Le CRIF en action
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Publié le 7 Novembre 2012

Mission du CRIF en Azerbaïdjan

À l'invitation des autorités azéries, une délégation du CRIF s'est rendue en Azerbaïdjan du 23 au 26 octobre 2012. Conduite par le président Richard Prasquier, cette délégation de cinq personnes comptait Jean-Pierre Allali, membre du Bureau Exécutif, Ève Gani, chargée du Développement International, Véronique Harari , membre de la commission des Relations avec les Musulmans et Patrick Bloch , membre de la commission des Relations Internationales. Jean-Pierre Allali livre ici son carnet de route.

 

Mardi 23 octobre 2012

 

A l'aéroport « Heydar Aliyev », du nom du père de l'actuel président, de Bakou, nous faisons connaissance avec Shahla Aghalarova, qui, en compagnie de Habib, Fouad et El Nour, sera notre cicérone pendant trois jours. Elle parle un français parfait et demeurera à nos côtés tout au long de notre séjour. Nous sommes conduits au salon d'honneur où un thé chaud et des pâtisseries nous sont offerts en attendant nos bagages. Trente kilomètres nous séparent du centre ville. L'autoroute qui y conduit n'a rien à envier à celles des grandes villes européennes. Tout au long du parcours, des immeubles modernes de belle facture. L’Orient semble, pour le moment, complètement absent. Dès l'entrée en ville, on perçoit une activité fébrile : beaucoup de voitures et, surprise, beaucoup de vélos. Comme si le principe du « Vélib » avait fait des émules en terre azérie. Les boutiques de mode sont la réplique parfaite de celles des grandes capitales européennes.

 

Cette première journée nous aura permis, entre autre, de remarquer l'extrême variété des types physiques des Azerbaïdjanais que nous rencontrons. Nous dînons à l'hôtel en compagnie du ministre chargé de la diaspora, Nazim Ibrahimov. Le ministre est accompagné de sa femme et de sa fille, de Ramin Mammadov, président de l'Union Mondiale des Jeunes Azerbaïdjanais et d'Ilhan Mammadov, chef du département des Affaires Européennes. La discussion est très détendue. La sympathie entre nous est évidente.

 

Décalage horaire de trois heures oblige, la nuit sera courte.

 

Mercredi 24 octobre 2012

 

Nous partageons le petit déjeuner avec l'ambassadeur d'Israël à Bakou, Rafael Harpaz. L'ambassadeur, qui fut en poste en Afrique Noire et parle un français châtié, ne tarit pas d'éloges à l'égard de l'Azerbaïdjan. « Ici, vous ne trouverez pas une seule trace d'antisémitisme. L'Azerbaïdjan est un pays ami d'Israël. Il a choisi l'Occident, mais, pour l'heure, il ne bénéficie pas de la réciprocité d'intérêt. Probablement à cause d'un déficit de communication. Votre présence ici est un signe d'un effort que les Azéris font dans la direction de la France. Pour l'heure, il n'y a pas d'ambassade d'Azerbaïdjan en Israël, mais un projet en ce sens est avancé ».

 

Nous reverrons l'ambassadeur d'Israël à d'autres occasions au cours de notre séjour.

 

Nous voici à présent en direction de l'Allée d'Honneur, un jardin du souvenir situé face à la mer. Nous déposons une gerbe de fleurs sur les tombes du président Heydar Aliyev et de l'académicienne Zarifa Aliyeva. Des fleurs encore, un peu plus tard, dans l'Allée des Martyrs, où chacun de nous reçoit un bouquet d’œillets qui vont être déposés devant les portraits des centaines de victimes de la répression de 1990. Des manifestants azéris qui réclamaient alors plus d'indépendance avaient été sévèrement réprimés par l'armée soviétique. Le mausolée est surplombé par les imposantes « Tours des Flammes » au modernisme surréaliste qui dominent la ville et qu'on aperçoit de quelque point que l'on se trouve. En route pour le ministère des Affaires étrangères, nous passons devant le Parlement. Sur notre chemin, deux statues emblématiques de la philosophie de l'Azerbaïdjan actuel. Celle, d'abord, de Sabir, un poète du début du 19ème siècle dont l'essentiel de l’œuvre était une critique acerbe des mollahs et, peu après, datant de la fin du 19ème siècle, celle d'une femme qui se libère du voile. Elle fut assassinée par son mari, un mollah.

