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Publié le 4 Mai 2021

France - L'émouvant carnet d'une survivante du génocide arménien publié un siècle après sa rédaction

Seule la terre viendra à notre secours , l'un des rares témoignages contemporains des marches de la mort, avait été retrouvé en 2014 par la petite-fille de son auteur, Serpouhi Hovaghian. Ce journal est aujourd'hui publié par la Bibliothèque nationale de France.

Publié le 1 mai dans Le Figaro

C'est un petit carnet témoin de la grande Histoire. Un de ces récits oubliés, redécouverts au hasard des déménagements, ménages de printemps et vide-greniers. Celui-ci a dormi pendant près d'un siècle dans une boîte à chaussure, jusqu'à ce que la comédienne Anny Romand n'ouvre ce reliquaire de fortune. Ainsi le journal de Serpouhi Hovaghian (1893-1976), grand-mère de l'actrice et rescapée du génocide arménien, a-t-il été découvert.

Baptisé Seule la terre viendra à notre secours, ce témoignage a été publié le 29 avril par la Bibliothèque nationale de France (BnF). Le carnet de Serpouhi Hovaghian, alors jeune mère de deux enfants, est quasiment unique en son genre, «l'un des rares témoignages connus à ce jour émanant d'une victime qui ne soit pas postérieure au génocide», explique en avant-propos l'historien Raymond Kévorkian. Une version anglaise, The Earth Alone Can Help Us, est également parue le même jour. Unique aussi car il raconte un périple infernal de cette mère sur 144 pages et un dénouement heureux.

Enfant remis à des inconnus

«Je l'ai trouvé en 2014 dans une boîte à chaussures, quand je me suis décidée à trier les affaires de mon oncle, décédé depuis 2008. Ma grand-mère n'en avait jamais parlé. Son fils encore moins, lui qui n'évoquait jamais le sujet», raconte Anny Romand. Ce fils, Jiraïr, a une histoire traumatisante. Orphelin de père, porté à quatre ans dans les bras de sa mère qui ne cesse de changer de refuge afin d'échapper à la mort, il est abandonné. Elle le laisse à des paysans turcs, dans l'espoir de le retrouver un jour, peut-être.

«Je me suis séparée de mon Jiraïr, écrit Hovaghian dans les premières pages, en juin 1916. À quel stade extrême faut-il arriver pour qu'une personne remette son enfant, et ce, aux criminels sanguinaires qui ont tué vos mères, sœurs, frères et époux avec les pires sévices!» Le carnet est alors rédigé en arménien, l'une des trois langues dans lesquelles la jeune femme consignera ensuite ses souvenirs, à côté du français, qu'elle avait appris à l'école en Palestine, et du grec, courant en Anatolie à cette époque.

Ce journal témoigne des atrocités vécues, mais aussi des sentiments d'une femme cultivée qui se bat pour sa survie. «Ô quelle vie! Quelqu'un arrive, tu fuis en haut, tu te caches dans le coin le plus inhabité pour ne pas être vue, ton cœur est continuellement en émoi.» Serpouhi Hovaghian pourra se réfugier en France. Elle résidera comme apatride à Marseille jusqu'à sa mort.. Son fils abandonné sera retrouvé dans un orphelinat en Turquie après la guerre.

« C'est ma grand-mère qui m'a élevée jusqu'à l'âge de douze ans, et elle me racontait beaucoup son histoire. D'autres n'y arrivent pas. Quand j'ai eu son carnet entre les mains, je me suis dit qu'il avait une très grande valeur et qu'il fallait absolument que j'en fasse quelque chose », se souvient Anny Romand. Elle décide en 2018 de confier le carnet à la BnF. De quoi réjouir les experts. « Ils l'ont accueilli avec joie. Il était tout petit, abîmé par le temps. Aujourd'hui, je leur suis éternellement reconnaissante de le valoriser ainsi », confie la dépositaire de cette mémoire.

Le génocide arménien, perpétré en 1915 dans l'Empire ottoman en pleine Première Guerre mondiale, a fait un million et demi de morts. C'est encore un sujet épineux au sein des relations internationales. Après sa reconnaissance, samedi 24 avril, par le président américain Joe Biden, premier dirigeant des États-Unis à le faire, le président turc Recep Tayyip Erdogan a dénoncé «des propos sans fondement, injustes et contraires à la réalité».