Editorial du président
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Publié le 19 Avril 2010

Les juifs sont confrontés aujourd'hui a une campagne de mystification, par Richard Prasquier

Le 18 avril 1943 était la veille de Pessah. Malgré les conditions infernales, beaucoup parmi les Juifs survivants dans le ghetto de Varsovie s’apprêtaient à honorer la fête de la liberté.




Mais le message survint que les Allemands allaient entrer dans le ghetto le jour suivant. Car le paradoxe est que ces hommes coupés du monde extérieur avaient pu connaître les projets allemands, alors que les Allemands n’avaient pas eu vent des préparations des Juifs.



Depuis le 18 janvier 1943, lorsque les Allemands pénétrant dans le ghetto pour entreprendre une « Aktion » de liquidation avaient, à leur stupéfaction, été accueillis par des tirs, chacun savait que le calme relatif des dernières semaines n’était que le prélude à une opération de grande envergure. Les habitants creusaient des abris. Les organisations juives s’étaient, non sans difficultés, regroupées avec d’une part le ZOB, Zydowska Organizacja Bojowa, les bundistes et la gauche sioniste, et d’autre part le ZZW, Zydowski Zwiazek Wojskowy, sioniste révisionniste. En tout à peine plus de 700 combattants, sans entrainement militaire, équipés de façon dérisoire, puisqu’ils avaient essentiellement des revolvers aux cartouches dépareillées, non adaptés au combat de rues, des bouteilles incendiaires, quelques rares grenades, et, dit-on, une mitrailleuse. Malgré les contacts établis avec la Résistance polonaise ils en reçurent une aide globalement décevante, même si un groupe de polonais non-juifs dirigé par le capitaine Iwanski, Juste des Nations, a participé aux combats du ZZW.



Le 19 avril 1943, à 8 heures du matin les troupes du Général SS Stroop entrèrent dans le ghetto : elles y étaient attendues. Ce que furent ces combats, vous le savez et je n’en parlerai pas ici.



Marek Edelman est mort à Varsovie en octobre 2009. Dernier survivant des chefs de la révolte, légende vivante dans son pays où il fut de tous les combats pour la démocratie, asioniste et non pas antisioniste, portant le dernier flambeau d’une utopie détruite, celle du Bund avec le drapeau duquel il fut enterré, Marek Edelman refusa toute sa vie d’héroïser son action et celle de ses camarades auxquels il rendait hommage chaque année en dehors des commémorations officielles. « Il est simplement plus facile, disait-il de mourir les armes à la main que d’attendre la mort au bord d’une fosse commune».



Si de telles réserves sont des contrefeux utiles à notre tendance à lire l’histoire en noir et blanc et de masquer ainsi la complexité et la compréhensibilité des événements, je voudrais dire fortement, après avoir lu et relu les témoignages et les livres d’histoire sur la révolte du ghetto, que ces combattants de l’honneur et du désespoir étaient des hommes et des femmes d’une qualité exceptionnelle. Honneur à Michel Klepficz, l’ingénieur de la révolte, qui s’était évadé du train qui l’amenait à Treblinka et qui lors de la révolte se précipita sur une mitrailleuse allemande pour permettre à ses camarades de s’enfuir. Honneur à l’avocat Léon Feiner, qui fut le lien du ghetto avec les organisations non-juives de la Varsovie « aryenne », qui envoya au monde libre les premiers rapports sur l’extermination des Juifs dès mai 1942 et qui fut l’interlocuteur principal en octobre 1942 de Jan Karski, lors de la visite de ce dernier dans le ghetto de Varsovie. Honneur à tous ceux dont les exploits resteront à jamais inconnus.



Puisque je viens d’évoquer Jan Karski, dont on a beaucoup parlé cette année et dont Claude Lanzmann a eu l’excellente initiative de présenter le témoignage complété pour le film Shoah, je voudrais citer les paroles, retrouvées par sa traductrice Céline Gervais, d’une conférence d’octobre 1981, où pour la première fois depuis la guerre, le Professeur Karski s’exprima sur le silence des nations: « En tant que catholique pratiquant, et bien que je ne sois pas un hérétique, je professe que l’humanité a commis un second péché originel : sur ordre ou par négligence, par ignorance ou par insensibilité, par égoïsme, par hypocrisie ou par froid calcul. Ce péché hantera l’humanité jusqu’à la fin du monde. Ce péché me hante. Et je veux qu’il en soit ainsi. »



Le silence justifie l’inaction…..Une Conférence est organisée aux Bermudes par les Américains et les Anglais, pour traiter du sort des Juifs. A cette époque les informations concordantes dont disposaient les Alliés depuis plusieurs mois permettaient de savoir sans l’ombre d’un doute que les Juifs d’Europe étaient en voie d’extermination. La Conférence qui s’ouvrit ce même 19 avril 1943 fut une mascarade qui s’acheva avec la conclusion que tout ce que les Alliés pouvaient et devaient faire était de gagner la guerre !