 

Nous voici au ministère. En l'absence du ministre, en déplacement à Paris, c'est le ministre adjoint, Xalaf Xalafov, qui nous reçoit. Il est accompagné de quatre collaborateurs. Le ministre axe son exposé sur le côté laïc et moderne du pays, exemple, dit-il, de tolérance où la séparation entre la religion et l'État est un fait avéré. «Notre pays, 25 ans avant la France, a accordé le droit de vote aux femmes. C'était un révolution en Orient », se plaît-il à rappeler. Un échange détendu se fait alors entre le ministre et le président du CRIF, Richard Prasquier. Le ministre, qui note que la visite d'une délégation du CRIF devrait marquer un approfondissement des relations franco-azerbaïdjanaises, affirme que son pays a la volonté de contribuer à la paix dans la région. Le président du CRIF évoque, lui, les liens étroits d'Israël et de l'Azerbaïdjan. Il insiste sur la complexité des conflits régionaux, affirmant qu'il faut éviter de cataloguer les uns comme oppresseurs et les autres comme opprimés car la situation est particulièrement complexe. Richard Prasquier parle également des pressions de l'Iran voisin, de la visite récente à Bakou de Mahmoud Ahmadinejad et des inquiétudes du CRIF face au danger de la possession par l'Iran de l'arme nucléaire. À propos de l'Iran, Xalaf Xalafov rappelle les liens historiques de l'Azerbaïdjan avec ce pays et la grande imbrication des populations des deux nations. En effet, 35 millions d'Azéris vivent en Iran. Une certaine prudence est donc nécessaire. Cela dit, si l'Azerbaïdjan est contre la possession par l'Iran de l'arme atomique, il reconnaît le droit de Téhéran à disposer du nucléaire civil. Mais, pour l'heure, l'Iran n'a pas convaincu la communauté internationale. D'où l'intérêt des sanctions qui d'ailleurs ont entraîné une détérioration de la situation intérieure de ce pays. En conclusion dira le ministre, l'Iran est un grand pays dont il faut tenir compte et si nous développons et diversifions nos relations bilatérales, nous comprenons parfaitement les préoccupations d'Israël.

 

La journée est loin d'être finie. Nous voici à présent au Comité d'État pour les Associations Religieuses dont le président, l'ambassadeur Elshad H. Iskandarov, nous reçoit dans une salle véritablement immense. Le président du Comité d'État est accompagné de deux collaborateurs et nous convenons de nous exprimer en anglais. Richard Prasquier brosse un tableau de l'histoire récente du judaïsme français, insistant sur les difficultés actuelles de la communauté juive face à l'hostilité violente des milieux islamistes. Il se dit heureux de découvrir un pays musulman complètement vierge de tout antisémitisme. Dans sa réponse, Elshad Iskandarov rappelle la fameuse phrase attribuée à André Malraux : « Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas », parle de tolérance et de respect de l'autre et indique que nombre d'Azéris juifs à présent citoyens d'Israël retournent régulièrement en Azerbaïdjan pour les vacances d'été. Enfin, les deux présidents débattent autour des Justes musulmans, tel le consul turc à Rhodes, Salahettin Ülkümen. Nous quittons l'ambassadeur Iskandarov pour la SOCAR, State Oil Company of Azerbaijan où nous reçoit, Elshad Nassirov, vice président en charge du marketing et des investissements. L'homme est affable, volubile, cultivé et convaincant. Il est accompagné d'un collaborateur et passe constamment de son bureau à un mur où est accrochée une grande carte du pays. On peut y voir les pipelines qui partent d'Azerbaïdjan. « Total et GDF sont nos partenaires. Nous produisons un million de barils par jour. Cela ne représente que 1% de la production mondiale, mais nous fournissons à Israël 40% de ses besoins énergétiques ! ». À propos de l'Iran, monsieur Nassirov nous détaille par le menu les problèmes de la plate-forme de Chardeniz à laquelle Téhéran est associé. À notre départ, on nous offre un superbe livre sur la famille Nobel dont nous découvrons que plusieurs membres furent impliqués dans l'industrialisation du pays et dans la construction de nombreux bâtiments.

