Editorial du président
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Publié le 20 Décembre 2010

L’éditorial de Richard Prasquier, président du CRIF : la France se soucie de renforcer la crédibilité de l’armée libanaise, notoirement sous-équipée. Contre qui ?

Il y a deux ans, en mai 2008, les autorités libanaises avaient tenté de reprendre le contrôle sécuritaire de l’aéroport de Beyrouth. Décision malencontreuse; le Hezbollah avait occupé les quartiers sunnites de Beyrouth ; la guerre civile s’était soldée par sa victoire complète. L’armée libanaise, à large majorité chiite, n’avait pas participé aux combats.




Le ferait-elle aujourd’hui? On peut largement en douter. Le Hezbollah fait partie maintenant du gouvernement, même si ce gouvernement, qui ne se réunit presque pas, ressemble à une fiction. Si les partisans de Saad Hariri envisageaient de suivre les directives du TSL quand celui-ci rendra son rapport, dont chacun sait qu’il doit confirmer que le Hezbollah est responsable de l’assassinat de Rafik Hariri, Nasrallah a déjà prévenu plus ou moins ouvertement que son mouvement allait prendre de nouveau le contrôle de Beyrouth. Et ce ne sont pas une centaine de missiles antichars qui l’empêcheront de le faire.



Pour mémoire, alors que le mandat de la Finul au Liban était d’empêcher le Hezbollah de se réarmer après la guerre du Liban de 2006, celui-ci a au moins triplé son arsenal militaire (plus d’une quarantaine de milliers de missiles, et de plus en plus sophistiqués), grâce à l’aide de la Syrie et évidemment de l’Iran. Ban Ki Moon l’a déclaré il y a un mois: le Hezbollah est largement plus puissant que l’armée libanaise. Quel aveu d’échec pour l’ONU (résolution 1701) et ses garanties !



Ahmadinedjad avait été reçu royalement au Liban le mois dernier : il y est chez lui puisque le Hezbollah est une création iranienne et qu’il prend d’Iran tous ses ordres.



La position du Hezbollah dans le conflit israélo-palestinien vient d’être réitérée par Nasrallah jeudi dernier lors de la célébration de la fête de l’Ashoura : la lutte jusqu’au retour complet du peuple palestinien dans son territoire, du Jourdain à la mer. C’est bien la position du gouvernement iranien, c’est aussi celle du Hamas, et in petto, de quelques autres. Qui est l’optimiste qui a déclaré que l’existence d’Israël n’était pas remise en cause ?



La décision du gouvernement français survient donc à un moment particulièrement malencontreux (1). Elle fait suite aux propositions américaines de reprendre la livraison d’armes au Liban dans le but de renforcer la puissance de l’armée libanaise. Mais penser qu’il existe une vraie armée libanaise désireuse et capable de défendre contre d’autres libanais ce qui a fait dans un lointain passé la spécificité nostalgique de ce pays ne relève-t-il pas du « wishful thinking » (prendre ses désirs pour des réalités) ?



C’est pourquoi, malheureusement, ces missiles antichars seront plus probablement dirigés contre des Merkava que vers tout autre type d’armement. Et, alors qu’on sait que le Hezbollah n’attend qu’un ordre des iraniens pour déclencher des hostilités contre Israël au moment où les pressions économiques contre l‘Iran deviendront plus dures, il est d’un paradoxe accablant que les mêmes pays qui sont à la pointe de ces sanctions prennent le risque d’armer indirectement ceux-là mêmes qui s’y opposent avec le plus de virulence.



Richard PRASQUIER
Président du CRIF




Note :



1) LIBAN : livraison de missiles antichars au Liban
Voici les déclarations du porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, dans son point de presse du 17 décembre 2010:



Q - Confirmez-vous que la France aurait fourni au Liban 100 missiles antichars de type hot ?
R - Ce que je peux vous dire c’est que notre coopération militaire avec le Liban contribue à l’indépendance et à la stabilité du pays. Elle est conforme à la résolution 1701 du Conseil de sécurité.



Elle vise à soutenir, selon des règles de procédures bien établies, les autorités du Liban et son armée qui est la seule à être légitime pour assurer la défense du pays.



Elle a aussi pour objectif de favoriser le renforcement de la présence de l’armée au sud-Liban et de sa coopération avec la FINUL, conformément à la résolution 1701.



Comme l’a déclaré Denis Pietton notre ambassadeur à Beyrouth le 15 décembre, il a remis à Saad Hariri, une lettre du Premier ministre François Fillon qui réitère l’engagement de la France en faveur du Liban, notamment en matière de soutien à l’armée et à l’équipement de l’armée libanaise.



Q - C’est une confirmation ?
R - Non, je ne confirme pas, c’est un rappel de positions. Je ne me hasarderais pas à apporter le moindre commentaire sur une lettre du Premier ministre à M. Hariri.



Je rappelle également, même s’il n’y a pas de nouveauté, cela fait suite à ce qu’avait dit le ministre français de la Défense lorsqu’il s’est rendu au Liban en mai dernier.



Il avait indiqué que la France souhaite clairement soutenir les forces armées libanaises dans leur mission, c’est tout le sens de l’accord de coopération de 2008, c’est tout le sens de son engagement politique et diplomatique.



La France souhaite que les forces armées libanaises soient en mesure d’assurer pleinement leur mission.



Un représentant du gouvernement libanais a indiqué que ces missiles seraient livrés « sans contre partie » (autrement dit donnés) au cours du mois de février 2011.



Un haut responsable israélien a souligné, sous couvert d’anonymat, le risque que ces armes se retrouvent entre les mains du Hezbollah.



Photo : © 2010 Alain Azria