Mesdames et messieurs, bonsoir
Nous sommes réunis ce soir pour rendre un hommage régional aux Justes des Nations, plus particulièrement aux Justes de notre région Aquitaine. Nous sommes ici pour vous présenter le livret que le CRIF Sud Ouest Aquitaine a réalisé sous la direction de Hervé Rehby, malheureusement absent aujourd’hui, livret coordonné et mis en forme par Hellen Kaufmann, à qui je donnerai la parole dans quelques instants, et avec l’aide précieuse et sans limite de Nathan et Josiane Holchaker.
Pendant que l’idéologie barbare de l’Allemagne policée conduisait les Juifs d’Europe vers l’extermination pure et simple, comme un remède dément à tous les maux dont la planète soufrait, des hommes et des femmes isolés, sans formation préalable, sans empathie particulière pour les Juifs, vont dire non à cette logique absurde et sauver ceux qu’ils rencontreront au gré du hasard et des opportunités.
Entrés dans l’Histoire de la deuxième guerre mondiale et dans l’Histoire de l’Humanité, les Justes des Nations sont la fierté du genre humain. La connaissance et la reconnaissance de leurs actes bien que tardive n’en est pas moins profonde et irréversible. Sans eux, beaucoup de juifs ne seraient plus là, et leurs noms se seraient rajoutés à la liste interminable des six millions de victimes juives du nazisme, auxquelles il faut rajouter les tziganes, les handicapés mentaux entre autres sacrifiés sur l’autel de la barbarie policée du IIIème Reich.
Il fallait un vrai lieu de mémoire pour ces Justes des Nations, dénommés ainsi conformément à une ancienne tradition talmudique, pour qualifier les hommes et les femmes qui, de par le monde, ont une conduite éthique et travaillent pour le bien de l’Humanité. Il fallait que ce lieu soit aussi celui de la mémoire de la Shoah, pour que l’on puisse comprendre le lien naturel qui lie les deux phénomènes d’extermination et de sauvetage. Il n’y aurait pas eu de Justes, de sauveurs s’il n’y avait pas eu d’hommes à sauver, s’il n’y avait pas eu de destruction et d’extermination. Tout en poursuivant ses efforts pour retrouver les criminels nazis de la Shoah et les juger, Israël entendait retrouver pour les honorer ceux qui avaient agi, en conscience, selon l’expression d’Hervé Rehby paraphrasant Hannah Arendt, ceux donc qui avaient agi contre la « facilité du mal ».
On eut évidemment préféré que tout cela fût un mauvais rêve. Mais la réalité de l’Histoire est incontournable.
Ce lieu de mémoire, de la mémoire double de la Shoah, se trouve à Jérusalem et se nomme Yad Vashem, représenté ce soir par Mme Corinne Melloul, responsable du département des Justes au Comité Français pour Yad Vashem, honorée du prix Zakhor pour la Mémoire 2007, qui nous fait l’honneur d’être parmi nous ce soir et qui pourra répondre à quelques unes de vos questions.
Le travail inlassable de Simone Veil, et la sensibilité particulière de Jacques Chirac ont conduit le précédent chef de l’Etat à reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des juifs de France. Il faut saluer, en point d’orgue de ce long parcours de mémoire et de reconnaissance, l’acte fondateur de Jacques Chirac d’avoir fait entrer les Justes de France au Panthéon le 18 Janvier 2007, et dont nous fêteront le premier anniversaire dans 3 jours.
A Simone Veil qui proclame à l’endroit des Justes : « Vous avez obéi sous le coup d’une exigence non écrite qui primait toutes les autres. Vous n’avez pas cherché les honneurs. Vous n’en êtes que plus dignes. » ; le chef de l’état, dans un long discours empreint d’émotion et de gravité, lui répond : « La majorité des Juifs assassinés a été livrée aux Allemands par Vichy et par les collaborateurs. Mais la plupart des Juifs sauvés le furent par des Français qui sans s’interroger, font le choix du bien. Tous connaissaient les risques encourus : l’irruption brutale de la Gestapo. L’interrogatoire. La torture. Parfois même, la déportation et la mort. ….». S’adressant à ces héros de l’ombre, il déclare : « certains furent reconnus Justes parmi les nations. D’autres resteront anonymes, soit qu’ils aient laissé leur vie en aidant l’autre, soit que, dans leur modestie, ils n’aient même pas songé à faire valoir leurs actes. »
Portant, bien plus qu’une reconnaissance formelle, l’hommage de la France à ses Justes illustre une permanence jamais démentie depuis la révolution française : l’amour de la Justice conduit immanquablement à la Liberté et à la Fraternité entre tous les hommes, sans distinction aucune.
