Le CRIF en action
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Publié le 24 Septembre 2012

Discours de Madame Anna Hidalgo– cérémonie au cimetière de Bagneux – dimanche 23 septembre 2012

Le CRIF était représenté par son président Richard Prasquier lors de cette cérémonie.

 

Nous sommes rassemblés ce matin et comme chaque année dans le deuil et le souvenir, pour se rappeler l’horreur d’un crime et rendre un hommage aux victimes. Nous portons tous, quel que soit notre origine, notre âge, notre histoire, le deuil des millions d’enfants, de femmes et d’hommes exterminés par la barbarie parce qu’ils étaient nés juifs. 

De cette histoire, qui a décimé les juifs d’Europe, nous sommes tous des survivants

Ce jour est, et doit être pour toujours, un jour de la mémoire. Le jour de l’évocation des victimes de cette barbarie, de l’évocation de leurs noms, de ces millions d’histoires qui se sont brisées à jamais, de ces millions de voix innocentes qui se sont tues pour toujours. Parce que jamais nous ne devons jamais oublier ces résistants, ces martyrs, ces otages et ces disparus sans sépulture car leur seule sépulture est notre mémoire.

 

Il y a soixante-dix ans, au petit matin, le 27 mars 1942 partait de Compiègne le premier convoi pour le camp d’extermination d’Auschwitz. Serrées dans ces wagons, 1 112  (mille cent douze) personnes partaient vers la mort programmée. Ils ne pouvaient pas savoir, ils ne pouvaient pas imaginer. Ils avaient confiance en la France, en sa protection, en ses valeurs fondatrices. Ils partaient pourtant vers la mort et seuls 19 d’entre eux survécurent aux camps. Ce convoi marquait le début de la multiplication des rafles, du marquage par l’étoile jaune, de l’infamie aux yeux de tous, de l’arrestation en plein jour de femmes, d’hommes et d’enfants pour les destiner de manière organisée et systématique à la déportation, à l’extermination. Ce fut le premier convoi d’une longue série, 63 convois au total jusqu’à l’été 44.

                                                                                                            

Après, la mise en place du statut des juifs, ce 27 mars 1942, les autorités françaises franchissaient une étape supplémentaire dans le reniement des valeurs de notre pays et dans une entreprise qui faillit perdre l’humanité. Le président François Hollande a commémoré avec des mots très juste, très solennels, la rafle du 16 juillet 1942 et a reconnu comme l’avait fait avant Jacques Chirac la responsabilité de la France dans l’horreur qui a été commise par le gouvernement de Vichy.

 

76 000 juifs français furent déportés dont 11 000 avaient moins de 18 ans. Les noms de ces victimes sont gravés en nous, ils font partie de nous. Cette journée du souvenir, chaque année, ici à Bagneux, que je partage avec vous, est un hommage que nous leur rendons, un hommage douloureux. Un hommage que nous leur devons.

 

Ce sont nos frères et sœurs qui ont été marqués du sceau de l’infamie, arrachés à leur entourage et privés de tout espoir parce que nés juifs. Déduire la définition d’un homme de son appartenance, est le début de la stigmatisation et de sa négation. C’est le geste inaugural de tous les racismes. Ainsi fut fondé l’attentat, un attentat systématique, un attentat minutieux jamais perpétré contre des hommes, parce que l’idéologie barbare et génocidaire les avait pris pour cible. C’est pourquoi cette année et les prochaines nous penserons à chacun des 63 convois, à chacun des hommes, des femmes et des enfants qui s’y trouvaient.

 

Cette horreur nous oblige à la mémoire. Notre vigilance ne doit jamais être mise en défaut. Il nous faut exercer sans relâche ce travail, quotidien, inlassable. Car transmettre cette mémoire c’est enfin en retenir les leçons. Comprendre comment l’ignominie fut possible hier pour qu’elle ne puisse se reproduire demain.

 

Beaucoup de dérives trouvent leur source dans l’ignorance. Nous ne pouvons pas oublier les victimes cette année encore de l’antisémitisme à Toulouse, où des enfants sont morts parce qu’ils étaient  juifs ; en Bulgarie où des touristes israéliens ont péri dans un attentat. Nous ne pouvons pas oublier que des hommes et des femmes sont encore, partout dans le Monde, menacés du fait de leur appartenance à une religion. Pour eux, il nous revient d’affirmer avec force que jamais la naissance n’établit de hiérarchie, que les autres existent autant que nous et il nous devient d’appliquer la devise républicaine. Notre obligation est de défendre à chaque instant et à tout prix la tolérance et le respect de l’autre.

