Le CRIF en action
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Publié le 18 Janvier 2012

Première rencontre officielle entre le CRIF et la Grande Mosquée de Paris

 

La Grande Mosquée de Paris et le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) se sont engagés, lors de leur première rencontre officielle, le mardi 17 janvier 2012 à la Grande Mosquée de Paris, sous la présidence du recteur, Dalil Boubakeur, et du président du CRIF, Richard Prasquier, « à faire tomber le mur de la méfiance » entre leurs deux communautés.

Nos deux institutions, Monsieur le Recteur, mon cher Dalil, ont déjà fait un long chemin ensemble... Elles ont décidé de prendre cette initiative pour marquer la priorité de l’enjeu d’une relation forte et apaisée entre Juifs et Musulmans en France

 

Pour Dalil Boubakeur, "la concitoyenneté doit […] œuvrer pour favoriser un climat de paix sociale en faisant taire les extrémistes d’où qu’ils viennent. L’Islam n’est pas antisémite. L’Islam de France aujourd’hui se veut conscient des problèmes et être en état de les aborder avec sérieux et ouverture d’esprit à la réalité, à la modernité et vivre avec son temps."

 

« Nous avons la volonté aujourd’hui de renforcer notre relation et de nous engager, ensemble, avec des convictions communes pour une citoyenneté en partage : lutte contre la xénophobie, le racisme et l’antisémitisme et rejet de la violence et des extrémismes", a déclaré Richard Prasquier dans son discours d'introduction.

 

Au-delà des dirigeants des institutions, ce sont les membres de la Commission pour les relations avec les Musulmans dirigée par Jean Corcos et ceux d’une délégation de la Grande Mosquée de Paris qui se sont rencontrés et exprimés sur des sujets centraux comme la citoyenneté ou encore le blasphème. Les interventions d’Arielle Schwab, de l’écrivain Sadeck Sallem, du rabbin Rivon Krygier et de Maître Hafiz ont été saluées pour leur engagement, mais aussi et surtout leur pédagogie. Sur le blasphème par exemple, Rivon Krygier a notamment rappelé : « en France, le délit d’outrage existe». Mais il ne concerne pas une croyance religieuse, mais le drapeau français. Grâce à la laïcité, « la religion n’est plus en position d’imposer, mais de proposer une croyance. »

 

Pour relayer les échanges, étaient présentes des personalités religieuses de premier plan comme Djelloul Seddik, directeur de l'Institut de théologie El Ghazali ou encore Grand Rabbin René-Samuel Sirat, mais aussi des représentants des plus importantes associations d’actions socio-éducatives et de dialogue interreligieux judéo-musulman, comme l’AJMF avec le Rabbin Serfaty, la Fraternité d’Abraham ainsi que des organisations émergentes, comme Shalom Paix Salam.

 

Selon la Commission pour les relations avec les musulmans du CRIF, cette rencontre était la première d’un programme de rencontres exemplaires, mais aussi d’actions en commun. Hier, la Grande Mosquée de Paris dénonçait fermement l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic. Aujourd’hui, le CRIF s’élève sans ambiguïté contre les profanations des tombes musulmanes. Demain, il n’est pas exclu que si la République est menacée, les deux institutions fassent entendre leur voix.

 

Eve Gani

 

Nous publions, ci-après, les allocutions de Dalil Boubakeur et de Richard Prasquier :

 

 

Intervention de Dalil Boubakeur, Président du CRIF à la rencontre CRIF/Institut musulman de la Mosquée de Paris, 17 janvier 2012

 

La France peuplée aujourd’hui de plus de 60 millions d’habitants présente dans ses composantes sociales 700 à 800.000 personnes de confession juive et 5 à 6 millions de musulmans dont plus de 50 % sont de citoyenneté française à des titres divers : histoire, naissance ou sortie plus récente du cadre de l’immigration.

 

Ces deux communautés constitutives de la société plurielle mais laïque de la France, sont des composantes dont l’importance et la légitimité n’échappent à personne. Leur Vivre-Ensemble est essentiel et leurs rapports remontent aux origines même des peuples sémitiques dans une histoire qui les a vus bien souvent vivre ensemble en Orient, en Andalousie, au Maghreb et aujourd’hui en Europe.

