Editorial du président
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Publié le 12 Décembre 2011

Ce qu'est le CRIF, réponse à David Kessler, par Richard Prasquier

A l’issue d’une consultation, une dame exprime un enthousiasme inhabituel en apprenant que tout va bien. Le cardiologue, c’était moi, signale qu’il n’a rien fait que de très banal. « J’ai beaucoup aimé cette consultation, répond-elle, car j’ai eu tant de plaisir à rencontrer enfin un médecin non juif …. ». « Comme vous vous trompez, Madame » « Non, pas vous, Docteur ?… ». Je passe la suite.



Comment cette malheureuse antisémite aurait-elle pu deviner que « Prasquier », c’était la version francisée de « Praszkier » tellement plus métèque ? Mon père, à qui j’en avais voulu, cherchait à m’éviter des difficultés en médecine. Je suis sensible aux noms.



Il en est qui charrient des représentations. Qui voit Cohen, Mahmadou, Mustapha ou Isaac, imagine leur origine : il peut se tromper.



Lorsque j’écris « patronymes », j’écris bien « patronymes » et pas religion. M. Kessler, qui a des lettres, devrait lire avec précision. Je ne « liste » pas des Juifs car je ne veux pas savoir ce qu’est la religion, s’ils en ont une, de ces députés non réinvestis. Mais leurs patronymes font penser qu’ils pourraient être Juifs et beaucoup ont sursauté à la lecture de leurs noms. Ont-ils manifesté un judaïsme « sectaire, communautaire, qui compte les siens » ? Diable, certains sont des amis de M. Kessler lui-même. Il devrait changer de fréquentations. Lorsque des perceptions enflent à ce point dans la communauté juive, je me dois d’en faire l’écho.



Mais aussi d’appeler à la prudence. Ayant écrit que l’antisémitisme n’était pas en cause, à rebours de ce qui circulait sur Internet, je m’étonne de lire que j’agite le spectre de l’antisémitisme. Cette habitude de suggérer que parce que l’on écrit blanc, c’est que l’on insinue noir est peut-être le fait de certains cercles hypercritiques sophistiqués. Je suis plus primaire : quand j’écris blanc, c’est que je veux dire blanc. J’ai écrit que les situations des « évincés » étaient disparates, mais que « l’effet d’affichage » de leur accumulation était désastreux. Je n’ai rien à retirer.



En revanche, regrettant de voir la « représentation politique juive » diminuer, j’aurais dû utiliser une autre formule. Je n’évoquais pas la représentation de Juifs en tant que Juifs dans les assemblées: ils ne doivent y être que des citoyens français. J’abhorre la politique des quotas. Mais je ne veux pas qu’ils s’éloignent du débat politique de notre pays, qu’ils enrichissent par leur sensibilité propre. Ce débat, garant de notre démocratie, a été un marqueur historique d’intégration.



M. Kessler reproche au CRIF de réduire les enjeux de la prochaine élection présidentielle, « dans une Europe en crise » à la seule question de savoir qui est le plus « pro-israélien » des candidats. S’il s’était donné le mal de rechercher les positions des députés cités, il aurait vu que ce n’est pas leur caractéristique commune. Par ailleurs enjoindre au CRIF de cacher ses positions en faveur d’Israël, sans déplorer que d’autres fassent de l’hostilité à Israël l’alpha et l’oméga de leur vision du monde, relève d’une opinion qu’on pourrait qualifier aussi au minimum de sectaire. Faut-il conclure que illégitime sur la question internationale, illégitime sur celle de la politique des partis nationaux, le CRIF devrait s’exprimer sur la situation économique?



L’auteur de cet article au vitriol ignore tout du CRIF aujourd’hui. Ceux avec qui nous travaillons, chrétiens, musulmans, tziganes, descendants ou victimes des génocides ou de l’esclavage savent notre implication dans des combats qui ne sont pas ceux de l’enfermement et du repli sur soi. Je tiens les éléments à sa disposition, mais il peut déjà interroger ses amis du MJLF dont il fut le président, et dont je doute qu’ils partagent ses outrances.



La récente Convention nationale du CRIF, « Demain, les Juifs de France » a rassemblé une journée entière un millier de personnes passionnées dans des débats où des opinions contradictoires se sont exprimées sans anathème à la tribune comme dans le public, sur les communautés juives, sur Israël, mais aussi sur les populismes ou la mondialisation. C’est cela le Crif, une institution ouverte, qui n’hésite pas à s’exprimer, mais qui cherche à reconnaître derrière la disparité des positions les grands fondamentaux des valeurs appliquées à l‘universel à partir du point de vue juif particulier.



M.Kessler, que j’aurais aimé voir à cette convention, nous accuse de raisonner en miroir avec les antisémites. Je lui laisse la pesante responsabilité de ce consternant mensonge.



(Article publié dans Libération du 12 décembre 2011)



Richard Prasquier
Président du CRIF



Photo : D.R.