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Je rends hommage aux Résistants, aux anciens déportés, aux derniers témoins et à tous ceux, anonymes, dont le courage et la détermination ont concouru à vaincre la menace totalitaire. Car, comme l'a dit Madame Simone Veil, "face à la folie exterminatrice, face à l'horreur du système nazi, il y a eu l'amitié et l'humanité qui ont su résister. Ce sont les 2 faces des êtres qui ont été mêlés à cette monstrueuse entreprise."
Je salue l'action des Institutions, des enseignants qui, aujourd'hui, consacrent leur temps, leur énergie à mettre en oeuvre un travail rigoureux de Mémoire et d'Histoire - jouant, pour le Cercil, en particulier, le rôle d'une "sentinelle", éclairant notre passé et décryptant notre présent pour engager l'avenir.
L'Association Yad Layeled France a créé de nombreux outils pédagogiques alliant l'enseignement de l'Histoire de la Shoah dès le CM2 et l'éducation à la citoyenneté.
Certains, en France, se plaignent d'un "trop-plein" de commémorations, suscitant l'envie ou le rejet, en y voyant une marque de complaisance, un geste sans signification, ou même, d'un signe d'ethnocentrisme des Juifs de France.
Face à ces critiques, j'affirme la nécessité de ces moments de remémoration collective qui s'inscrivent dans la tradition juive nous enjoignant de nous souvenir et de transmettre, et dans la tradition républicaine de la France, empreinte du souci de justice, de vérité et de respect de la personne humaine.
La cérémonie qui se déroule chaque année autour du 16 juillet, a fait de cette Place de la République un lieu de Mémoire, un lieu pour se recueillir et réfléchir aux terribles évènements qui se sont produits si près d'ici, dans les camps de Pithiviers et Beaune la Rolande, après la Rafle du Vel d'Hiv, les 16 et 17 juillet 1942: 13.000Juifs, dont plus de 4.000 enfants y furent internés avant d'être envoyés, via Drancy, ou directement, dans le camp de la mort d' Auschwitz-Birkenau, pour y être assassinés.
Leur "crime", pour les nazis et leurs complices: être nés(Juifs).
Ce qui s'est passé là est l'un des épisodes les plus tragiques de notre histoire: la collaboration du gouvernement de Vichy à un crime sans précédent, la SHOAH, une "césure" dans l'Histoire (Hannah Arendt), l'anéantissement programmé de tout un peuple.
Face à un tel évènement, il nous incombe, non de tourner la page, mais de mettre en lumière le "comment" et le "pourquoi" de ce désastre inouï.
C'est un travail difficile, car nous sommes entrés dans le temps des mémoires courtes, de l'accélération de l'Histoire mondialisée, médiatisée où chaque évènement, chaque image, chasse l'autre et souvent l'efface.
Et puis, il y a la tentation de l'oubli, " le présent qui nous assiège de toutes parts et ne cesse de nous convier à l'oubli des choses révolues"(Vladimir Jankélévitch). La lassitude ou l'indifférence l'emportent chez certains.
Face à ces difficultés, j'affirme notre refus de l'oubli qui n'est que l'expression d'une dette envers tous ces disparus, sans sépulture, notre" volonté de savoir dans son système et son détail, ce qui a eu lieu... découvrir la politique de la barbarie"( Alain Finkielkraut), tout en sachant qu'il y aura toujours une part d'inconnu, quelque chose d'intransmissible qui nourrit indéfiniment notre volonté de savoir.
Le geste que nous accomplissons ici s'inscrit dans notre volonté de regarder la vérité en face, de connaitre et transmettre le plus fidèlement et le plus rigoureusement possibles l'histoire de ces vies brisées, l'histoire de ceux dont on a voulu effacer jusqu'à la trace de leur mort., l'histoire d'hommes, de femmes , d'enfants vivants et non des abstractions historiques.
Dans cette démarche, il nous faut d'abord écouter les survivants, de plus en plus rares au fil du temps, même s'il y a une distance infranchissable entre l'expérience que nous n'avons pas vécue et le récit qui nous parvient.
L'édification de notre mémoire requiert aussi l'Histoire, la patience de ses preuves, la rigueur de ses méthodes.
À cet instant je rappellerai quelques faits, rigoureusement établis par les travaux de nombreux historiens, français ou étrangers, mettant en lumière le rôle du Régime de Vichy comme auxiliaire de la politique génocidaire des nazis.
La Rafle du Vel d'Hiv fut le point culminant de la politique antisémite mise en oeuvre par le gouvernement de Pétain dès le 3 octobre 1940 par les décrets dits "statuts des Juifs", lois de ségrégation, d'exclusion, de spoliation et d'internement, préfigurant la tragédie l'année 1942.
