir s’il aura les moyens financiers d’être un véritable « Mémorial pour demain » qui présente l’histoire, qui présente les lieux, mais aussi qui aide à faire comprendre et à être vigilant ; s’il aura les moyens de fonctionnement.
Ai-je besoin de dire que nous, les anciens, après avoir si longtemps attendu, nous avons été attristés, et même choqués, par les hésitations et délais qui ont marqué le rassemblement des fonds nécessaires à l’investissement pour conserver ce seul camp français encore intact. Comme nos amis de l’Amicale des déportés d’Auschwitz, nous adjurons tous les partenaires, et l’Etat en premier rang, de faire en sorte qu’une telle situation ne se reproduise pas maintenant pour le rassemblement des moyens de fonctionnement. Ce serait à l’honneur de chacun d’y veiller.
Nous aurions alors enfin la paix en sachant que ce lieu de mémoire aura les possibilités matérielles de vivre, de témoigner après notre départ, et d’éclairer les jeunes générations.
C’était le vœu le plus cher de tant de nos camarades disparus, morts pour la France ou, tout simplement, pour une autre idée de l’homme.