 

Musulman, je suis conscient de l’importance que la Bible revêt dans la révélation Coranique qui les désigne sous le nom de famille du Livre et plus précisément de Banû Israïl, les fils d’Israël.

 

Il est dit :

 

Coran 21-68 (Al-Anbiya) :

 

« Nous avons donné à Moïse le Livre et la distinction du bien et du mal afin que vous soyez dirigés vers la voie droite ».

 

Coran V-20 (La Table) :

 

« Ô fils d’Israël, Souvenez-vous des bienfaits de Dieu qui vous a comblés, Souvenez-vous qu’il vous a élevés au-dessus de tous les humains et qu’il a tiré parmi vous les Prophètes et des Rois ».

 

Coran XVI-125 – l’Abeille :

 

« Invite les Gens du Livre sur la voie de ton Seigneur et ne discute avec eux que de la façon la plus courtoise ».

 

Moise est cité 134 fois dans le Coran, Abraham 44 fois.

 

Le Prophète de l’Islam dans un Hadîth célèbre d’Ibnu-el-Quayyim a dit :

 

« Celui qui offensera un membre parmi les gens du Livre (juif ou chrétien) il me trouvera comme adversaire au jour du Jugement d’Allah ».

 

Omar Al-Khattab entrant à Jérusalem en 638 et donna toute justice à une juive qui se plaisait d’avoir été spoliée de son terrain pour la construction de la Mosquée. Par reconnaissance elle en fit même don au Calife.

 

C’est à partir du X° siècle, à la cour des Omeyades que commença un véritable âge d’or du judaïsme en Andalousie.

 

On retient les noms fameux de Hasday B. Shaprut, Vizir d’Abderahman III, de Samuel d’Henneguid chargé de la garde militaire à Grenade, le grand philosophe-médecin Maimonide contemporain d’Averroës eut pour contemporains de grands lettrés comme Salomon Ibn Gabirol auteur du fameux Minvar Penimim – « Miroir des Perles » et Keter Malkhut – « Couronne Royale ». Samuel Ibn Negrella de Cordoue et Rabbenau, Ben Gershom, Moise B. Ezra, Juda Halevy si proche de la pensée mystique d’al-Ghazali ou Bahye B. Paquda dont on redécouvre aujourd’hui le rôle important qu’ils jouèrent dans l’éclat de la civilisation arabe d’Espagne et sa transmission vers l’Europe.

 

On peut rappeler : Abraham B.Ezra, Saadia Gaon, Benjamin de Tudele…

 

La coexistence judéo-musulmane se poursuivit au Maghreb et ailleurs après l’expulsion qui frappa ces deux communautés afin la Reconquista de Grenade en 1492. En 1708, c’est le Bey Ahmed De Mascara, expulsant les Espagnols d’Oran qui reconstitue le Tribunal rabbinique dirigé par Joseph Chouchana  puis Isaac Chouraqui comme premiers Dayanim.

 

Dans de nombreuses cités prospèrent des communautés comme : Fez, Marrakech, Tlemcen, Alger, Constantine ou dans le Sahara.

 

Une cité méconnue : Tementit dans le Touat fut une petite république juive sur la route de l’ivoire au Sahara du XV°, XVI° siècle. N’oublions pas que Laghouat et Djelfa furent pendant la guerre des camps de déportation en 1942.

 

En France, la Mosquée de Paris a depuis sa fondation en 1922 toujours joué un rôle précurseur dans l’instauration ou la restauration  de l’amitié solidaire et agissante entre juifs et musulmans. La concitoyenneté des deux communautés affirmée au Maroc par le roi Mohamed V et en Algérie par le F.L.N dès le début de la révolution de 1954.

 

 En 1956, les juifs sont appelés « Frères algériens » et « compatriotes » afin d’édifier ensemble une « Algérie nouvelle et véritablement fraternelle » (Brochure éditée par la Fédération de France du F.L.N de 1959, op. cité « Les juifs d’Algérie » p.43.

 

Certains juifs posèrent alors la question : « Pouvons-nous renier nos noms qui sont en attachés à des coutumes, des traditions, et à une musique algérienne ? Alors que les tombes de nos ancêtres sont en Algérie depuis des millénaires ? (même source).

