Le CRIF en action
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Publié le 17 Avril 2007

Nous avons cru quitter Auschwitz, mais nous y sommes toujours !

Compagnon de captivité de Simone Veil, Paul Schaffer n’a pas pu participer à l’hommage qui lui a été rendu le 12 avril par la FMS. Nous publions son texte, dans lequel il rend hommage à celle qui « incarne magnifiquement la mémoire de la Shoah »


Chers amis !
A travers vous Monsieur le Président de la FMS, je salue toutes les personnalités présentes, en m’excusant de ne pas les nommer individuellement.
L’invitation que vous avez reçue, précise:
« Soirée en l’honneur de Madame Simone Veil »
Pour moi, et je suis très ému, c’est la jeune fille que j’ai connue que je veux évoquer: Simone Jacob, Matricule 78 651, celle qui a précédé Madame Simone Veil et dont je suis restée, depuis notre retour des camps, l’ami fidèle dont elle parle si souvent. C’est aujourd’hui, à mon tour, chère Simone, de parler de notre amitié et de ce que tu as toujours été pour moi.
Demain, 13 avril, 63 années, se seront écoulées depuis sa déportation.
Je tiens à évoquer cette année passée dans le camp où je l’ai rencontrée
Sans pour autant oublier l’hommage dû à tous ceux qui ont été assassinés et dont il ne reste que les cendres.
En quittant la quarantaine de Birkenau, la Kapo Stenia, chef du camp, réputée pour sa cruauté, répartissait dans différents commandos, des dizaines et dizaines de femmes. S’arrêtant devant Simone, elle lui a dit: « tu es trop belle et trop jeune pour mourir ici. Je vais t’envoyer à Bobrek, un petit camp à quelques km de Birkenau où la vie sera moins dure pour toi!»
Sans hésitation, avec aplomb, Simone lui a répliqué: «à condition que ma mère et ma sœur puissent se joindre à moi! »
Une telle remarque, impensable dans ce contexte, valait généralement à l’auteur une sévère punition. A la surprise des déportées présentes, cette femme réputée pour sa brutalité, probablement stupéfaite par tant d’audace, a accepté la condition qu’elle venait d’entendre!
C’est donc au travers d’un grillage, un jour du mois de mai 1944, qu’Yvonne Jacob, sa mère, Milou, sa sœur et Simone sont arrivées avec quelques autres femmes au camp de Bobrek où je me trouvais depuis 2 mois déjà.
J’étais impressionné par la dignité qui se dégageait de sa mère et de ces deux jeunes filles.
Mon regard s’est attardé sur Simone, d’une beauté rayonnante aux yeux d’un bleu limpide. J’ai tout de suite eu un sentiment d’affection pour elle, qui me rappelait aussi ma jeune sœur, déportée et gazée dès son arrivée à Auschwitz.
Simone ne pouvait pas passer inaperçue et parmi les jeunes hommes qui se trouvaient dans ce camp privilégié, elle représentait tout ce qui manquait : la beauté, la tendresse, la force aussi, la vie envers et contre tout.
Le merveilleux regard de Simone, exprimait, en effet, une farouche volonté de survivre, une autorité naturelle, et l’espoir qui reste quand il n’y a plus rien à espérer.
Ceux qui partageaient la même volonté de résister coûte que coûte, trouvèrent en elle un précieux encouragement. Tenter de survivre était l’unique arme que nous possédions, tout en sachant le sort qui nous était réservé. Mais nous savions que chaque minute de vie gagnée sur la mort, rapprochait aussi nos bourreaux de la défaite.
Le 18 janvier1945, Auschwitz ainsi que les camps satellites furent évacués. Commença alors l’horrible marche de la mort pour des dizaines de milliers de déportés, se traînant péniblement sur les routes enneigées par -25 à-30°. Ceux qui ne pouvaient plus suivre étaient achevés. Les survivants, après 70 km de marche, sont arrivés épuisés à Gleiwitz. Le jour suivant, entassés dans des wagons à ciel ouvert le train nous a amenés à l’intérieur de l’Allemagne.
De cette période, trop longue à décrire, je veux simplement affirmer que sans l’aide de Simone, sa mère et Milou n’auraient pu survivre, particulièrement durant les quelques mois où elles sont restées à Bergen-Belsen, dernière station de leur calvaire. Et, Simone le sait, tous ceux qui, comme moi, avons connu sa mère, gardent d’elle le souvenir d’une femme qui, comme ces êtres supérieurs dont parle Primo Lévi, ne fit jamais aucune concession à la morale, en dépit des circonstances inhumaines dans lesquelles nous nous trouvions.
Pour ma part j’ai échappé à cette dernière épreuve du camp de Bergen Belsen, ayant sauté du train peu après Gleiwitz.
C’est à Bergen-Belsen en mai 1945 que furent libérées, Milou et Simone. Cette liberté retrouvée, fut marquée d’une très grande tristesse: leur mère venait de mourir du typhus un mois plutôt. Simone très attachée à elle était effondrée. A leur retour en France, c’est en vain qu’elles espéraient voir revenir du camp leur père et frère. Mais par bonheur, Denise, leur sœur aînée, héroïque résistante a survécu à Ravensbrück.
Puis ce fut le retour. Après ses études elle épouse Antoine et devient celle, au parcours exceptionnel que vous allez honorer aujourd’hui.
Simone Veil aurait pu être tentée d’oublier, se désintéresser de la Shoah, mais suivant les valeurs que lui a léguées sa mère, elle reste fidèle à son passé et incarne magnifiquement la mémoire de la Shoah. En fait, chaque fois que nous nous rencontrons, depuis toutes ces années, nous parlons, bien sûr d’abord des choses de la vie mais nous finissons toujours par revenir au camp: nous avons pu survivre, nous avons cru quitter Auschwitz, mais en fait, nous y sommes toujours.
Ma chère Simone, nous admirons ton inlassable dévouement et acharnement pour défendre toutes les justes causes. Nous te sommes reconnaissants et t’honorons particulièrement pour l’image que tu donnes en permanence des survivants.
Merci pour ton indéfectible amitié.
PAUL SCHAFFER