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Par devoir moral envers ma famille, et nourri du chagrin qui a accompagné toute ma vie, j’ai participé aux procès des criminels contre l’humanité ayant sévi en France, et accompagné les combats pour la mémoire de la Shoah, menés par les Klarsfeld et mes f
Le 15 juillet, nous avions été avertis d’une rafle de Juifs pour le lendemain, visant les hommes et les jeunes de plus de 16 ans. Par précaution, je suis allé me réfugier chez des amis de mes parents, non-juifs, qui demeuraient à Choisy-le-Roi, tandis que mon père est allé passer la nuit dans le garage contigu à nôtre pavillon, dont le propriétaire était également un ami. Seuls ma mère et mon petit frère sont restés dans le pavillon, car mes parents étaient convaincus que, les femmes et les jeunes enfants ne risquaient rien.
Hélas ! Vers 6 h, le matin du 16 juillet, Paul et ma maman ont été raflés tous les deux par la Police française. Mon père, prévenu par des voisins, a alors téléphoné à nos amis de Choisy-le-Roi, et leur a dit qu’il allait se rendre à la Police, car il voulait rejoindre sa femme et son fils.
Apprenant cela, et envahi d’angoisse, j’ai pris le bus à Choisy pour venir aux nouvelles. Arrivé rue de la Vistule, j’ai trouvé les voisins de la rue dehors, bouleversés et compatissants. Je me souviens encore que la concierge de la maison d’à côté, m’a fait boire un chocolat chaud pour me réconforter.
Complètement désemparé de ne trouver aucun de mes proches, et ne sachant quoi faire, je suis allé frapper à la porte de la famille Finkiel qui demeurait rue Caillaux, à proximité de chez nous, dont l’un des deux fils était le copain d’école de mon frère. Comme tout était silencieux et que personne ne répondait, je me suis mis à chuchoter derrière la porte : c’est Joseph ! Et la porte me fut ouverte par Monsieur Finkiel. Il était là, dans le noir, avec Félix, l’ami de mon frère. Ils avaient eux aussi quitté leur cache de la nuit pour venir rassembler quelques affaires avant de fuir.
Pendant que j’étais là, tout d’un coup, de grands coups furent frappés à la porte, ponctués par des cris : Police ! Police ! Nous n’avons pas ouvert. La porte a alors été enfoncée et nous nous sommes trouvés face à trois policiers en uniforme, plus un quatrième en civil, qui nous ont dit de les suivre. Arrivés au bas de l’immeuble, une voiture Renault et le chauffeur en tenue de police nous attendaient. Le policier en civil est monté dans l’auto près du chauffeur, et nous trois, Félix, son père et moi, encadrés des trois autres policiers, nous avons été contraints de suivre la voiture qui roulait au pas, et de descendre ainsi l’avenue d’Italie, jusqu’au commissariat au rez-de-chaussée de la mairie du 13ème.
Au commissariat, je me suis retrouvé tout seul dans la grande salle, où j’ai fini par m’endormir sur un banc. Soudain, j’ai été réveillé par un policier qui soulevait ce banc en me faisant tomber par terre, puis qui m’a frappé d’un coup de pied au derrière. Tout cela accompagné d’une grosse voix qui me disait : « Petit youpin menteur, on ne doit pas dormir dans les commissariats ! ». Ensuite, tandis que la nuit était déjà tombée, ce policier m’a accompagné avenue des Gobelins, dans le bâtiment du « Secours National du Maréchal Pétain » qui servait de lieux de rassemblement des Juifs raflés dans le quartier.
Durant ce court trajet, j’appris par ce policier que pendant les heures que je venais de passer au commissariat, ma situation avait été vérifiée, et qu’étant considéré « apatride », je devais rejoindre les autres Juifs raflés. (Cette situation d’ “apatride” provenait du fait que mes parents, juifs polonais venus en France dans les années vingt, avaient été naturalisés français en 1937, puis dénaturalisés par les lois de Vichy en 1941. De ce fait, bien que français, mon petit frère et moi, nés tous les deux en France, nous avions été dénaturalisés automatiquement avec nos parents).
Dans ce bâtiment de l’avenue des Gobelins j’étais comme hébété. Et alors que le jour se levait, je me suis approché du portail entrouvert. Un garde qui faisait les cent pas m’a soudain dit en passant : « Fiches le camp ! » Sur le moment je n’ai pas compris ! Mais dès que le garde a tourné les talons, de façon irréfléchie et dans un sursaut animal de survie, j’ai pris mes jambes à mon cou et j’ai couru vers l’avenue Auguste Blanqui, que j’ai traversée, puis jusqu’au banc d’un square où m’a menée ma course. Et là, j’ai repris mon souffle et j’ai arraché l’étoile jaune que je portais.
Et puis, je suis allé chez ma grand’mère, rue des Maronites, dans le 20ème. Je l’ai trouvée en pleurs car sa fille, ma tante Josia, avait elle aussi été arrêtée.
Ma grand-mère, elle aussi a été déportée un peu plus tard. Et je suis resté seul, sans famille.
Depuis, je ne cesse d’y penser et de me torturer, c’est comme un trou noir dans lequel je suis encore à mon âge, à 87 ans.
Par devoir moral envers ma famille, et nourri du chagrin qui a accompagné toute ma vie, j’ai participé aux procès des criminels contre l’humanité ayant sévi en France, et accompagné les combats pour la mémoire de la Shoah, menés par les Klarsfeld et mes frères et sœurs de destin de l’Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France. Ce qui me donne le sentiment que notre engagement et nos luttes, rendraient nos disparus fiers de nous.