 

En 1967, André Chouraqui, le grand Rabbin de Jacob Kaplan, le Père Michel Riquet, Si Hamza Boubakeur fondent la Fraternité d’Abraham qui fut une étape importante   et fondatrice de l’Amitié des deux communautés.

 

En 2004, la LICRA avec le CRIF, le Consistoire et le Rabbinat, nous mettions en œuvre le processus des Amitiés Judéo-Musulmanes (AJMF) qui fédère en France de nombreux groupes attachés à ce dialogue.

 

Aujourd’hui, le constat est évident :

 

Musulmans et juifs citoyens de France à part entière tiennent à mieux se connaître, à dépasser ce qui peut les éloigner et à lutter ensemble contre les maux qui les frappent en commun : l’antisémitisme et l’islamophobie.

 

Le Président Sarkozy, disait ici-même à la Mosquée de Paris que « le regard de ceux qui n’aiment pas les juifs est le même que celui de ceux qui n’aiment pas les musulmans ».

 

En Europe, les menées xénophobes comme les trop nombreuses profanations de cimetières, de lieux de culte et autres méfaits alertent régulièrement l’opinion, les juifs et les musulmans pour les inciter à une vigilance commune et concertée.

 

La concitoyenneté doit également œuvrer pour favoriser un climat de paix sociale en faisant taire les extrémistes d’où qu’ils viennent.

 

L’Islam n’est pas antisémite.

 

L’Islam de France aujourd’hui se veut conscient des problèmes et être en état de les aborder avec sérieux et ouverture d’esprit à la réalité, à la modernité et vivre avec son temps.

 

Il ne s’agit pas ici de dresser un tableau exhaustif de toutes les questions communes mais d’initier une relation nouvelle sinon renouvelée entre nos deux communautés et convenir enfin que le moment est venu de réfléchir sereinement sur l’évidence des nouvelles données de la société française d’aujourd’hui.

 

Ces problèmes existent et ne pas les aborder ou les occulter relève de la cécité mentale ou de l’irresponsabilité.

 

Si Kaddour Ben Ghabrit, Si Hamza Boubakeur ont courageusement voulu régler ceux de leur époque, à nous de régler la notre.

 

L’attaque des symboles religieux, des rites et des problèmes rencontrés en milieu scolaire, durant les études, le travail ou la vie culturelle et bien sûr les discriminations de toutes sortes sont réalités.

 

Essayons donc comprendre et de juguler l’impression de malaise et de non communication entre les deux familles spirituelles concernées, et constatons qu’avant tout, c’est l’ignorance ou la volonté d’ignorance réciproque qui peut-être un facteur qu’il urge avant tout de combattre. Il faut reconstruire une mémoire commune.

 

Dans le Coran III-64, il est dit :

 

 « Ô, gens du Livre, venez à une parole commune entre vous et nous. Et adorons Dieu sans rien lui associez ! »

 

De nombreux rapports dans bien des domaines existent aujourd’hui entre juifs et musulmans de France. Ils font partie du non-dit et du vivre ensemble discret sinon silencieux de notre société par ex : Peut-on rapprocher des rituels très proches dans le domaine des  pratiques comme :

 

-Les jeûnes de Ramadhan et de Kippour.

 

-La Shahada et l’Emmouna.

 

-La circoncision, la licéité alimentaire (Halal et Casher)

 

-La prophétie d’Abraham, de Moïse, d’Ismaël  et d’Isaac ? Deux frères.

 

Il faut aujourd’hui donner force et vie au rapprochement par le Dialogue, la rencontre, et la réflexion commune en faveur de l’œuvre de Paix.

 

Je propose que des commissions œuvrent pour rétablir la connaissance réciproque des deux communautés.

 

-Un travail commun dans le domaine de l’histoire, de la civilisation, de l’art, de la pensée et des philosophes, œuvrer pour les valeurs du dialogue, de la fraternité et du respect mutuel. Une véritable Commission de la Mémoire Commune.

 

-Contribuer à l’œuvre de paix nationale et internationale afin d’éviter que les tensions nées hors de France n’aient pas de retentissement chez nous,  grâce à des rencontres pour la Paix et à ne pas laisser chaque communauté isolée et se communautariser dans l’inquiétude ou le jeu des provocateurs et incitateurs à la violence. Juguler la haine des « Barbares ».

