Editorial du président
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Publié le 24 Janvier 2011

Céline: on ne peut pas exonérer un écrivain de sa responsabilité sous prétexte qu’il a une bonne plume, un éditorial du président du CRIF, Richard Prasquier

Cette affaire Céline est inquiétante en ce qu’elle révèle d’une tentation nouvelle de remettre un couvercle sur les aspérités de notre histoire et les responsabilités de leurs protagonistes, mais aussi dans la gêne des réactions d’hommes qu’on aurait aimé entendre dans la clarté. Et il faut rendre hommage à Serge Klarsfeld qui, une fois prévenu, s’est engagé sans la moindre hésitation à combattre une décision aberrante sur le plan moral, au risque de « faire accréditer que le lobby juif fait la pluie et le beau temps en France ».




De quoi ne s’agissait-il pas ? Il ne s’agissait pas simplement de commémorer la cinquantième année du décès d’un grand écrivain, qui avait malheureusement écrit quelques pamphlets antisémites, mais dont les œuvres essentielles (en particulier le Voyage au bout de la Nuit) ne recèlent pas une ombre d’antisémitisme (ce qui est vrai).



Il ne s’agissait pas de commémoration, mais de célébration nationale, et cela change tout. Il s’agissait était-il écrit dans la préface du recueil de célébrations « d’évoquer une histoire de France propre à charmer nos imaginations ». Autrement dit de proposer Céline et d’autres en exemplarité….



Un homme ne se scinde pas en tranches. Il y a eu bien des antisémites dans la littérature française et mondiale. Je n’ai rien contre les célébrations de Voltaire, car outre ses écrits, son apport à la cause de la liberté dépasse largement l’importance de ses textes contre les Juifs aujourd’hui nauséabonds et qu’il faut replacer dans le contexte de l’époque. En outre, Voltaire est mort il y a plus de deux siècles. Enfin, j’ai l’espoir que pendant la période nazie il n’aurait pas été du côté des assassins.



Pour Céline, voici ce qu’il écrit dans l’Ecole des Cadavres: « les Juifs sont des monstres, des hybrides, des loupés tiraillés qui doivent disparaître… ». Le livre est paru en 1938, il a été réédité pendant la guerre, c’est un appel au meurtre, comme bien d’autres textes de Céline de cette époque : est-ce que ces pages aussi sont destinées à « charmer nos imaginations ? ». La haine déversée par Céline contre les Juifs est monstrueuse. Il ne collabore pas avec Pétain, trop mou sur le plan racial, mais il rêve de montrer son adhésion au nazisme et si les nazis ne l’utilisent pas plus c’est qu’ils se méfient de son extrémisme…Ceux que Céline voulait assassiner et qui ont échappé à ces désirs sont encore vivants aujourd’hui. A-t-on pensé à ce que cette célébration signifiait pour eux ?



Brasillach, comme Streicher furent condamnés à mort pour leurs écrits. Ils n ‘avaient pas tué eux-mêmes (Eichmann non plus d’ailleurs) ; ils avaient appelé au meurtre. Céline également. On ne peut pas exonérer un écrivain de sa responsabilité sous prétexte qu’il a une bonne plume. De Gaulle avait considéré pour Brasillach que c’était un élément aggravant. On peut encore moins célébrer Céline en feignant de masquer une haine des Juifs que chacun connaît et qui devient de ce fait dans l’esprit des gens un élément sans importance dans sa biographie. C’est pourquoi il y avait des relents très malsains dans cette décision proposée par des autorités intellectuelles pourtant impressionnantes (le comité présidé par Jean Favier) qui me paraissent dans leur position de critique esthétique désincarnée, contribuer à une vague de relativisme qui irait à l’assaut du travail de mémoire effectué depuis des années avec beaucoup de sérieux dans notre pays.



Il est heureux que le Ministre de la Culture ait pris la décision d’écarter Céline des célébrations de 2011. Cela n’a rien à voir avec la censure. Tous les colloques qu’il faut, bien au contraire, pour étudier Céline et savoir comment un grand écrivain peut être un salaud. Mais une mise à l’honneur ! Sommes-nous devenus fous ?



Photo : D.R.