Quelques jours auparavant, le 13 avril 1943, la radio de Berlin avait annoncé la découverte d’un charnier dans la forêt de Katyn et avait attribué l’assassinat des officiers polonais au gouvernement soviétique. Sur le cynisme sans limite des nazis qui devenaient soudain des défenseurs de la morale de la guerre, il n’y avait pas à s’étonner, mais cette fois l’annonce recoupait les analyses dont disposait le gouvernement polonais en exil, qui le 16 avril 1943 indiqua qu’il pensait que l’information était vraie.



Impossible pour les Anglo-Américains de mettre en cause leur Allié à cette époque où les Russes menaient un combat titanesque contre l’Allemagne et où la victoire de Stalingrad avec ouvert l’horizon de la victoire commune. Le discours du Gouvernement Polonais en exil sur Katyn était politiquement incorrect. On peut dire que le discours des Juifs sollicitant une action ferme spécifiquement orientée vers leur survie était aussi politiquement incorrect : les Alliés allaient donc gagner, mais ce serait trop tard pour les Juifs. Non que les combattants du ghetto se soient fait des illusions sur leur sort. Mais c’en fut de trop pour Shmuel Zygielbojm, représentant du Bund au Gouvernement de Londres, qui se suicida le 12 Mai 1943 après avoir laissé aux gouvernants des messages qui n’eurent pas plus d’effet que les précédents.



Pour la première fois depuis les assassinats de Katyn, où ont été tués 22 000 hommes appartenant pour beaucoup à l’élite du pays, un avion devait amener en commémoration un groupe de polonais. J’y avais un ami, qui, comme bien d’autres, rêvait du jour où il pourrait s’incliner devant l’endroit où était mort ce père qu’il n’avait pas connu. Avec la disparition de cet avion disparaît une grande partie de l’élite polonaise. Dans cette coïncidence tragique je voudrais assurer à Monsieur le représentant de l’Ambassade de Pologne, puisque l’Ambassadeur Tomasz Orlowski est aujourd’hui à Cracovie, les condoléances de la Communauté Juive de France.



67 ans ont passé. Le souvenir de la révolte du ghetto ne doit pas s’estomper. Sa signification non plus. Ce fut la révolte d’un groupe de jeunes, privés de tout espoir, sans aucune perspective de victoire ou d’aide, cherchant à témoigner du refus du peuple juif de se laisser anéantir par un régime d’une barbarie inégalée. Ils étaient pour peu de temps, ils le savaient, les derniers survivants, 50 000 environ sur les 400 000 au début du ghetto, les autres étant morts de faim, du typhus ou plus nombreux encore dans les chambres à gaz de Treblinka.



Les Juifs, parce qu’ils soutiennent Israël, sont confrontés aujourd’hui à une campagne de mystification qui prend une allure exponentielle et qui ne recule devant aucun amalgame. En interrogeant Google « ghetto de Varsovie » et « Gaza », j’ai trouvé ce matin 49 200 occurrences. Peut-être y en a-t-il d’autres cet après-midi. La plupart font état de ce qu’on appelle au mieux des « troublantes similitudes ». On peut hausser les épaules devant de telles misérables monstruosités et, à titre personnel, je n’aime pas m’engager dans une comparaison, comme je n’ai pas envie de m’engager dans une discussion sur la Shoah avec des négationnistes. Mais peut-être ai-je tort et dans ce monde où les paroles perdent de leur sens, de leur poids et de leur valeur de vérité, dans ce monde surchargé d’informations où l’information cède toujours devant la propagande, il convient maintenant probablement de nous battre pied à pied avec les discours les plus efficaces, pour ne pas être les victimes d’un confusionnisme des mots qui devient rapidement, nous sommes malheureusement historiquement placés pour le savoir, l’outil privilégié de l’appel au crime.



(Richard Prasquier est le président du CRIF. Il a prononcé ce texte lors de la commémoration de la révolte du Ghetto de Varsovie, qui a été organisée par la commission du souvenir du CRIF et le Mémorial de la Shoah, le dimanche 18 avril 2010)



Photo : © 2010 Erez Lichtfeld