 

Nous voici à présent à l'ambassade de France. En l'absence de l'ambassadeur, Pascal Meunier, en déplacement, c'est le premier conseiller, Elsa Pignol, qui nous reçoit. Elle est accompagnée du premier secrétaire, Guénaël Le Breton et, ô surprise, de mon ami Yves Zoberman, conseiller de coopération et d'action culturelle que je n'avais pas revu depuis longtemps. Après un exposé sur les motifs et le déroulement de notre visite par Richard Prasquier, madame Pignol nous brosse un tableau de la situation intérieure et extérieure du pays et de ses relations avec la France. Messieurs Le Breton et Zoberman interviennent également à propos de diverses questions.

 

Cette journée particulièrement chargée s'achève. Nous n'aurons pas manqué de remarquer que le sujet du conflit du Haut Karabagh revient régulièrement sur la table lors de toutes les rencontres. C'est, incontestablement, pour les Azéris, le problème numéro un. C'est une question qui les obsède depuis la guerre entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan de 1988 à 1994 qui a vu l'Arménie prendre le contrôle, non seulement de l'enclave arménienne du Haut Karabagh, mais également d'une partie du territoire azerbaïdjanais. Le CRIF qui entretient de très bonnes relations avec la communauté arménienne de France et qui reconnaît le génocide des Arméniens se veut également l'ami de l'Azerbaïdjan et de son peuple. Partout, le président du CRIF exprimera l'espoir de pouvoir contribuer à un rapprochement entre les belligérants et à la conclusion d'une paix durable.

 

Le soir, nous revoyons encore le ministre de la diaspora, l'ambassadeur d'Israël et Ilhan Mammadov au restaurant de l'Hôtel Kampinski.

 

Jeudi 25 octobre 2012

 

Le moment est venu de découvrir la vieille ville. Entourée de remparts crénelés, elle est tout simplement magnifique. Enfin, un zeste d'Orient avec les hammams, la tour centrale et les caravansérails transformés en restaurants. Il ne semble pas y avoir de chiens dans Bakou, mais les chats y sont légion et déambulent dans les rues sans complexes.

 

Nous prenons à présent le chemin de la synagogue de Bakou. Il y a plusieurs synagogues dans la capitale azerbaïdjanaise dont la synagogue ashkénaze, récemment reconstruite, que nous n'aurons pas le temps de visiter. Le président de la « Communauté Religieuse des Juifs des Montagnes d'Azerbaïdjan », Yevdayev Milikh Ilhanovich, nous accueille. Il est accompagné d'une dizaine de personnalités de la communauté : le rabbin Reuven Ben Yonathan Ura Izmaelov, le rabbin de la synagogue géorgienne, Shneor Segal, le rabbin Habad, Zamir Isayev. Il y là également Boris Mushailov, président des jeunes Juifs azéris, le docteur Larissa Reikhrudel, qui préside l'organisation des femmes juives locales et arbore fièrement la médaille française de l'Ordre national du Mérite qui lui a été attribuée à Paris et plusieurs autres personnes. Les interventions de nos hôtes se font en russe. Shahla et Habib, russophones avertis traduisent leurs propos comme ils traduiront nos propres exposés. Nous découvrons que, selon les dirigeants, la communauté juive d'Azerbaïdjan est forte de quelque trente mille âmes, que les mariages mixtes sont courants mais que chacun continue de pratiquer sa propre religion. Ce chiffre me paraît fortement exagéré à moins que monsieur Ilhanovitch y intègre les Israéliens d'origine azerbaïdjanaise qui reviennent régulièrement au pays en été pour vacances ou pour affaires et les enfants issus de mariages mixtes. Il ne faut pas oublier qu'il y a plus de 50 000 Juifs d'Azerbaïdjan en Israël. Un thé nous est offert accompagné de divers gâteaux et, encore une surprise, le président de la communauté nous offre à chacun un petit tapis fait main. Délicate attention et joli souvenir.

