Le CRIF en action
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Publié le 21 Avril 2005

Un colloque sur les génocides « L’imprescriptible. Pourquoi nous n’arrivons pas à tirer les leçons de l’Histoire »

Dans un amphithéâtre de la faculté de droit de Nice, en présence de plus de 250 personnes, étudiants, universitaires et membres des communautés arménienne et juive, des historiens et témoins des génocides arménien, rwandais et de la Shoah étaient réunis le 18 avril 2005 dans un colloque organisé avec les mouvements de jeunesse juif et arménien, sous le patronage et avec la participation du conseil communautaire arménien et du Crif Sud Est.



La première partie de ce colloque a été consacrée aux aspects historiques et aux témoignages. Le modérateur du panel, Mr Kayadjanian, président du Conseil communautaire arménien a organisé un débat entre spécialistes de chacun des génocides : Jean-Baptiste Racine, professeur à la faculté de droit de Nice et M. Shabouh Gedik, rescapé, pour le génocide arménien ; Mme Michelle Merowka, Docteur ès anthropologie, et M. Charles Gottlieb, rescapé pour évoquer la Shoah ; M. Gaëtan Sebudandi, journaliste allemand et Mme Jeanne Uwinbabazi, rescapée du génocide des Tutsi du Rwanda et enfin Mme Mingot Tauran agrégée de lettres sur le génocide tzigane.

La seconde partie des débats modérés par Me Martine Ouaknine, Présidente du CRIF Sud était consacrée à la question : Pourquoi n'arrivons nous pas à tirer les leçons de l'Histoire ? sur laquelle sont intervenus Gérard Rabinovitch, philosophe et chercheur au CNRS, Robert Charvin, professeur de droit et doyen honoraire de la faculté et Yves Ternon, historien.

Le colloque a été présenté par des étudiants arméniens et juifs. Les témoignages entendus en première partie ont été très émouvants. Les rescapés ont exprimés leurs souvenirs avec les mêmes mots d'horreur, d'impuissance, de souffrance et d'incompréhension.

Me Martine Ouknine a ouvert la seconde partie des débats :

« Je suis présidente du Crif Sud Est et nous avons préparé ce colloque avec le comité Yad Vashem Côte d'Azur et l'UEJF.

Nous avons commémoré le 60ème anniversaire de la libération des camps et nous nous apprêtons à commémorer dans quelques jours, le 90ème anniversaire du génocide arménien qui a ensanglanté le peuple arménien en 1915. Le 1er génocide de l'histoire au 20ème siècle avec 1500000 morts qui aurait dû, par sa violence, marquer les esprits et montrer à quel point, notre humanité peut être balayée par la monstruosité humaine. Nous sommes réunis pour concevoir, fixer un enseignement à notre échelle et prévenir par la même, les générations à venir. Je suis très heureuse que le débat se situe dans une enceinte universitaire. Il importe que nous mobilisions nos énergies pour tirer les leçons du passé. Le génocide arménien doit être reconnu comme tel. Le peuple arménien est un peuple dont l'histoire est marquée par des vicissitudes, une succession de rejets et de massacres. Il n'en a pas moins su préservé sa part essentielle d'identité, de religion, et de culture. Nous qui avons subi la Shoah, mesurons le sens et la portée de la reconnaissance du génocide, du travail de repentance. Cela ne changera pas le passé, cela ne pansera pas les plaies, mais cela aura le mérite d'apaiser, de rendre justice aux victimes, de faire un travail de deuil, d'envisager un avenir meilleur.

En exterminant les juifs, c'est, comme l'a dit, Simone VEIL, c'est l'humanité entière qui a été assassinée dans le cadre d'un destruction planifiée et scientifique des juifs et tziganes par le gouvernement de l'Allemagne nazie.

Le « plus jamais ça », vœu fait par les survivants n'a pas été exaucé puisque d'autres génocides ont été perpétrés et notamment le massacre des membres de la population de l'ethnie Tutsi commis au Rwanda par les dirigeants de l'ethnie majoritaire Hutu.

La première partie du colloque a permis de relater dans quelles circonstances se sont déroulées le génocide arménien, la Shoah, le génocide rwandais, chacun dans sa spécificité, sans banalisation, sans enjeu politique, sans haine.

Il s'agit en seconde partie, à présent, de voir en substance pourquoi les génocides ne servent pas de leçon.

Nous considérons qu'il est de notre responsabilité de protéger l'intégrité de l'histoire en combattant les négationnismes et d'aider à ce que l'histoire serve de leçon. »

Pour Yves Ternon, le droit rend imprescriptible les génocides, mais la pensée aussi doit les rendre imprescriptibles. Le génocide est un évènement d'une excessive complexité, qui requiert l'aide de toutes les disciplines.

La spécificité de la Shoah réside dans le caractère paranoïaque de ceux qui en sont les auteurs, parce qu'il n'y avait pas la moindre responsabilité des juifs allemands, parce qu'on a radicalisé à l'extrême le fait d'être né juif, comme un danger vital pour l'Allemagne – il est devenu urgent de tuer la victime, car on en a eu peur.

Le génocide arménien tire sa caractéristique de son caractère politique, pas exclusivement raciste, il est le prototype des génocides.

Selon le Doyen Charvin, le monde doit intégrer toutes les victimes. Il faudrait étudier davantage les victimes que les bourreaux. Il faut aussi arrêter le débat sur le nombre des victimes, mettre un terme à cette querelle délirante des chiffres. Il faut aussi punir les complices et les commanditaires. Le sacré est à l'origine de la violence. C'est le relativisme qui permet d'échapper aux intégrismes. Nous avons un devoir de savoir davantage qu'un devoir de mémoire.
Le devoir est hypothéqué par le système éducatif de plus en plus technicisé. Notre société est sans projets, sans finalités précises aux valeurs techniciennes, ce qui est un risque pour l'avenir.

Gérard Rabinovitch a cité Sigmund FREUD pour évoquer le malaise de la civilisation, comme un signal d'incendie. Le « devoir de mémoire gave » comme disent les jeunes mais il est important.

Mais la mémoire c'est aussi la reconnaissance, se diriger aussi vers l'avenir "la convocation à penser avec et pour les victimes". Tous les témoignages sont les mêmes, les douleurs se disent dans le mot à mot, avec une identité de sujet profond, ce qui rend la concurrence des victimes absurde.