 

-Rapprocher les jeunes en vue de recherches communes dans le domaine de l’art de l’histoire ou des lieux symboliques on a vu des orchestres communs exécuter de la musique traditionnelle. On a également expérimenté la valeur pédagogique de voyages à Auschwitz. Ils pourraient se faire dans le Maghreb ou ailleurs. Les jeunes musulmans se plaignent de la stigmatisation et des difficultés d’avenir socio professionnel dans le cadre de leur volonté d’intégration.

 

-Je crois dans les vertus de la rencontre, du dialogue et des échanges : il faut établir le principe de rencontres régulières diffusées à toute la France comme c’est déjà le cas avec l’AJMF pour que juifs et musulmans apprennent à se parler, se connaître et découvrir ensemble toutes les richesses de leur histoire, de leur religion qui leur sont communes.

 

Nous regarder tels que l’histoire nous a faits, c’est accepter les changements de notre société. C’est voir la réalité sociale française telle qu’elle est et préparer l’avenir.

 

 

Intervention de Richard Prasquier, Président du CRIF à la rencontre CRIF/Institut musulman de la Mosquée de Paris, 17 janvier 2012

 

Je me réjouis, Monsieur le Recteur, cher Dalil, de cette rencontre à l’Institut musulman de la Mosquée de Paris  entre nos deux institutions largement représentées. Elle se tient en ce début de l’année 2012, ce qui augure favorablement de notre volonté d’ouvrir une page nouvelle et prometteuse pour le renforcement de nos liens, et pour développer ensemble une relation solide entre les populations juive et musulmane de France, dans un climat confiant de citoyenneté partagée.

 

Depuis quelques années, le CRIF réfléchit à cette question. Une commission chargée des relations avec les Musulmans a été créée. Elle est animée actuellement par Jean Corcos, à qui je voudrais rendre hommage, ainsi qu’à notre ami Jean Claude Lalou que vous connaissez si bien et depuis si longtemps. Suite à une opération chirurgicale, il ne peut être parmi nous, mais notre rencontre aujourd’hui lui doit beaucoup. La commission pour les relations avec les Musulmans du CRIF réunit de nombreux membres qui, à un titre ou à un autre, sont sensibles à cette relation entre Juifs et Musulmans en France et agissent dans un cadre associatif pour instaurer un dialogue ouvert et constructif. L’un des organismes d’action commune sur le terrain est l’AJMF - Amitié Judéo-Musulmane de France - que nous parrainons ensemble avec le Consistoire de Paris et dont le travail, mené depuis plusieurs années, du côté juif par le Rabbin Michel Serfati, contribue à faire connaitre et à faire comprendre les deux religions, les deux cultures et leurs proximités.

 

Au cours des dernières années, au travers de cette commission et au niveau de la direction générale du CRIF, les contacts ont été multipliés avec des universitaires, des chercheurs, des guides religieux, des analystes politiques musulmans et non musulmans, afin de comprendre la situation actuelle de l’Islam de France, d’éclairer notre jugement et d’envisager les initiatives à engager dans un esprit citoyen et responsable.

 

Un très récent et à mon avis admirable article par le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim a exposé les proximités et les différences entre Islam et judaïsme dans le domaine métaphysique avec ses conséquences existentielles. Le CRIF n’a pour sa part aucune légitimité théologique et la problématique qui est la nôtre est politique, et non pas religieuse.

 

Elle tient compte d’abord de la mutation de la société française et en son sein de l’évolution de l’Islam de France, de sa représentation et de la place qu’il occupera nécessairement dans l’espace public et dans la société en raison de son importance numérique - deuxième religion de France - et de son insertion progressive dans le tissu économique et social, malgré les difficultés rencontrées actuellement pour une partie de cette population.

