Le CRIF en action
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Publié le 20 Octobre 2008

Prasquier : les exigences de solidarité ne doivent pas diminuer

Nous publions dans notre newsletter, le discours de Richard Prasquier, président du CRIF, à l’occasion de Yom Kippour, prononcé au Palais des congrès le 9 octobre 2008.


Chers amis,
Merci cher Claude Bloch et cher Rabin Williams de m'autoriser pour la deuxième fois à prendre la parole devant l'ULIF à Yom Kippour. Je salue par la même occasion mon ami Lucien Finel, ancien Président de l'ULIF et membre d'honneur du Comité Directeur du CRIF ainsi que les administrateurs de l'ULIF : j'en connais un certain nombre et j'ai beaucoup de plaisir à échanger avec eux dans des rencontres qui deviennent maintenant régulières.
L'ULIF a merveilleusement fêté l'an dernier ses 100 ans d'existence. Le mouvement libéral qui est discret par nature se trouve dans un monde où les pressions pour être au premier rang sont devenues une façon de faire trop habituelle. Mais je sais, et je pense que les autorités savent aussi, qu'il est une composante très importante et spécifique de la communauté juive de France et qu'il représente une sensibilité dont l'audience va très au-delà du nombre de lieux de culte qu'il contrôle directement.
Le CRIF a la charge de fédérer l'ensemble des sensibilités. Il le fait depuis le début de son existence en janvier 1944, dans la clandestinité, et l'angoisse d'une déportation qui menaçait aussi bien le Juif qui croyait, que celui qui ne croyait pas, ne croyait plus ou croyait autrement, celui qui parlait chez lui français, allemand, yiddish ou ladino, celui qui lisait la Gemara, comme celui qui lisait Racine, Karl Marx, Simon Dubnow ou Théodore Herzl. La très grande majorité des institutions juives de France font partie du CRIF, c'est-à-dire des Loubavitch et des libéraux, des Juifs séculiers et des Juifs orthodoxes, des Juifs dont la sensibilité est à gauche et d'autres dont la sensibilité est à droite, des Juifs qui pour Israël ne rêvent qu'à la terre, d'autres qui ne rêvent qu'à des traités et d'autres enfin qui rêvent aux deux en même temps. Travail d'ajustage délicat que celui du président, un attelage aux chevaux divergents, qui risque de verser de l'un ou de l'autre côté de la route. Et si on parvient à garder le droit chemin, la ligne de plus grande pente, comment éviter que la recherche du consensus ne provoque une langue de bois et une bouillie d'eau tiède? C'est là le secret du CRIF. Les avis peuvent diverger, mais on sait comment définir l'essentiel et comment s'y accrocher tous ensemble dans le respect de nos différences. Je tiens à ce que nous ne soyons pas d'accord car sinon comment connaître ce qui importe vraiment?
Au terme de cette journée, nous avons avec mes fils marché de l'oratoire de la rue Garnier de Neuilly à la synagogue orthodoxe de la rue Pavée, de la synagogue néoorthodoxe de la rue Montevideo à la salle consistoriale du Méridien, de la salle Bleue de ce Palais des Congrès utilisée par les Tlemceniens à la grande salle où nous sommes avec l'ULIF. Nous avons rencontré des Juifs, des Juifs dans leur diversité, des Juifs dans leur unité. J'aime cette variété, j'aime cette idée de marche, car la marche, en hébreu, c'est la halikha. Et ceux mêmes qui ne respectent pas toujours les mitzvot savent que ces jours de Tichri, ces jours qu'on appelle "jours redoutables", yamim noraim sont des jours où l'individu doit se mettre en marche, en marche vers lui-même, un meilleur lui-même, la halakha pour rayonner doit être mobilisée par la halikha...... Il ne faut pas brader ces journées. C'est un vrai privilège que de les utiliser à réfléchir sur ce qui fait sens dans notre vie et d'essayer d'en faire la boussole de nos actions futures.
La semaine dernière, à Rosh Hashana, dans une synagogue proche d'ici, le président me proposa de façon inopinée de "faire un discours". N'ayant rien prévu, je lui demandai ce qui souciait le plus les fidèles de sa communauté. Je pensais aux classiques habituels, la violence, l'antisémitisme, le gouvernement israélien, les mouvements terroristes et l'Iran. Je n'avais pas vraiment remarqué alors, plongé dans la bulle des soucis du CRIF la gravité des nouvelles économiques. Le président me répondit: ce qui préoccupe les gens? "la crise boursière". Que pouvais-je y faire? Mon ami et prédécesseur l'ancien banquier Roger Cukierman, aurait relevé le défi avec brio; encore que, avec ce que j'ai lu sur ces grands financiers, je me demande aujourd'hui si un médecin n'est pas de fait plus qualifié qu'un banquier pour analyser la pathologie des marchés......
Comment incorporer cette crise à un discours de Rosh Hashana: une évidence, le Shofar. La sonnerie majestueuse de la Tekia, la sérénité prospère, contrastant avec les hésitations entrecoupées de la Teroua et les halètements angoissés et spasmodiques des Chevarim, toute la vie est dans les sons du Shofar, avec ses hauts et ses bas, ses joies et ses tristesses; alors toute la Bourse y est probablement aussi, puisque tant de gens ont fini par penser que la Bourse, c'est la vie.......
