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1 février 2021
Discours de Francis Kalifat, Président du Crif
Monsieur le Président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort,
Monsieur le Président du conseil pour l’unité des Chrétiens et des relations avec le Judaïsme Mgr Didier Berthet,
Monsieur le Grand Rabbin de France cher Haïm,
Monsieur le Président des Consistoires Cher Joël
Messieurs les évêques de France,
Mesdames et messieurs, Chers amis,
C’est avec la raison et le cœur que j’accueille la déclaration du Conseil permanent de la conférence des Évêques de France proclamant avec solennité et avec force son rejet de l’antisémitisme.
Avec la raison, car je mesure en recevant ce texte une avancée importante et historique qui aura, j’en suis convaincu, une résonance tant nationale qu’internationale.
Cette déclaration entrera dans l’Histoire de l’Amitié Judéo-Chrétienne comme est entré la déclaration de repentance des Évêques de France qui fut remise au Crif à Drancy le 30 septembre 1997. Vos mots s’inscrivent fidèlement dans la suite des premiers messages de l’Episcopat Français qui ont ouvert la voie en quelques décennies à la transformation radicale de la relation entre Juifs et Chrétiens.
Avec le cœur, car je suis profondément sensible à ce témoignage d’amitié, de solidarité et de fraternité.
Votre déclaration vient dire publiquement et solennellement, l’engagement fort et déterminé de l’Eglise de France dans la lutte contre l’antisémitisme, ce mal sournois qui prospère souvent du silence coupable et d’une autre lâcheté qui a pour nom l’indifférence.
L’antisémitisme n’est jamais une vue de l’esprit. Il s’insinue sur nos murs, défigure nos bâtiments et nos rues, il se glisse, serpente et se vautre dans le silence de la nuit. L’insulte est facile, elle est lâche et presque toujours anonyme.
L’antisémitisme n’est ni circonscrit ni localisé il peut frapper n’importe où.
Nous le savons depuis de nombreuses années, il ne présente pas un seul visage. Ses formes changent, s’associent, se renforcent et peuvent avancer masquées, y compris chez certains qui se disent humanistes et antiracistes.
Ses ressorts sont nombreux. L’un d’eux est le complotisme. Il présente la Shoah comme un mensonge ou comme une ruse des Juifs pour obtenir un État. Un autre mode d’action est la caricature et la diabolisation. Le principe est connu : on déforme, on dénature, on rend détestable et l’on peut ainsi justifier son obsession, puis sa haine.
Certains, dans notre pays, sont obsédés par les Juifs par la caricature qu’ils en font.
Les mêmes et beaucoup d’autres sont obsédés par l’Etat d’Israël.
Ils y voient la cause de tous les problèmes du monde. Il suffirait donc de le supprimer pour que les problèmes disparaissent.
Ils détestent tant les Juifs et Israël qu’ils s’attaquent même aux morts, avec lâcheté ils profanent nos cimetières, saccagent des tombes, et peignent des croix gammées sur les stèles de nos défunts.
Ils s’attaquent aussi aux vivants et c’est à ces 12 Français hommes, femmes, enfants et vieillards assassinés depuis le début des années 2000 au seul motif qu’ils étaient Juifs que je veux dédier votre déclaration.
SEBASTIEN SELLAM 23 ans assassiné le 20 novembre 2003 dans le parking de son immeuble
ILAN HALIMI 24 ans séquestré et assassiné le 13 février 2006 entre Bagneux et Sainte Geneviève des bois
JONATHAN SANDLER 30 ans GABRIEL SANDLER 3 ans et ARIE SANDLER 6 ans
MYRIAM MONSONEGO 8 ANS
Victimes de l’attaque terroriste contre l’école OZAR HATORAH de Toulouse le 19 mars 2012
YOHAN COHEN 20 ans
YOAV HATTAB 22 ans
PHILIPPE BRAHAM 46 ans
FRANÇOIS MICHEL SAADA 64 ans
Tous les quatre pris en otage et assassinés à l’HYPERCACHER le 9 janvier 2015.
SARAH ATTAL-HALIMI 62 ans torturée et assassinée le 4 avril 2017 à son domicile à Paris 11ème arrondissement
MIREILLE KNOLL 86 ans torturée et assassinée le 23 mars 2018 à son domicile à Paris 11ème.
Dans cette litanie de noms de victimes de l’antisémitisme et du terrorisme qui tuent chaque destin est singulier.
Chaque vie brisée est une injonction au souvenir.
Ces noms et ces visages habitent mon esprit chaque jour.
Et une question me hante : Qu’aurions-nous dû faire pour les protéger ?
