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Si nous devons lutter contre l’antisémitisme qui est « une agression à l’encontre de la dignité humaine », c’est d’abord l’affaire de l’État. Notre vie ne doit pas se réduire à cela, nous devons persévérer à être ce que nous sommes, des Français de confes
Trois grands thèmes vont polariser notre attention : les conséquences du nucléaire iranien, par Boaz Bismuth, Éditorialiste au Israël-Hayom, les possibles sorties de crise par Bruno Tertrais, Maître de Recherche en stratégie nucléaire et les scénarios probables concernant la Syrie et l’Égypte par Frédéric Encel, Professeur en géopolitique.
Sur le fond, il n’y a pas de désaccord fondamental entre les intervenants, chacun excelle dans ses propos, plus réalistes pour le premier, plus « modérés » pour le second, plus « vifs » pour le dernier, mais tous étayés par des arguments factuels solides.
En effet, retraçant les étapes historiques de la politique anti israélienne de l’Iran, Boaz Bismuth démontre à quel point l’Iran dont le régime ne peut être qualifié de « rationnel », menace l’existence même d’Israël, tant par la dangerosité de son projet nucléaire très avancé, que par le négationnisme érigé par cet état en idéologie.
« Ce n’est pas de la paranoïa » comme certains le pensent, « les guerres nous coûtent cher en vies humaines », « l’horloge » et « le timing » ne sont pas les mêmes pour vous et pour nous israéliens, et ce qui se joue sur la scène internationale n’est pas en faveur d’Israël. De l’espoir nous sommes passés à la désillusion, mais notre devoir c’est d’avancer avec lucidité, les sionistes en leur temps n’ont jamais pensé que ce serait facile ».
Il termine son propos en disant : « chaque jour je vois flotter le drapeau israélien sur le mur des lamentations, c’est un miracle ».
Bruno Tertrais axe son intervention sur cette alternative : « l’Iran aura sa bombe nucléaire, mais il n’est pas dit qu’il s’en servira ».
Son raisonnement s’articule autour d’une réalité : les pays en course vers l’armement nucléaire ne s’arrêtent que rarement avant le seuil fatidique, mais les « bonnes nouvelles » comme il dit, sont multiples :
- L’Iran est affaibli et « isolé depuis les révolutions arabes », ses jours sont comptés, ce n’est qu’une question de mois ou d’années...
- Se sachant en mauvaise posture, il cherche à revenir à la table des négociations, car les sanctions économiques prises par la communauté internationale ont ralenti son programme, ainsi que les « actions de sabotage ».
- La probabilité d’une intervention israélienne est extrêmement faible, en raison d’un ratio coût/efficacité défavorable.
- Le Président Barack Obama refusant un Iran doté d’une bombe nucléaire a restauré la crédibilité d’une intervention américaine.
En revanche, trop parler de « menace existentielle », pour Israël, même si « le débat est légitime », c’est « rentrer dans le jeu de l’Iran ».
Le propos de Fréderic Encel porte sur les conséquences des politiques intérieures de la Syrie et de l’Égypte.
- Au sujet de la Syrie, aucune intervention extérieure d’ingérence n’est à envisager, car le dictateur Bachar El Hassad a « encore de beaux jours devant lui ». Les médias feignent de l’ignorer, mais les soutiens d’une partie des Sunnites et des Alaouites à l’intérieur du pays et de la Russie, son alliée de toujours, confortent sa position ainsi que sa capacité balistique qui est immense.
-« La Syrie n’est pas la Lybie, ni l’Égypte, ni la Tunisie ». « Sa rhétorique contre Israël se situe dans les paroles, très peu dans les actions », mais comme elle l’a déjà indiqué elle peut mettre le feu dans la région. Le règlement de la crise syrienne n’est pas pour demain.
Notre bouillonnant intervenant pense que le monde arabe entre dans une « nuit des longs couteaux », écartant l’idée d’une guerre contre Israël pour de multiples raisons.
-Les Frères musulmans ont gagné les élections égyptiennes, car depuis plus de trente ans ils ont assuré « la soupe », quand le régime de Moubarak était déficient. L’Égypte de Mohammed Morsi est plus accaparée par ses problèmes sociaux que par Israël. L’émergence de la démocratie prend du temps, il doit démontrer ses capacités à gérer un état.
Le débat, animé par Thierry Ben Samoun, verra chaque intervenant camper sur ses positions. Certains viendront nous rassurer parfois, et d’autres nous alarmer, souvent. La vivacité des échanges verbaux a donné un ton très particulier à cette première matinée. Le public récompensé par des exposés captivants et argumentés ne s’y est pas trompé, les intervenants ont été largement applaudis.
Le Consul général d’Israël, Monsieur Barnéa Hassid conclura cette première partie d’un niveau exceptionnel.
Roland Elbez, Président de la commission « Vigilance » entame l’après midi par un discours édifiant : « nous sommes en alerte quasi permanente, les répercussions du conflit au Moyen-Orient se font sentir ici en France ». Serge Coen est à la barre pour la présentation des invités.