 

Le travail de mémoire, Mesdames et Messieurs, s’incarne bien sûr dans des symboles, des commémorations, des institutions qui réalisent un travail quotidien admirable. C’est avec une grande émotion que nous avons inaugurée vendredi dernier le Mémorial de la Shoah de Drancy. Ce  sera  un lieu d’histoire et de transmission. Il permettra aux enfants des écoles comme aux familles et au grand public de mieux connaître le rôle central du camp de Drancy dans l’exclusion des Juifs de France et dans la mise en œuvre de la « Solution finale ». Ce lieu sera complémentaire au Mémorial de la Shoah de Paris qui depuis 2005 réalise un travail fondamental pour la transmission du savoir et à qui je veux rendre hommage aujourd’hui. Le travail de mémoire réalisé par ces institutions est d’autant plus important qu’au fil du temps les survivants se font plus rares et que leur parole doit rester intacte et doit raisonner en nous à jamais.

 

Je le redis aujourd’hui, mes chers amis, Paris continuera à travailler sans relâche, à vos côtés pour conduire ce travail de mémoire et faire vivre quotidiennement, cette solidarité qui nous unit à la communauté juive, dans tous les aspects de sa vie collective, que ce soit sa sécurité, sa mémoire, sa culture, et ses lieux de rassemblement.

 

Cette année de commémoration, la Mairie a aussi voulu rendre un hommage particulier en organisant une très émouvante exposition à l’Hôtel de Ville de Paris. Ce sont des milliers de personnes et beaucoup de jeunes qui auront vu l’exposition gratuite « C’étaient des Enfants » sur la déportation et le sauvetage des enfants juifs à Paris. Et vous le savez, cette exposition est le fruit d’un travail considérable. Ensemble, des enfants des écoles, des rescapés, des enfants cachés, des enseignants, des parisiens concernés, des associations, et bien sûr Serge Klarsfeld, ont mené un long et complexe travail de recherche afin de retrouver le nom de chaque enfant disparu et d’apposer une plaque pour que le souvenir de chacun d’entre eux soit inscrit sur le mur des écoles de notre ville qu’ils avaient fréquenté et dans les jardins et parcs pour les plus petits qui n’étaient pas encore scolarisés. Nous devons rendre hommage à ce travail essentiel. Cette exposition contribue à mettre en lumière la tragédie qu’ont vécue ces enfants, en leur donnant une histoire, un visage, une dignité. Plus de la moitié des 11 400 enfants juifs déportés étaient des petits parisiens. Nous avons voulu évoquer leurs souvenirs mais aussi celui de ces milliers d’enfants cachés qui ont survécu à la Shoah grâce à l’action des réseaux organisés notamment par les Œuvres Sociales juives et aussi par la solidarité discrète de voisins, d’amis, de collègues, d’inconnus, de justes qui ne se sont jamais résignés à accepter la barbarie…Je peux vous dire l’émotion des visiteurs devant les cartes postales  et les photos, les dessins et les récits de ces enfants et de leur famille. Leurs souvenirs se confond avec l’histoire de Paris.

 

Notre devoir de fidélité à cette mémoire tragique est une ardente obligation pour le présent et le futur. Je l’espère les milliers de visiteurs, d’écoliers, de parents, de grands-parents, qui auront visités cette exposition, continueront à leur tour à raconter ce qui s’est passé, les destins brisés, les enfants arrachés à leurs parents qu’ils ne reverront plus, la vie dans les camps, les convois vers Auschwitz ou Bergen-Belsen et les enfants sauvés, cachés, retrouvés des mois et des années plus tard par des oncles et des tantes rescapés.

 

Voilà l’obligation, qui est là nôtre, c’est bien celle de transmettre cette douloureuse leçon aux générations futures.

Pour que le fil de la mémoire et du souvenir ne soit jamais rompu. Ensemble tâchons d’être à la hauteur de cette impérieuse obligation : être digne de ceux dont il ne reste plus aujourd’hui que le nom.

 

De cette histoire, qui a décimé les juifs d’Europe, nous sommes tous des survivants. La mémoire, nous le savons, n’appartient pas seulement au passé. Elle est vivante, elle fait partie de notre société, de notre communauté humaine, et guide nos actes.

 

Je vous remercie et chana tova à tous

 

Anne Hidalgo