Statuts iniques qui faisaient de mes parents des étrangers dans le pays qui les avait accueillis et naturalisés
Je n'oublie pas l'abrogation du Décret Crémieux, dès le 8 octobre 1940 qui faisait des citoyens juifs français d' Algérie, des parias( près de 500 professeurs ou instituteurs sont renvoyés, près de 20.000 élèves sont exclus des écoles publiques, les médecins n'ont plus le droit d'exercer, etc. Toutes ces mesures, signant la faillite de la démocratie, ne provoquèrent que très peu de protestations, comme l'a souligné l'historien Michel Winock. Pire, ajoute-t-il, dans l'Université, dans la faculté de médecine, dans la magistrature, etc. Les postes "libérés" par les collègues juifs sont occupés sans état d'âme, par les enseignants, médecins, juges non juifs! On ne peut évacuer le rôle de la bureaucratie, de la presse "officielle", bref de tous ceux qui par indifférence ou haine antisémite se sont rendus coupables de petites ou grandes lâchetés.
"Combien furent précieux, alors, les cris de quelques rares protestataires dans le désert de la soumission" ?
Il convient de s'interroger sur le rôle joué par une grande partie des hauts fonctionnaires de Vichy, plus soucieux de leur carrière que de la portée de leurs actes, exécutant des ordres iniques sans états d'âme.
Ces interrogations s'inscrivent dans le travail de Mémoire et d'Histoire évoqué plus haut, travail exigeant, appelant à la réflexion sur les questions fondamentales que les génocides du 20ème siècle ( et du 21ème) posent à la conscience humaine.
"Comment en est-on arrivé là? Quel cheminement idéologique a pu mener au crime de masse? Comment des États démocratiques ont-ils pu consentir au pire? Rappelons que ce crime de masse a été commis dans le silence des nations.
La Shoah a dévoilé la fragilité de l'humanité, là où la barbarie est comme la face cachée de la civilisation moderne, technique et industrielle...
"L'Histoire du Régime de Vichy illustre cette fragilité de la Démocratie quand ses principes fondamentaux sont bafoués, quand on permet à des idéologies totalitaires de pénétrer l'espace républicain"( Georges Bensoussan).
Ceci m'amène à évoquer les évènements présents qui génèrent le désarroi et l'inquiétude de nombreux citoyens français: nous assistons, dans notre pays, à une certaine dissolution du "vivre ensemble", à une augmentation des violences racistes, xénophobes et homophobes: Des extrémistes de tout bord recherchent l'affrontement: il y a 1 mois, le jeune militant d'extrême gauche, Clément Maric a été tué lors d'une rixe, par des jeunes néonazis français.
Nous assistons à une hausse significative des insultes, des agressions, des violences, des actes antisémites, souvent sous couvert d'antisionisme.
La LICRA vient de publier un numéro spécial du DROIT DE VIVRE, intitulé: "L'antisémitisme tue, c'est l'affaire de tous".
Comme l'avait écrit Primo Lévi, " une des 3 réalités qui menacent le monde est la puissance du préjugé antisémite qui mène au crime".
Faut-il rappeler l'assassinat d'Ilan Halimi, des enfants de l'École Ozar Hatorah?
Aujourd'hui, nous sommes choqués par l'obstination des étudiants, des professeurs et des élus de La Rochelle à maintenir une pièce de théâtre véhiculant les stéréotypes antisémites les plus éculés...
Nous sommes choqués par une partie de l'exposition de photographies , au Musée du Jeu de Paume, à Paris, présentant des terroristes coupables d'attentats meurtriers contre des civils israéliens comme des "martyrs"- dont certains sont placés sur la liste des organisations terroristes par l'Union européenne.
Nous remercions la ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, qui, dans un communiqué, a mis en garde contre ce qui apparait comme une apologie du terrorisme.
Enfin, autre sujet d'inquiétude, dans plusieurs pays d'Europe, "favorisés" par la crise économique, le populisme, les extrêmes progressent, en Hongrie, en particulier.
Je rappelle, également, la violence, sous toutes ses formes, qui ne cesse de se développer dans de si nombreux territoires de la planète, en particulier, à l'encontre des femmes.
Face à ce terrible constat, il nous appartient de renforcer la culture démocratique contre la culture du crime, de promouvoir les valeurs universelles qui fondent la démocratie, de garder les yeux ouverts face à toutes les dérives, car, comme l'a écrit l'historien Élie Barnavi, s'adressant aux citoyens européens: "Il y a la civilisation et il y a la barbarie et , entre les deux, il n'y a pas de dialogue possible... Il faudra vous armer de patience et de conviction, il faudra défendre la laïcité sans laquelle il n'y a pas de démocratie possible...Il y va de la sauvegarde de vos valeurs, de vos libertés, de votre mode de vie. Bref, de l'avenir de vos enfants."