En Aquitaine on compte actuellement 225 Justes des Nations reconnus par l’institut Yad Vashem en Israël. D’autres dossiers sont en cours de validation. Le temps a permis de débloquer certains rouages psychiques. Les témoins vieillissants parlent pour notre plus grand bonheur.
Nous avons désiré au CRIF Aquitaine faire un travail de compilation des témoignages et des notices biographiques des Justes de notre région. Pourquoi ce travail ? Pourquoi maintenant ?
Tout d’abord rendre hommage aux Justes, leur dire la gratitude de ceux qu’ils ont sauvés et l’estime de tous les juifs pour avoir accompli ce geste d’humanité maximal parce qu’élémentaire : sauver, préserver la vie d’autrui, quel qu’il soit. En se focalisant plus particulièrement sur les Justes de notre région, c’était bien le moins. L’action d’Aristide de Sousa Mendes pour sauver en masse des juifs à Bordeaux a marqué, à juste titre, la mémoire régionale. Son action ne fut pas isolée. Il s’avère que des centaines d’hommes et de femmes de bonne volonté ont fait plus modestement, à leur mesure, acte de Justice et de charité envers les juifs traqués et qui traversaient notre région à la recherche d’une improbable planche de salut.
Toutefois, en démarrant ce travail de recherche, il nous est vite apparu que Yad Vashem ne possédait pas de fiches à jour détaillées pour tous les Justes de notre région. Il était important de combler cette lacune du fait même de notre ancrage dans la région. A cet égard, le travail patiemment accompli par Hellen Kaufmann est tout simplement remarquable et restera un modèle du genre, dont profitera aussi Yad Vashem.
Nous espérons qu’à la lecture de ces fiches, d’autres personnes, encore de ce monde ou leurs descendants, oseront franchir la frontière du silence et apporter à leur tour leur précieux témoignage. Il y a encore beaucoup de Justes qui ne se sont pas manifestés. Certains resteront muets à jamais, estimant n’avoir fait preuve que de civisme ou de probité morale. D’autres se diront peut-être que parler permettra de tisser à nouveau un lien indéfectible entre sauveur et sauvé. Voilà un de nos souhaits.
Cette publication répond aussi à la volonté du CRIF Aquitaine de participer à l’effort d’information, de connaissance et de transmission pédagogique auprès des générations futures, des élèves du secondaire et des étudiants. Trop peu de nos jeunes concitoyens savent l’existence de ces Justes, et seule une infime partie d’entre eux a entendu parler des actes de sauvegarde d’adultes ou d’enfants juifs, promis à la mort certaine par le régime nazi, et par des lois discriminatoires édictées en France par le régime de Vichy. Cette plaquette prétend combler en partie ces lacunes de la transmission historique.
Cette étude est très certainement un complément utile et positif dans les dispositifs pédagogiques de lutte contre le négationnisme et le révisionnisme, devenus aujourd’hui les antichambres historiques pour la promotion d’un antisémitisme raisonné et donc acceptable. Nos enfants doivent être élevés dans les valeurs de fraternité et d’humanité qui seules présagent d’un avenir meilleur.
Enfin, ce travail ne pouvait être fait qu’en 2007, année dédiée aux Justes de France que la volonté présidentielle a donc fait entrer au Panthéon pour l’éternité. Nous caressons l’espoir que cette initiative fera des émules, et que l’on publie ce même type de travail sur les Justes des Nations des autres régions de France.
L’essentiel, on peut le lire sur la charte de Yad Vashem : « Reconnus ou non, les Justes incarnent le meilleur de l'humanité. Tous considèrent n'avoir rien fait d'autre que leur métier d'homme. Ils doivent servir de phares aux nouvelles générations »
Merci à tous les Justes qui ont bravé intempéries et autres vicissitudes de l’hiver pour être avec nous ce soir, et merci à la Libraire Mollat de nous accueillir.
Nous vous invitons à découvrir cette nouvelle plaquette du CRIF Aquitaine, à la faire lire à votre entourage, et à la donner sans réserve à vos enfants pour que les générations nouvelles sachent et perpétuent le souvenir des Justes des Nations.
Je voudrais laisser le dernier mot à Georges Bensoussan, Historien de la Shoah : « les Justes ne furent pas des héros. Simplement des êtres pensants…Ils campent pour l’éternité leur statut d’être humain. »
Je vous remercie de votre attention