 

C'est à présent le moment pour Richard Prasquier de nous quitter. Il doit rejoindre Istanbul pour un rendez-vous pris de longue date. Il me confie la tête de la délégation.

 

Nous nous rendons à Quba à deux cents kilomètres. C'est là que vivent les Juifs des Montagnes, notamment les Tats. En chemin, nous changeons de voiture de police à chaque nouveau district traversé. La relève est toujours d'une précision chirurgicale. À l'approche de Quba, nous quittons l'autoroute pour des chemins bosselés et fangeux. Dès notre arrivée en ville, deux arrêts imprévus vont nous êtres proposés. Nous commençons par nous retrouver à la mairie. Le maire, Agayev Mubariz, nous souhaite la bienvenue, vante le charme et les attraits touristiques de sa ville et espère que les Français, grâce à notre entremise, viendront en nombre la visiter. Il nous parle de la communauté juive qui compte, nous dit-il, plusieurs milliers de personnes et de sa parfaite intégration dans le pays. Il ne manque pas de nous offrir une plaquette illustrée sur la ville. Je lui dis notre plaisir d'être à Quba et notre impatience de découvrir sa synagogue et sa communauté juive. Pour l'heure, nous sommes d'abord conduits non loin du centre ville, au « Quba Soyqirimi Mǝzarliği », lieu nous dit-on, d'un charnier où auraient été massacrés, en 1918-1919, des centaines d'Azéris parmi lesquels de nombreux Juifs. Un monceau de crânes et d'ossements témoignent de la cruauté de l'événement. Nous assurons nos interlocuteurs que nous ne manquerons pas de nous informer sur ce drame dont, de bonne foi, nous ignorions l'existence. À quelques mètres du charnier, des ouvriers s'affairent pour achever la construction d'un énorme mémorial constitué de deux polyèdres blancs séparés par une plate-forme noire.

 

Avant de découvrir la synagogue de Quba, nous nous arrêtons dans le restaurant dirigé par Yosha qui nous reçoit kippa sur la tête. Le président de la communauté juive, Boris Simanduyev nous fait l'honneur de déjeuner avec nous. Il est accompagné de plusieurs membres de la communauté. Cette fois, nos hôtes parlent plutôt azéri que russe.

 

Nous voici enfin à la superbe synagogue de Quba. Telle qu'on la voit sur les cartes postales du siècle dernier avec ses bulbes surmontés de la maguen David. Ici, il faut se déchausser pour pénétrer dans la synagogue où plusieurs enfants sont présents, gage d'une communauté bien vivante. Boris Simanduyev dévoile pour nous les sifreï Thora puis une discussion animée s'engage avec des fidèles. Tous nous confient leur bonheur de vivre en Azerbaïdjan.

 

Avant de nous quitter, Boris Simanduyev me remet un cadre représentant la ville de Quba. Je lui promets de la placer en bonne place dans un lieu adéquat. Nous quittons Quba avec émotion. La nuit tombe. Il faut rejoindre Bakou.

 

Le soir, en compagnie de Shahla, de Habib, de Fouad et d'El Nour, nous dînons dans un restaurant de la vieille ville qui surplombe Bakou illuminée et féerique.

 

Vendredi 26 octobre 2012

 

Notre avion part à 7h35. Il faisait 22°C à Bakou et le soleil était agréablement caressant. Nous retrouvons Paris à 10°C et la grisaille. Mais nous gardons le souvenir d'une mission hors du commun avec l'envie d'en savoir plus sur l'Azerbaïdjan, son histoire et ses problèmes actuels. Très vite, chacun de nous va se précipiter sur les ouvrages spécialisés et sur Internet. Un beau voyage s'achève. Le temps de la réflexion approfondie commence.

 

Jean-Pierre Allali