Le CRIF en action
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Publié le 6 Janvier 2012

On ne peut pas écrire n’importe quoi

Le mercredi 4 janvier 2012 le quotidien marseillais « La Provence » a publié un article en première page. Le titre était : « Ces Marseillais rois de l’arnaque à la TVA. Des centaines de millions d’euros détournés sur le marché des droits à polluer. Les suspects se sont réfugiés en Israël ». Dans le corps de l’article, on pouvait lire que « l’arnaque à la TVA est devenue une spécialité du milieu juif ».



A la suite de la publication de cet article, Michèle Teboul présidente du CRIF Marseille-Provence a écrit au journal la lettre ci-dessous :



« Soyons clairs, si nous déplorons, condamnons avec force des comportements délinquants et inexcusables, nous ne pouvons qu'être heurtés par des parti pris, des expressions qui confinant aux dérapages émergent tout au long de cet article.



L'arnaque à la TVA "spécialité du milieu juif": de quel milieu parle t'on ici ? S’agit-il de milieu dans le sens de mafia ou bien d'un milieu ethnico religieux? L'ambigüité de cette phrase nous interpelle pat la stigmatisation quelle peut entraîner ! Stigmatisation que d'autres avant les juifs ont eu à subir ces derniers temps!



L'auteur de cet article remonte aux frères Zemmour, aux affaires du Sentier ! Est ce à dire que la délinquance juive est si rare qu'il faille ressortir les antiquités du crime ? Ou alors procède t'on ici à une espèce de filiation et pourquoi pas pire : une organisation inscrite dans le temps avec son pendant de ramifications, de conspirations? Sinistre évocation enfin rassembler des délinquants et les présenter comme une "petite communauté ".Les mots ont un sens et peuvent avoir des effets miroir que nous rejetons!



Bien sur, les faits restent les faits mais l'ensemble des juifs marseillais et français n'ont pas à être amalgamés à des personnes qui devront rendre des comptes à la justice.



Les hommes et les femmes qui forment notre communauté comme toute autre sont des travailleurs, des employés, des retraites, des chômeurs et tout l éventail du tissu social français y compris dans ses déviations ! Humain tellement humain!!!! ».



Philippe Minard, le directeur de la rédaction a fait la réponse suivante : « J'ai lu avec la plus grande attention votre texte suite à notre article consacré à l'escroquerie à la TVA. Bien sûr les mots ont un sens, et loin de nous la pensée de désigner à la vindicte telle ou telle partie de la communauté marseillaise. La rédaction est particulièrement attentive et sensibilisée à la vie des communautés en général, à la votre en particulier. A aucun moment, en racontant ce fait divers peu banal, nous n'avons amalgamé l'ensemble de votre communauté, à ces délinquants professionnels. Nous avons évoqué le "milieu juif", comme nous aurions évoqué le "milieu corse", le "milieu parisien", le " milieu russe". Le milieu, comme le précise le dictionnaire, est un ensemble de personnes en marge de la loi, qui vivent de trafics illicites. En ce sens, il y a de fait des milieux dans toutes les communautés, avec c'est vrai, des spécialités. J'ajoute que le journaliste qui a écrit cet article, a toujours été un fervent défenseur des droits et des libertés, et votre Conseil a pu le vérifier à plusieurs reprises. Votre texte ne peut à mon sens constituer une réponse, en ce sens que le fait dénoncé n'est pas avéré. Il pourrait devenir une précision suite à l'utilisation d'un mot que nous avons interprété différemment. Mais je crains que cette précision attire défavorablement l'attention sur un problème non ressenti par la communauté dans son ensemble ».



Ce vendredi 6 janvier 2012, le président du CRIF Richard Prasquier et Michèle Teboul ont envoyé le courrier suivant à Philippe Minard : « Votre réponse au texte qui vous a été envoyé par la Présidente du CRIF Provence nous laisse pour le moins perplexes.



Ce n’est pas seulement à Marseille que l’article incriminé, par les termes utilisés, les ambiguïtés et les sous-entendus qu’ils véhiculaient a profondément choqué le « milieu » juif. Votre recherche dans le dictionnaire sur le sens de ce mot a été bien partielle: doit-on considérer, quand on lit l’expression « dans le milieu médical » que l’on se réfère uniquement aux médecins « qui vivent en marge de la loi »? Et lorsque vous écrivez dans la Provence, « dans les milieux politiques…. » doit-on en conclure que vous ne parlez que des hommes politiques mis en examen?



Evidemment non. Vous parlez alors d’éléments représentatifs de l’ensemble d’un groupe d’individus. C’est pourquoi, en lisant l’expression de « milieu » juif, c’est la communauté juive entière qui s’est sentie pointée du doigt et stigmatisée.



Ce n’est pas tout. Vous écrivez qu’évoquer le milieu juif, c’est comme évoquer le milieu corse, le milieu parisien ou le milieu russe. Pouvez-vous nous indiquer combien de corses, de parisiens ou de russes ont dans le passé été agressés, pourchassés, voire assassinés à la suite de telles allégations ?



Les accusations de comportements criminels portées à l’égard des Juifs ont conduit à de multiples reprises à des pogromes et à des assassinats. Il n’y a pas si longtemps, dans notre pays même, des journaux se faisaient une spécialité de décrire la « criminalité juive ». Nous n’en sommes heureusement plus là, mais le temps n’est pas encore venu où les blagues sur les juifs auront la même saveur soi-disant ( ?) innocemment folklorique que les blagues sur les corses ou les belges.



Vous auriez réfléchi à deux fois avant d’écrire par exemple que telle ou telle violence à l’encontre des femmes serait caractéristique du « milieu musulman » et vous auriez eu mille fois raison de vous abstenir de le faire. Car toute stigmatisation d’un groupe à partir des actions criminelles de certains des individus de ce groupe est un appel à la haine. En ce qui concerne les Juifs cela porte le nom d’antisémitisme.



Sartre a écrit que quand on est volé par un fourreur qui se trouve être juif et qu’on proteste en disant que tous les juifs sont des voleurs, alors que l’on pourrait aussi bien dire que tous les fourreurs sont des voleurs, on fait le choix de l’antisémitisme. Votre article, en incriminant le « milieu juif » a emprunté cette direction. Peut-être l’a-t-il fait par mégarde, mais cela méritait alors au moins des excuses. Nous ne les avons malheureusement pas trouvées dans votre réponse. Peut-être n’est-il pas trop tard. »



Photo : D.R.