La crise que nous vivons tous met le monde dans l'angoisse du lendemain. Dans ce monde où dans l'indifférence générale un enfant meurt de faim toutes les 5 secondes, une fois de plus les plus fragiles seront les premières victimes, ceux dont la survie économique dépend de leur emploi: les Juifs, dont la sociologie recoupe l'ensemble de la population française seront frappés de la même façon que les autres. Les exigences de solidarité ne doivent pas diminuer, sous prétexte que les temps ne sont pas faciles, car les besoins augmenteront. Il y en a qui auront perdu beaucoup mais qui ont la chance de ne pas devoir modifier fondamentalement leur vie dans ce qu'elle a de quotidien. Ce sont eux qui doivent penser aujourd'hui, surtout aujourd'hui à la solidarité, même et surtout si cela leur parait saugrenu.
La crise nous apprend aussi que rien ne nous est dû, que les privilèges matériels dont nous bénéficions ne sont pas obligatoirement destinés à nous accompagner toute notre vie. Nous sommes tellement habitués au malheur des autres et à notre propre prospérité que nous les croyons éternels. Nous avons perdu le sens du précaire. Beaucoup de nos parents ont appris dans les années d'angoisse que le malheur et l'injustice étaient une potentialité de la tragique histoire humaine, et notamment de l'histoire juive. Aujourd'hui il ne s'agit pas de survie, il s'agit d'argent. Pour ceux, beaucoup d'entre nous, qui ont au fil des années ont donné une place trop grande au paraître, au superflu ou à l'addiction technologique et où l'argent est devenu l'étalon unique de la réussite, c'est peut-être, sans vouloir jouer au moralisateur, l'occasion de reprendre pied et de penser aux fondamentaux, les valeurs qui doivent structurer notre vie et lui donner sens: mon père me disait toujours qu'il n'y a pas de poches dans le linceul mortuaire.
Bien sûr, il se peut qu’il y ait un volet spécifiquement juif à cette crise. Ici et là, on voit aujourd'hui apparaître des textes mettant en cause les Juifs, la finance juive et la manipulation sioniste. Le Hamas et Ahmadinedjad que l'on n'avait pas connus si soucieux de la bonne santé du système capitaliste se répandent déjà sur ce thème. Certains blogs et sites Internet également, notamment aux Etats-Unis, ce qui est beaucoup plus inquiétant. Car l'Histoire nous l'a appris, il n'est pas d'exemple qu'une grande crise n'ait pas eu sa tentative d'explication sous la forme du complot juif. Il en a été ainsi de la crise de 1929, dont une des lectures, fausse d'ailleurs, avait été le conflit entre le capitalisme traditionnel entre soi des vieilles familles wasp contre les nouveaux venus juifs, ne connaissant pas les bonnes manières et utilisant outrageusement la Bourse où chacun pouvait jouer. Sans parler évidemment des conséquences de la crise économique sur le développement d'un populisme où la dénonciation du juif a toujours été un excellent argument de propagande. Les démons du populisme antisémite risquent de se réveiller. Je pense qu'en France les barrières sont heureusement fortes, mais dans d'autres pays, y compris dans certains pays européens, c'est une hypothèse possible. Même après le tsunami sur Sumatra, il y a eu aussi des sites qui ont expliqué le développement du raz-de-marée par l'activité sous-marine de l'armée israélienne désireuse de détruire une île musulmane; et je ne parle pas ici des théories sur le complot juif du 11 septembre, beaucoup plus fréquemment diffusées que ce que l'on pense. La bêtise antisémite continue de se bien porter. Nous devons accentuer notre vigilance. Je note, M. le Rabbin que vous avez dit hier qu'on avait commenté devant vous l'attentat contre la synagogue en vous qualifiant, vous, de responsable....