Valérie Igounet, Historienne, chercheuse, démontre la renaissance du négationnisme et son développement sous de nouvelles formes. Elle en décortique tous les rouages, de Faurisson à Garaudy jusqu’au négationnisme d’État actuel avec l’Iran comme porte-drapeau : La Conférence de Téhéran de décembre 2006 a réuni plus de 60 chercheurs et prétendus historiens. Le Président iranien a fait du négationnisme un axe stratégique, un instrument de propagande politique.
Internet est un moyen idéal de diffusion. La propagation se fait par les sites web, les blogs et les réseaux sociaux. La plupart de ces sites sont délocalisés aux USA. Valérie Igounet énumère de nombreux sites, dont quelques-uns dédiés aux jeunes. Sur ces sites on peut s’inscrire afin de relever des défis comme trouver des failles dans les témoignages de survivants de la Shoah, celui qui réussit peut gagner jusqu’à 6000 euros. Elle conclut en disant que le net est l’avenir du négationnisme.
Ariel Goldmann prend le relais, Vice-président du CRIF et du FSJU, il intervient en tant que Porte-parole du SPCJ, la sécurité de la communauté juive. Il retrace l’historique du SPCJ, sa création après l’attentat de la rue Copernic et sa restructuration lors de la seconde Intifada. Son discours est éloquent : « la recrudescence des actes antisémites est alarmante malgré l’arsenal juridique français et la fermeté des Pouvoirs publics. Ce sont les jeunes enfants juifs les plus touchés. Nous assistons aujourd’hui à un tournant puisque les attentats touchent notre vie quotidienne ». Il donne l’exemple de la supérette Naouri. « La présence des juifs en France date de plus de 1000 ans. Nous sommes des citoyens français à part entière c’est donc l’affaire de la République et de tous les Français lorsque nous sommes victimes de violences. Il nous recommande la plus grande vigilance et, pour rester sur une note optimiste, loue « l’exemplarité notre jeunesse juive, qui n’attaque ni mosquées ni lieux musulmans ».
Point d’endormissement dans le public, il est toujours aussi attentif qu’à la première heure.
Dernier intervenant de la journée, Raphaël Draï, Professeur Emérite de science politique aborde le dialogue interreligieux. Il rappelle que les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont complexes, l’antisémitisme a muté, son visage est aujourd’hui djihadiste et islamiste. Convaincant comme toujours Raphaël Draï préconise plusieurs propositions :
-Toujours affronter la discussion même si elle est déplaisante, on ne peut pas en faire abstraction, se rappeler que le dialogue n’est ni le copinage communautaire ni une conversation mondaine.
-Ne pas accepter des excuses comme celle de « la cassure identitaire », il y a des milliers de gens appartenant à des communautés qui ont migré, dont la vie a basculé du jour au lendemain et qui pour autant ne baignent pas dans le terrorisme. Il pose cette question essentielle et terrible: « Quel préjudice pouvaient avoir causé ces enfants juifs à Merah pour qu’il s’autorise à leur ôter la vie ? »
- Il fait un bref retour sur l’histoire de France et la séparation Église/État et le partage des Pouvoirs. Sous Napoléon Bonaparte « les juifs ont signé pour être français. Nous parlons français, notre drapeau c’est le drapeau bleu, blanc, rouge et notre hymne c’est la Marseillaise. En France, il y a une Constitution, elle est démocratique, sociale et laïque. Les Musulmans doivent aujourd’hui se soumettre comme nous l’avons fait en notre temps, en 1804, aux règles de la République française ».
Regrettant que les musulmans ne se définissent que par rapport à la communauté juive et pas de manière autonome, il reste troublé par les résultats du dernier sondage de l’IFOP. En effet ceux-ci démontrent une rapide dégradation de l’image de l’Islam en France, cela doit nous faire réfléchir.
Si nous devons lutter contre l’antisémitisme qui est « une agression à l’encontre de la dignité humaine », c’est d’abord l’affaire de l’État. Notre vie ne doit pas se réduire à cela, nous devons persévérer à être ce que nous sommes, des Français de confession juive.
Le débat, animé par Marie Claire Sfadj a permis au public présent l’après-midi d’obtenir des réponses à ses observations. La Présidente, Michèle Teboul remercie chaleureusement les intervenants et conclut: « d’aucuns voudraient justifier le 11 septembre, Toulouse ou Villeurbanne en invoquant l’humiliation du peuple arabe. Je me contenterai de répondre à cela, que ce que les juifs ont subi depuis des siècles c’est le paroxysme de l’humiliation puisque c’est la volonté de destruction totale à laquelle ils ont du faire face. Je crois que jusque-là, personne ne contestera ce raisonnement. Eh bien qu'on oppose les juifs à cette volonté d'anéantissement? Des citoyens engagés dans la construction intellectuelle, scientifique, économique du pays dans lequel ils vivent. Leurs bombes ce sont les découvertes médicales, les prix Nobels et la croissance à trois points d’Israël »
Edith Janowski-Bismuth
CRIF Marseille Provence