L'entretien, auquel assistaient des hauts fonctionnaires russes, parmi lesquels le ministre des Affaires Etrangères, Serguei Lavrov, s'est déroulé dans le faste et le décorum du Kremlin: grande table nominative, cabine de traduction, plusieurs équipes de cinéastes. Des séquences ont été présentées sur les télévisions russes.
Après une première présentation par le Président Poutine, Moshé Kantor a exposé les objectifs du CJE pour faire face aux problèmes du judaïsme européen : promotion de l'éducation ; lutte contre l'antisémitisme ; harmonisation des législations européennes dans ce domaine ; nécessité de faire connaître les événements tragiques de l'histoire juive et notamment de la journée commémorative de l'Holocauste du 27 janvier, dont la Russie a signé le principe, mais sans y prévoir d'activité spécifique.
En tant que vice-président du CJE, Richard Prasquier a pris la parole, en concentrant son intervention sur l'Iran. Le président du CRIF n'avait pas dans ce cadre, a-t-il confié à la newsletter du Crif, de légitimité à faire la leçon sur la technique nucléaire, des réflexions géopolitiques ou des marchandages économiques, d'autant que le Président Sarkozy était venu le jour précédent présenter la position française. « Ce qui me restait », poursuit Richard Prasquier « était un cri d'alarme personnel »: l'Iran n'est pas un pays comme les autres, parce que ses gouvernants obéissent à une logique d'avènement messianique dans la tourmente; de la même façon, Hitler était mû par une logique de suprématie raciale. Ces logiques ne sont pas les nôtres; à l'oublier, notre rationalité ne peut que s'aveugler sur des espoirs de paix et les compromis illusoires...
Pour le président Poutine, il n'existe pas de preuves formelles que les Iraniens cherchent à développer un armement nucléaire: peut-être veulent-ils seulement montrer qu'ils seraient capables de le faire, a-t-il déclaré à la délégation juive. C'est pourquoi les informations de l'AIEA sont précieuses et il faut continuer de lui donner les moyens de travailler, pense-t-il. Malgré tout, les signes existent que les Iraniens sont très près de fabriquer du matériel fissile en quantité suffisante pour une bombe, tellement près que, sanctions économiques ou pas, nous aurons du mal à les en empêcher. La reprise d'activités à Bousheir (livraisons russes de combustible) devient de ce fait sans conséquence. Mais en même temps, la Russie s'oppose fortement à la possession par l'Iran d'armes nucléaires, ne serait-ce que parce que certaines villes russes seraient aussi dans le périmètre de frappe des missiles iraniens déjà développés....
Donc un discours strict sur les dangers de l'arme nucléaire iranienne (curieusement le risque de prolifération aux mains de groupes islamistes hostiles à l'intérieur de la Russie ou sur ses confins n'a pas été signalé). Mais aucun détail sur les moyens de contrer ce danger.
Pas vraiment rassurant.....
En ce qui concerne l'antisémitisme, Vladimir Poutine s'est déclaré écœuré par ses manifestations, qui devraient, dit-il, être punies avec la plus grande sévérité. Il en exonère pratiquement les Russes, "trop souvent persécutés par les peuples voisins", pour attaquer violemment les Baltes (notamment les Lettons), les Ukrainiens de la révolution orange ou les anciennes républiques musulmanes de l'URSS comme trop complaisants à l'égard des résurgences de ce fléau. Et, pour en montrer l'amplitude et la diffusion, il a cité, les néo-nazis israéliens (sans indiquer que la plupart d'entre eux étaient d'origine russe....)
Il faut noter, a constaté Richard Prasquier, que le terme d'antisémitisme est presque toujours accolé par les Russes, quels qu'ils soient, aux termes de xénophobie et de néo-nazisme. Pour Poutine, la xénophobie contre laquelle il faut lutter est avant tout celle qui s'exprime contre les Russes. Quant au néo-nazisme, il réfère avant tout le souvenir de la "Grande Guerre Patriotique" (le conflit entre l'Union Soviétique et l'Allemagne entre 1941 et 1945) qui a fait vingt millions de morts du côté soviétique et laissé une empreinte indélébile dans la société: les six millions de Juifs exterminés par les nazis ont difficilement le droit dans ce cadre à un traitement mémoriel privilégié. En tout cas la haine du nazisme est consubstantielle à la conception du monde de Vladimir Poutine : les Juifs en sont pour lui aussi des victimes, sauvées d'ailleurs par les victoires de l'Armée Rouge.
En tout cas, contrairement à certains des interlocuteurs que les responsables du CJE avaient rencontrés les jours précédents, le développement en Russie des groupuscules extrémistes "antisémites, xénophobes et néo-nazis" a été tenu comme négligeable dans le discours présidentiel...
Au total l'impression d'un homme connaissant très bien ses dossiers, impressionnant par son énergie mais aussi par sa dureté. Sa vision du monde se fait au travers d'un prisme unique: la grandeur de la Russie, et pour la faire prévaloir, il utilise sans complexe et sans enrobage les rapports de force comme instrument d'action.
« Manifestement, un interlocuteur coriace », a pu constater Richard Prasquier.