 

Ensuite, ont été pris en compte les changements récents intervenus dans le monde arabe et les anticipations que l’on peut, avec prudence, faire sur l’avenir du Moyen-Orient, du Maghreb, de l’Afrique Sub-saharienne, et bien sûr des rapports entre le monde arabe et musulman et l'état d'Israël. Les avancées attendues et espérées d’un processus de paix conduisant à la création d’un Etat palestinien – aux côtés d’Israël et avec des liens étroits avec lui - seraient une des données essentielles de cette évolution.  Mais nous savons que cette évolution pour qu’elle soit réellement crédible sera longue car elle impliquera un changement des mentalités. Il est important de marteler partout, et notamment dans notre pays où ce conflit est parfois inutilement invoqué comme enjeu de politique intérieure, qu’il s’agit d’un différend d’ordre politique et non métaphysique, qu’il doit avoir des solutions politiques locales et qu’il ne doit en aucun cas être instrumentalisé chez nous pour le transformer en enjeu d’un combat messianique planétaire irréductible dont les directives contraignantes seraient exigées par l’autorité transcendante.

 

Nos deux institutions, Monsieur le Recteur, mon cher Dalil, ont déjà fait un long chemin ensemble. Elles ont pris la mesure de ces évolutions sociales et géopolitiques, elles participent avec responsabilité au débat politique et citoyen. Elles ont décidé de prendre cette initiative pour marquer la priorité de l’enjeu d’une relation forte et apaisée entre Juifs et Musulmans en France. Pour un vivre ensemble harmonieux, respectueux des valeurs républicaines et citoyennes.

 

Il faut comprendre ce qui s’est passé au cours des cinquante dernières années dans les relations de la France avec les territoires qu’elle avait sous son autorité, et qui ont accédé à l’indépendance.

 

Les mouvements de populations venues  d’Afrique du Nord et d’Afrique Sub-saharienne, en particulier d’Algérie, les Français juifs rapatriés d’Algérie, ceux venus d’autres pays arabes suite aux conflits avec Israël, ont modifié sensiblement les composantes de la société française.

 

Il y a eu, en parallèle, de nombreux Musulmans incités à venir en France pour travailler, et d’autres contraints, comme les Harkis, à quitter l’Algérie après avoir servi sous le drapeau français. Tous ces Musulman ont dû faire un chemin difficile pour s’insérer comme Français dans ce pays, en gardant leur culture et leurs traditions, sans être toujours reconnus et acceptés.

 

La seule représentation au niveau politique et religieux était alors l’Institut musulman de la Mosquée de Paris, malgré certaines difficultés qu’il rencontrait à fédérer et à animer dans un esprit républicain tous ceux - Français ou résidents - qui voulaient vivre en France en respectant les valeurs de notre pays. Pendant cette période, les relations entre l’Institut musulman de la Mosquée de Paris et les responsables de la communauté juive étaient étroites, solides et confiantes. On a récemment rappelé les liens tissés aux heures les plus sombres et les plus dangereuses de la guerre, quand les Juifs étaient pourchassés et qu’ils ont ici trouvé refuge.

Il faut aussi se souvenir, plus tard, en arrière plan et dans les suites de la guerre d’Algérie, des déclarations et interventions du Recteur de l’Institut musulman, Cheikh Hamza Boubakeur, votre père, et des Grands Rabbins de France Jacob Kaplan et René-Samuel Sirat, dont je salue ici avec émotion la présence, témoignage d’une amitié et d’une fidélité sans faille à la rencontre avec l’Islam, et que je vous demande d’applaudir. Les Présidents du Consistoire et du CRIF se plaçaient sur la même ligne. Cet engagement des guides spirituels et des dirigeants communautaires a joué alors un rôle déterminant dans le comportement des Musulmans envers les Juifs en France. Les rapports de confiance se manifestaient par l’appui des uns aux autres, la défense des uns par les autres, lorsqu’il y avait des agressions ou des provocations. Un accord profond existait entre  eux, sur le projet républicain d’émancipation et de réussite, quelle que soit leur origine ou leur religion.

 

 

Cette attitude a trouvé son expression concrète en 1967, quand le Cheikh Hamza Boubakeur a invité André Chouraqui, le Révérend-Père Riquet et Jacques Nantet, à fonder la Fraternité d’Abraham pour éviter que le conflit israélo-arabe n’entraînât en France des tensions entre Juifs et Musulmans. Et, par un beau symbole, c'est le 7 juin de cette année là qu'elle fut fondée, ici même à la Grande Mosquée de Paris et alors que la Guerre des Six Jours venait d'éclater. J’en profite pour rappeler ici la mémoire d’un homme admirable dont on parle trop peu aujourd’hui, le père Riquet, artisan infatigable de l’amitié entre les hommes des trois religions du livre. Notre ami, M. Emile Moatti, délégué général et mémoire vivante de la Fraternité d’Abraham, qui a bien connu le père Riquet, n’a pu quitter Jérusalem et je parle ici en son nom.

