Le off reste le off, et il est significatif que la conversation à bâtons rompus, désormais célèbre, entre le Président américain et le Président français, au cours du G20, n'ait pas été citée pendant quatre jours, jusqu'à ce que "Arrêt sur images" la diffuse.
Maintenant que les médias se sont emparés de cette conversation, elle est devenue elle-même un fait politique: il y a bien un contentieux humain lourd entre Nicolas Sarkozy et le Premier Ministre israélien, comme il y en a un entre Benjamin Netanyahu et le Président des Etats Unis. C'est d'ailleurs plutôt sur ce dernier que les journaux israéliens se sont concentrés ce matin.
Par éducation, par constitution personnelle, je considère le mensonge comme une faute grave. Je pense donc que la remarque de Nicolas Sarkozy envers Benjamin Netanyahou est une accusation blessante, et en tant que Juif, s'agissant du Premier Ministre de l'Etat du peuple juif, je me sens moi-même humilié. Je sais que ce sentiment est largement partagé dans la communauté juive française. Il peut conduire à des comportements aberrants. Je le dirai au Président de la République, que je rencontrerai cet après-midi.
Je n'en connais pas l'origine, mais j'en imagine les conséquences, car la politique, c'est aussi affaire de sentiments et de ressentiments entre chefs d'Etat. Il n'est que de rappeler le retournement immédiat de Jacques Chirac en 2005. Il savait que le régime syrien était couvert de sang. Cela ne l'a pas empêché de cultiver son amitié avec Hafez el Assad puis son fils Bachir, jusqu'au moment où il est apparu que la Syrie était mêlée à l'assassinat de son ami intime Rafic Hariri: c'est alors, et seulement alors, qu'il a considéré que la Syrie était un état paria.
On peut désormais penser que certaines décisions, difficiles à comprendre et contraires à ce qu'on pensait être les engagements français (Unesco...) ont été prises par colère contre le Premier Ministre israélien. La colère est mauvaise conseillère. Le ressentiment est un risque très humain contre un ami qu'on n'a pas pu influencer comme on l'espérait. Les plus grandes animosités guettent les plus proches. A ce niveau de responsabilité comme au niveau personnel, un apaisement doit être trouvé entre des hommes qui ne se sont pas appréciés pour rien dans le passé.
Nicolas Sarkozy a fréquenté et doit fréquenter, c'est son métier, beaucoup de chefs d'Etat infréquentables: je suis fier qu'il ait contribué si fortement à débarrasser la planète de l'un d'entre eux, Mouammar Kadhafi reçu avec le faste que l'on sait en 2007 dans notre pays. A aucun moment, il ne les a officiellement traités de menteurs ou d'assassins. Aujourd'hui un homme comme Mahmoud Abbas, que le Président de la République apprécie, et dont je ne méconnais ni les difficultés, ni la bonne volonté, a un discours à géométrie variable suivant le public auquel il s'adresse: il est facile d'en donner des exemples. Ne s'agit-il pas d'une forme de mensonge?
Mais finalement, la politique ne se résume par à la page 2 du Canard enchaîné. La nouvelle la plus importante de la journée d'hier, la plus inquiétante aussi, était la confirmation d'un secret de Polichinelle: les grands menteurs de notre temps, ce sont les dirigeants iraniens. Et là, quel que soit l'avenir, il est réconfortant de penser que la position de la France n'ait jamais varié dans sa fermeté. Nicolas Sarkozy sait que les inquiétudes de Benjamin Netanyahou sont les inquiétudes que devraient avoir tous les esprits lucides de notre planète. Nous sommes tous impliqués.
Richard Prasquier
Président du CRIF
Photo : © 2011 Erez Lichtfeld