Le CRIF en action
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Publié le 8 Février 2010

Mémoires d’une marocaine juive patriote

Le magazine Internet marocain lopinion.ma publie, lundi 8 février 2010, un entretien avec Nicole Elgrissy Banon, auteure de « La Renaicendre – Mémoires d’une marocaine juive patriote ». Extraits :




L’Opinion: Pourquoi un tel livre aujourd'hui ?



Nicole Elgrissy Banon: Ce livre est un cri du cœur surtout vers ceux qui se sont exilés, j'ai voulu que ces gens admettent que ça fait 42 ans qu'ils sont partis par peur, à cause de la rumeur. Après la guerre de 1967, celle de 1973, la guerre du Golfe, rien ne s'est passé de ce qu'on leur avait raconté. Reconnaître cette erreur c'est le minimum d'hommage que les Marocains juifs devraient rendre à leurs Rois qui les avaient toujours protégés. Le Maroc est un cas d'école unique dans le monde pour ce qui est de la coexistence confessionnelle entre juifs et musulmans pour former un seul peuple, une seule nation, une culture riche de sa diversité et ses différences.



Le chti c'est quoi au juste ?



Ce que j'appelle le chti c'est ce langage marocain judéo-arabe, un mélange d'hébreu, de berbère et d'arabe. J'ai emprunté ce nom du titre d'un film intitulé «Bienvenue chez les chtis», un film français sur la vie dans un village où les habitants communiquent par une langue à eux, du patois. Cette langue que j'appelle chti c'est la darija marocaine version juive avec de l'humour juif riant dans le drame. On dit chez nous «ktrat lhamm kaddhhak» (trop de soucis fait rire). Cette langue a été plus ou moins conservée même au sein des familles juives marocaines expatriées pendant des années en Israël ou au Canada. Suzanne, une de mes tantes s'était expatriée à l'âge de 50 ans. Comme elle était restée seule on lui faisait peur en lui disant que des musulmans allaient l'attaquer chez elle et la tuer. Elle a fini par céder à la peur pour partir au Canada. Elle n'avait pas de formation particulière pour trouver du travail, elle était assistante dans un cabinet médical à Casablanca. Pour survivre, elle s'est retrouvée en train de garder des enfants à Montréal comme baby-sitter. Quand elle voulait faire dormir l'un des enfants, elle ne pouvait s'empêcher de lui chanter en arabe. Des enfants dont la langue maternelle est l'anglais ! Sa complainte qu'elle chantait c'est «awili awili alach mchit min lmaghrib?»



Vous parlez avec beaucoup d'humour de femmes juives marocaines qui s'étaient exilées en France, qui ne connaissaient pas le français et qui avaient des difficultés à communiquer avec le marchand de légumes du quartier.



J'ai décrit des scènes très vraies. Il s'agit de Marocaines juives analphabètes qui n'avaient jamais été à l'école. Grosso modo, on avait deux catégories de personnes, il y avait ceux qui habitaient Place Verdun ou derb Linglize (quartier des anglais) du Mellah, pour prendre l'exemple de Casablanca, ceux-là parlent darija uniquement et il y avait ceux qu'on appelait les «raffinés» ou «nass lfinou» qui habitaient boulevard Mohammed V et rues limitrophes, rue Tahar Sebti, Lalla Yakout et autres, c'étaient les gens imprégnés par le Protectorat. Ceux-là, tout en parlant la darija comme langue maternelle étaient parfaitement francophones.
La darija, le judéo-arabe marocain urbain, était le propre de toutes les catégories sociales de la communauté juive. Aujourd'hui en 2010 en Israël, la deuxième génération de Marocains parle encore la darija quand ils sont en famille…



Photo: D.R.