 

Le CRIF, depuis sa création, pendant la Résistance et à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, a toujours combattu, du fait même des circonstances de sa création, ce qui peut dans notre société, distinguer, désigner ou stigmatiser telle ou telle partie de la population. Ce combat, il l’a mené et il le mènera sans relâche. Il est vigilant et attentif à toute menace ou agression contre la population juive en France d’où qu’elle vienne. Mais il n’acceptera pas non plus que se banalise un climat de suspicion et de rejet vis-à-vis de la religion musulmane avec laquelle nous avons tant à partager du fait de l’histoire et de la citoyenneté commune.

 

Cet engagement, je l’ai dit,  est ancien. Il est dans la ligne du président de la LICRA, Jean Pierre-Bloch et du Grand Rabbin Jacob Kaplan, qui ont soutenu immédiatement et avec courage le Recteur de l’Institut musulman, lorsqu’il défendait l’Islam de France et les valeurs républicaines alors que faisaient peser sur lui des menaces venant de responsables politiques de l’époque.

 

Vous avez été appelé en 1992 à prendre la direction de cet Institut musulman important comme symbole de l’Islam de France et des valeurs de la République. Devant les plus hautes autorités de l’Etat et des responsables religieux, dans un discours de mai 1993, lors de la commémoration de la victoire du 8 mai 1945, vous avez rappelé l’engagement et le sacrifice de tant de Musulmans et de non Musulmans du Maghreb et d’Afrique pour rendre la liberté à la France : « Tant de sacrifices communs », disiez-vous « pour la défense des valeurs de liberté, égalité, fraternité, gages  les plus puissants de cette volonté de vivre ensemble puisque nous avons voulu mourir ensemble pour le même idéal".

 

Le Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim, fait du rapprochement avec les Musulmans et de l’égalité dans la pratique du culte et dans la perception de l’Islam dans notre société, une priorité et une exigence. C’est sur ce socle de valeurs que nous voulons bâtir cette relation et ce vivre ensemble harmonieux auquel nous aspirons. La situation au Moyen-Orient, la montée des extrémismes, la radicalisation d’une partie des Musulmans de France, les actions de propagande menée par des courants organisés à partir de certains pays musulmans  du Maghreb et du Golfe, déterminent l’urgence d’une action.

 

Les agressions contre les Juifs dans des quartiers et des villes où les deux populations cohabitent, provoquent méfiance et repli, réduisent les possibilités et les lieux de rencontres et de compréhension réciproque. Cette rencontre entre  nos deux institutions est donc pertinente, et doit être le point de départ d’une action commune à partir d’un diagnostic partagé, avec une volonté claire et déterminée de convaincre ceux qui le partagent.  La relation entre nous, M. le Recteur, cher Dalil, est particulière, respectueuse, amicale et profonde. Elle n’est évidemment pas exclusive et je voudrais saluer les hommes de bonne volonté que sont, entre bien d’autres, mes amis M. Mohamed Moussaoui, votre successeur au CFCM, et l’imam Hassen Chalghoumi

 

Le CRIF a organisé un colloque « Demain les Juifs de France », le 20 novembre 2011 pour réfléchir à la situation actuelle et aux nouveaux défis que rencontrent les citoyens juifs de notre pays.

 

Conscients de cet enjeu, nous avons la volonté aujourd’hui de renforcer notre relation et de nous engager, ensemble, avec des convictions communes pour une citoyenneté en partage : lutte contre la xénophobie, le racisme et l’antisémitisme et rejet de la violence et des extrémismes.

 

Monsieur le Recteur, cher Dalil, je fais le vœu que cette nouvelle impulsion permette de faire tomber le mur de la méfiance et de la haine, pour ouvrir la voix au respect et à la défense de nos valeurs communes, et ce pour le plus grand bénéfice des populations que nous représentons.