Le CRIF en action
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Publié le 22 Juillet 2010

«Nous étions rongés par la vermine. Quand on avait des patates, c’était la fête»

Texte lu par Bernard Klein et présenté par la présidente du CERCIL, Hélène Mouchard-Zay, concernant le sort des Tziganes internés dans le Loiret pendant la 2ème Guerre Mondiale, lors de la commémoration de la Rafle du Vel d'Hiv, dimanche 18 juillet 2010 à Orléans.




Une autre population a souffert de la double persécution des Allemands et de Vichy, sans être toutefois concernée par la rafle dont nos commémorons aujourd’hui le triste anniversaire. Il s’agit de ceux qu’on appelait à l’époque des nomades, et que Vichy nommait les indésirables. En France, la persécution prit essentiellement la forme de l’internement.
Dans le Loiret, à Jargeau, un camp en a interné des centaines (1200 environ, dont au moins 700 enfants), de mars 1941 à décembre 1945.
Les conditions de détention y furent extrêmement dures : familles (car ce sont des familles qui sont internées) entassées dans des baraques mal chauffées, meublées de châlits garnis de paillasses ; sous-alimentation chronique, hygiène très défectueuse. Des épidémies, de rougeole et de typhoïde, et des cas de diphtérie se déclarent. De nombreux décès « pour misère physiologique » sont constatés par les médecins.



« Nous étions rongés par la vermine, chaque jour on nous donnait 250 gr de pain et 2 soupes de carottes ou des navets. Quand on avait des patates, c’était la fête. On passait notre temps à tuer les poux et l’hiver on brûlait les planches des baraques pour se réchauffer… ». Ainsi témoignait J.L Bauer, qui y fut interné, et qui se battit toute sa vie pour qu’enfin soit reconnue cette persécution qui, on le sait, a été elle aussi, en Allemagne, un génocide.



Une lettre témoignera de cette souffrance.



Jargeau, le 16 juillet 1945
Je soussignée, Joséphine Dourlet, femme Duville, internée au camp de Jargeau, Loiret, avec 7 de mes enfants, à Monsieur le Directeur général du camp.
Monsieur le Directeur général,
Depuis près de 5 ans, je suis internée avec mes enfants. Je connus plusieurs camps, quant à celui de Jargeau, je le connais depuis le 18 janvier 1945. Mon mari, Jean Duville, est prisonnier en Allemagne, son dernier camp fut Buchenwald, et il avait comme numéro : 58409BLOD16. Depuis près de 2 ans, je n’eus des nouvelles de lui, et bien dernièrement, par des nouveaux revenus d’Allemagne, j’appris que mon mari était mort mais est-ce bien officiel ?
Vous devez connaître ma peine, Monsieur le Directeur, et ce que je ne vous ai pas dit c’est que j’ai bien un fils, revenu de là-bas aussi, il serait paraît-il dans la Sarthe et n’ose pénétrer ici pour m’embrasser dans la crainte d’être retenu au camp.
La grâce que j’ai à vous demander, Monsieur le Directeur général, c’est de me fournir les éléments nécessaires pour enfin connaître la libération, que je puisse donner une vie nouvelle à mes enfants qui s’anémient dans ce camp.
Je vous promets tout, Monsieur le Directeur général, conduite bonne et exactitude dans le travail qui me sera confié, ainsi qu’à mes enfants.
Dans la démarche que je forme auprès de votre haute honorabilité, veuillez agréer, Monsieur le Directeur général, mon plus profond respect.



Le camp de Jargeau ne fut pas, comme Pithiviers et Beaune-la-Rolande, un centre de transit, une « antichambre des camps de la mort », mais plutôt un centre d’isolement de longue durée pour les individus jugés « indésirables » par les Allemands et le régime de Vichy.



Les internés ne furent libérés qu’en décembre 1945.



Photo : D.R.