Il y aura en 2009 un lieu où l'antisémitisme risque de se manifester sans retenue, mais non sans masque: la dénonciation d'Israël en sera comme d'habitude l'habillage. Ce lieu a été Durban en septembre 2001, ce sera Genève du 20 au 24 avril 2009. Retenez les dates, à l'époque du Yom haShoah. Ce sera Genève, ou Durban 2, la conférence de suivi organisé par le Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU et le Comité de préparation de cette conférence de suivi est présidé par la Libye, vice-président l'Iran, rapporteur Cuba, et dans le Comité bien d'autres pays aussi exemplaires que ces derniers en matière de Droits de l'Homme. Je vous renvoie à un récent et courageux article du Monde pour l'analyse de la situation des Noirs en Libye, le pays qui préside, je l'ai dit, le Comité préparatoire. Le Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU qui a remplacé l'ancienne commission et était censé apporter une amélioration s'est d'ores et déjà déshonoré en n'acceptant pas traiter les violations les plus flagrantes aux droits de l'homme et en focalisant de façon quasi unique ses critiques sur Israël.. Nous sommes donc très inquiets et le CRIF très vigilant à ce sujet. Nous suivons de près ce qui se passe et nous travaillons la main dans la main avec les ONG comme UN Watch spécialisées dans la surveillance de la préparation de cette conférence. D'ores et déjà, il est prévu d'organiser une soirée à Genève sur les Droits de l'Homme, la veille de l'ouverture de la Conférence, avec une vingtaine d'organisations juives et non-juives, de faire une réunion publique sur la Place des Nations Unies pour célébrer le Yom haShoah et une grande manifestation sur les thèmes de l'antiracisme, de l'antisémitisme et du soutien à l'Etat d'Israël dans un théâtre à Genève. Nous avons besoin du soutien de vous tous, de la sensibilisation des media et du monde politique. Tous ne comprennent pas que ce qui se passe dépasse l'anecdote, fût-elle anti-israélienne: c'est de la définition des valeurs dans le monde qu'il est question. Si ces valeurs sont définies par un vote où l'addition des vices crée mathématiquement les vertus, où l'avis du régime soudanais compte autant pour les Droits de l'Homme que celui du Royaume Uni, nous nous engagerons dans un monde où disparaîtra ce qu'a apporté la civilisation des Lumières qui est née dans le monde occidental et qui a régi jusqu'à maintenant, en se renforçant au fil du temps, notre vision des Droits Universels de l'Homme, votés il y aura 60 ans en décembre 1948. Le merveilleux René Cassin, qui y a tant contribué, doit se retourner dans sa tombe quand l'ONU commence déjà d'accepter que la critique des religions devienne interdite, ce qui réduit à un simulacre la liberté d'opinion.
Je ne voudrais pas terminer ce chapitre par une petite note d'optimisme: la nouvelle Haute Commissaire aux Droits de l'Homme, la sud-africaine, Navi Pillay a dénoncé le dimanche 5 octobre, en présence d'une délégation du CRIF, le comportement antisémite virulent de quelques ONG au cours de la Conférence de Durban 1.
L'Iran....La situation depuis l'an dernier n'a fait que s'aggraver. Même une équipe de parlementaires français partis ces jours-ci en Iran avec l'idée angélique qu'il faut parler à tout le monde, est revenue désabusée de son voyage. L'Iran poursuit son effort nucléaire, dont la finalité militaire n'échappe à personne, en particulier pas aux Etats du Golfe qui sont ses voisins inquiets. Ahmadinedjad ne ressemble guère à ces joueurs d'échecs de l'Union soviétique dont le froid et rationnel raisonnement a facilité une dissuasion efficace pendant les années de guerre froide. Un homme qui considère que la guerre nucléaire est un moyen de faire revenir le Mahdi plus vite n'obéit pas aux mêmes motivations de survie que la majorité des individus. Plus que beaucoup d'autres pays, la France a montré sa détermination à empêcher l'Iran de parvenir à l'armement nucléaire, mais pour l'heure le succès n'apparaît pas au rendez-vous. L'aggravation des sanctions économiques est probablement le seul moyen d'éviter la confrontation militaire que nous redoutons tous. Et de ce point de vue plusieurs pays ne jouent pas le jeu, y compris des pays européens comme l'Autriche et la Suisse.
J'ai déjà été long, et on n'a pas le droit d'être trop long surtout à un public de Kippour. En présence de Madame la ministre de l'Intérieur, que je salue, je voudrais dire que nous somme préoccupés par les récentes agressions du 19e arrondissement : elles dévoilent dans cet environnement une tension permanente qui pourrit la vie au quotidien de nombreux jeunes écoliers ou lycéens et qui est en grande partie liée à des représentations antisémites, élémentaires, imbéciles, vieillottes, mais bien incrustées et facilement mobilisables. Je tiens à saluer la réaction forte des autorités et leur implication au quotidien. Chaque action nécessite d'être analysée sans grille de lecture préétablie. S'il y a des emballements médiatiques, il y a aussi des contre-emballements: il y des agressions qui ne sont pas le fait de luttes entre bandes et il faut le reconnaître, ne pas se voiler la face devant des réalités désagréables, et l'antisémitisme est effectivement une réalité fort désagréable. Le CRIF est partie prenante des essais de prévention qui doivent s'associer en profondeur à l'inévitable accroissement de la présence policière et de la sanction judiciaire.
Quant à Israël, qui est toujours dans son soixantième anniversaire, je m'éloignerai de la complainte habituelle sur la fragilité de son système électoral et sur le cynisme d'une partie de la classe politique. Les attaques contre celle-ci n'ont d'ailleurs jamais manqué dans le passé et c'est peut-être cette visibilité et cette ouverture à la critique citoyenne qui est une des caractéristiques les plus précieuses de la démocratie israélienne. Une démocratie qui a accepté de livrer des prisonniers aux crimes particulièrement répugnants pour recevoir à leur place des cercueils...Une démocratie dont les succès en matière scientifique et culturelle sont exceptionnels. Une démocratie à laquelle nous devons souhaiter la paix. Une démocratie dont nous espérons que Gilad Shalit pourra bientôt être un des participants....
Je vous remercie. Bonnes fêtes.
Richard Prasquier
Président du CRIF