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Cette journée d’études - la première du genre - a créé l’évènement en rassemblant quelque 500 personnes venues d’horizons divers. Aux équipes du Crif et du Centre Yavné se sont joints le grand rabbin de Bordeaux, Hay Krief, et le grand rabbin honoraire Claude Maman, des pasteurs de l’Eglise réformée et des représentants de la communauté musulmane, des politiques, le recteur d’académie, des historiens, des médecins, des thérapeutes mobilisés par le souci de soutenir les enfants et les familles frappées par les génocides, juifs et non juifs, Arméniens de Bordeaux, représentants de la franc-maçonnerie Aquitaine, jeunes et retraités… il s’est passé, dans la ville qui vécut en direct le procès Papon, quelque chose d’essentiel, témoignant à la fois de l’immense appétit de savoir chez les jeunes générations et de l’ouverture des esprits à ce que la culture juive contemporaine peut proposer au « grand public » : un partage du savoir, une réflexion sur l’histoire, une même envie de renforcer les moyens de tenir en respect l’intolérance et l’obscurantisme.
Huit conférenciers venus de France et d’Israël pour huit heures de travaux suivis avec passion. Enfants massacrés dans la déportation massive des Arméniens par le pouvoir turc en 1915, enfants assassinés dans l’entreprise de négation collective voulue par les nazis, enfants disparus dans le grand massacre tutsi au Rwanda en 1994…trois visages d’une barbarie humaine qui a laissé derrière elle des familles torturées par un deuil impossible et touchées par les effets de ce trauma au fil des générations. L’historien Georges Bensoussan a souligné la volonté nazie de détruire toute possibilité d’avenir pour le monde juif en assassinant les enfants : « Là est la signature du génocide, dans cette acharnement qui fait aujourd’hui de l’enfant un objet d’histoire en tant que tel… ». Le récit apporté sur la tragédie des enfants d’Izieu par Pierre Kukawka (politologue mais aussi spécialiste de l’histoire des Juifs en Rhône-Alpes) a apporté sa dimension humaine à cette analyse et Boris Cyrulnik – par la clairvoyance de ses analyses et la chaleur de ses propos- a fait passer dans l’assistance un formidable message de vie en réponse aux tragédies qui ont tenté de la nier : « Chercher à comprendre, en explorant les récits et les documents, peut nous permettre ensuite de produire une nouvelle manière de vivre ensemble ». Parmi les autres moments forts qui ont marqué cette journée, il faut citer l’intervention de l’historien Yves Ternon sur la genèse des génocides au cœur des guerres modernes - retour vers l’horreur en Arménie, présentation rigoureuse de la montée génocidaire au Rwanda. « L’auteur du crime génocidaire, a rappelé Yves Ternon, est un humain comme les autres, mais pétri par une propagande installant en lui la certitude obsessionnelle que tel Autre est devenu pour lui une menace vitale et qu’il est donc légitime de l’éliminer ; sans se sentir coupable puisque l’on se croit alors en état de légitime défense… » Autre voyage avec le père Patrick Desbois racontant avec rigueur ce que ses enquêtes de terrain depuis six ans en Ukraine ont permis de mettre à jour : la réalité des massacres de centaines de milliers de juifs par les Nazis en Europe de l’est avec une réquisition massive des enfants pour creuser les fosses, avant d’y être à leur tour abattus. Suivirent les fortes paroles de la psychanalyste israélienne Yolanda Gampel étudiant les effets produits par un génocide sur les générations qui en sont les héritières, entre pulsions de mort, contraintes tyranniques dans les familles et pulsions de soumission…Passant en revue ce qu’elle appelle « les stratégies de défense identitaires », la psychothérapeute et enseignante Nathalie Zajdé a montré ensuite pourquoi des enfants « héritiers du silence », après les souffrances des parents, ont perdu leurs repères : « pour ceux-là, être juif est parfois devenu trop compliqué ». Revenant à Bordeaux, sa ville natale, pour ce colloque, Boris Cyrulnik a parlé avec le sens pédagogique qu’on lui connaît pour rappeler pourquoi la nécessaire transmission d’une Histoire à ce point cruelle suppose des « passeurs », qui ne soient pas trop proches de leur public et soient capables de faire entrevoir « la belle indécence du bonheur ». Auteur de la récente anthologie de textes écrits par les « enfants du génocide, Catherine Coquio était là aussi pour une journée très dense, conclue en musique avec deux concertistes de l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine et par un lumineux retour vers le Talmud avec Hervé Rehby.