Je me demande souvent comment se seraient passées les huit dernières années si nous avions su tirer en France les leçons de l’attentat contre l'École Ozar Hatorah de Toulouse.
Je garde le goût amer d’une société alors sourde aux cris du cœur des Français Juifs et de ceux, si peu nombreux, qui à leurs côtés avaient compris qu’il ne s’agissait là que du premier acte d’une longue série.
Car comme souvent dans l’histoire si l’antisémitisme commence avec les Juifs, il ne s’arrête jamais aux Juifs.
Ainsi, cet antisémitisme qui a resurgi depuis 20 ans, a été le signe prémonitoire d'un regain de haine et de violence dans notre pays : sexisme, homophobie, haine de la France, mais aussi une hostilité croissante contre les chrétiens en France et en Orient.
À l'heure où vous nous remettez cette déclaration contre l'antisémitisme, permettez-moi donc d'associer à ce moment la mémoire d'Aurélie Chatelin, tuée en février 2015, lors de la tentative d'attentat contre l'église de Villejuif, du père Jacques Hamel, assassiné dans son église de Saint-Etienne du Rouvray et Nadine Devillers, Simone Barreto-Silva et Vincent Loquès assassinés lors de l'attentat à la basilique
Notre-Dame à Nice il y a 3 mois à peine. Vos peines sont aussi nos peines, vos souffrances sont aussi nos souffrances.
En 2020, comme les années précédentes, les Français Juifs ont été insultés, harcelés, menacés, volés, agressés ou frappés parce que Juifs.
Les mots sont terribles, mais ne disent rien de la vie des victimes de l’antisémitisme du quotidien, qui frappe ces quartiers difficiles, ces « Territoires perdus de la République ».
Je décris souvent la vie retranchée de ces Français juifs qui subissent insultes, crachats, graffiti, courriers anonymes, mezouzot arrachées et violences physiques.
De nombreuses analyses lui ont été consacrées. Elles dessinent toutes un étau. Et nous Juifs sommes à l’intérieur de cet étau qui nous écrase et nous fait mal.
Oui cela fait mal lorsque nous sommes pris entre l’antisémitisme traditionnel surreprésenté à l’extrême droite et l’antisémitisme antisioniste surreprésenté à l’extrême gauche.
Lorsque que l’on est coincé entre l’antisémitisme musulman très présent chez les 15 à 25 ans et le statut de cible privilégiée pour les terroristes islamistes.
Ces forces hostiles s’unissent souvent dans l’obsession qu’elles ont d’Israël et des Juifs, dans la diabolisation qu’elles en font et dans l’antisémitisme qui en résulte.
Mon inquiétude profonde est aussi citoyenne, je crains que cette haine et cette violence finissent par affaiblir l’adhésion aux valeurs qui font la France.
La permanence de l’antisémitisme dans notre pays et son ascension décomplexée, sa banalisation, est pour nous une inquiétude majeure, mais nous savons aussi qu’au-delà du danger que cela représente pour nous Juifs, c’est une menace pour la France tout entière, pour la concorde et la paix dans notre pays.
Les mots du Président de la République lors de son voyage à Jérusalem en janvier 2019 résonnent en moi, « l'antisémitisme n'est pas seulement le problème des Juifs. Non, c'est d'abord le problème des autres car à chaque fois, dans nos histoires, il a précédé l'effondrement, il a dit notre faiblesse, la faiblesse des démocraties ».
« Déplorer ne suffit plus, il faut combattre » nous somme Monseigneur Ravel Évêque de Strasbourg,
C’est à ce combat que vous appelez les Catholiques de France. Nous savons pouvoir compter sur les diocèses de France afin qu’ils fassent retentir vos mots et que l’Eglise de France soit unie dans un seul et même enseignement. Car il nous faut autant lutter contre les actes que contre l’indifférence et dénoncer avec Mgr Ravel, « l’inconscience de ceux qui ne les commettraient pas mais qui ne s’insurgent pas contre eux. Leur silence les cautionne, leur indifférence les nourrit. »
C’est avec les mots du Pape François rappelant « la complète contradiction » de l’antisémitisme avec le fait d’être chrétien en le qualifiant de «rejet de ses propres origines » et faisant du dialogue interreligieux « l’outil indispensable pour lutter contre l’antisémitisme » que je conclurai.
Alors, oui, poursuivons sans relâche le dialogue, entamé dès 1947 par Jules Isaac et les pères fondateurs de l’Amitié Judéo-Chrétienne ; il a porté ses fruits et cette déclaration du conseil des Évêques de France en est une étape importante.
Merci pour vos paroles courageuses et déterminées et merci d’engager par ce texte les Catholiques de France à briser le mur du silence, le mur de l’indifférence.