La désastreuse « solution finale » dont le nom me brûle les lèvres quand je le prononce, et tous ses corollaires, dont le port de l’étoile est le plus tristement célèbre, et les chambres à gaz leur criminel aboutissement, ont été les conséquences de cette conférence.
A partir de ce jour allait commencer pour des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards, un voyage sans retour.
Les dates tragiques se multiplient.
En France la première rafle –celle dite du « billet vert » - fut organisée à Paris au printemps 1941. Nous venons d’en célébrer le 70ème anniversaire.
Mais dans l’histoire de la déportation des juifs de France, la date du 16 juillet résonne encore plus fort que les autres.
Ce jour là, allait s’abattre la Grande Rafle sur les juifs de Paris, quelle que soit leur origine, leur condition sociale ou leurs opinions.
Le Vel d’Hiv de sinistre mémoire, allait déverser son lamentable troupeau à Drancy, d’où, par Bobigny il partirait pour Auschwitz.
Cette affreuse noria Rafle- Drancy-Pithiviers-Beaune La Rolande - Auschwitz venait de se mettre en mouvement.
Plus de 13 000 juifs de Paris et de la banlieue, dont 2 916 femmes et 4 115 enfants, étaient arrêtés au cours de cette « chasse aux juifs » dont les victimes impuissantes furent parquées ici avant d’être déportées vers les camps de la mort.
N’oublions jamais que le gouvernement de Vichy se mit avec zèle au service de l’occupant, surtout lorsqu’il s’agit d’imposer à la population juive, juifs étrangers d’abord, juifs français ensuite, les mesures d’oppression allant du tampon « juif » sur les cartes d’identités au port obligatoire de l’étoile jaune, en passant par toutes sortes de brimades morales, juridiques et d’interdictions professionnelles.
Puis vinrent les camps d’internement dont le plus célèbre a pour nom Drancy, mais aussi Pithiviers - Beaune La Rolande
C’est là que plus de 70 000 juifs allaient être déportés vers les chambres à gaz et les fours crématoires.
Aujourd’hui, 69 ans après, nous nous recueillons en mémoire de ces victimes innocentes qui furent les cibles privilégiées du régime hitlérien et de ses complices.
Mais il ne faut pas oublier non plus que, s’il y eut la France collaboratrice et la France résistante, il y eut aussi la grande majorité de la France indifférente.
C’est cette immense masse d’indifférents qui rend toujours possible les pires excès, à l’éducation et à l’information de laquelle il nous faut veiller sans cesse.
Pour que le mal s’installe, il suffit que les gens de bien se taisent.
Bien sur et heureusement, il faut rappeler ici l’action de il ces milliers de français, Justes parmi les Nations, qui, loin d’être indifférents au sort des juifs, sauvèrent la vie de tant et tant des nôtres.
Bien que tout retour à de semblables abominations semble inimaginable, il y a un danger qui semble permanent, c’est celui du racisme et de l’antisémitisme, ce dernier prenant une tournure de plus en plus agressive. Nous nous devons de le dénoncer sans cesse en invitant avec la dernière énergie nos gouvernants à les combattre sans relâche.
C’est aussi en mémoire de ces victimes que nous avons l’obligation de dénoncer avec force chaque acte antisémite commis dans notre pays. Nous en comptions plus de 400 pour la seule année 2010.
Même si l’action des pouvoirs publics, en particulier Police et Justice, est constante, ces actes sont encore trop importants, car au-delà des chiffres et des statistiques, ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui souffrent et restent traumatisés.
Depuis plusieurs années l’antisémitisme prend aussi des formes plus subtiles allant de la négation du génocide, qui tend à réhabiliter les coupables, en passant par un retour à l’éducation du mépris et la justification du racisme s’appuyant sur des théories pseudo scientifiques.
Enfin, se déchaîne une incroyable campagne de délégitimation d'Israël, dont l’une des pires caractéristiques est un intolérable abus de vocabulaire créant une honteuse tentative d’amalgame.
Oui, il est scandaleux d’employer les mots de Génocide, holocauste ou encore ghetto de Varsovie pour parler de Gaza !!
Oui, les appropriations de langage sont tout simplement scandaleuses et inacceptables !!!!
La cérémonie de ce matin revêt pour nous une importance primordiale, car elle nous place face à face avec l’histoire et nous remet en mémoire des faits tels qu’ils ont été et non déformés par la haine et les passions politiques.
Non plus jamais cela !!
Plus d’hommes réduits au rang d’animal à cause de la couleur de leur peau, de leur religion ou de leurs opinions politiques.
Les appels des mères qui s’élevèrent de ces lieux, il y a 69 ans, les pleurs des enfants nous interpellent.
Ces enfants qui auraient pu à leur tour éclairer l’humanité en devenant musiciens, chercheurs ou écrivains.
Ces enfants ont été anéantis, comme l’ont été avec eux les enfants et petits enfants, qu’ils auraient eu, si des criminels n’avaient pas également interrompu le cours des choses.
Dans très peu d’années, il n’y aura plus de survivants pour témoigner, mais nous serons là pour commémorer.
Je mesure la responsabilité historique qui est celle de ma génération : elle se trouve située entre celle qui a vécu la Shoah dans sa chair, elle a pu entendre les témoignages directs des survivants, et précède la génération de ceux qui ne connaîtront personnellement aucun survivant.
N’oublions pas et portons témoignage devant les hommes de ce que furent les atrocités commises par la barbarie hitlérienne et renouvelons sans cesse le solennel engagement de tout mettre en œuvre pour que les conditions qui les ont permises ne se reproduisent jamais.
Permettez-moi enfin de conclure mon propos par une citation de Jorge SEMPRUN qui nous a quittés il y a quelques semaines, citation qui résonne aujourd’hui comme une sorte de testament:
« Quand tous les témoins, déportés résistants, auront disparu, bientôt, dans quelques années, il restera encore une mémoire vivante, personnelle, de l’expérience concentrationnaire, une mémoire qui nous survivra et c’est la mémoire juive.
Le dernier homme à se souvenir, bien après notre mort, sera un de ces enfants juifs que nous avons vus arriver à Buchenwald, en février 1945, évacués d’Auschwitz, ayant miraculeusement survécu au froid, à la faim, à l’interminable voyage en wagons de marchandises, souvent découverts, pour témoigner au nom de tous les disparus, les naufragés et les rescapés, les juifs et les goys, les femmes et les hommes. Longue vie à la mémoire juive … »
(Discours du vice-président du CRIF Ariel Goldmann à Paris le 17 juillet 2011)
Photo : © 2011 Alain Azria