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Publié le 27 janvier dans Libération
Des jeunes de l'Union des étudiants juifs de France ont apposé, dans la nuit de dimanche à lundi, des affiches avec la liste des noms et prénoms d'enfants juifs sur les immeubles parisiens d'où ils ont été raflés.
«Passant, souviens-toi de leur nom.» Celui des milliers d’enfants «victimes de la barbarie nazie», immortalisés par les affiches commémoratives apposées, dimanche soir, sur des façades d’immeubles parisiens d’où ils ont été raflés… A l’occasion du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, une soixantaine de jeunes de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) ont collé sur ces murs les noms, prénoms et âges des enfants, à leurs anciennes adresses. Certaines rues ont disparu, comme la rue Corbeau, désormais Louvel-Tessier, où une quarantaine d’enfants ont été raflés pendant l’occupation nazie. D’autres habitations se sont transformées en commerces, écoles ou crèches. Sur les murs de l’hôpital Rothschild, l’essentiel des enfants dont on peut lire le nom n’avaient même pas un an quand ils ont été envoyés dans les camps de la mort.
Marcel 5 ans, Jacques 9 ans, Chana 15 ans, Baruch 16 ans.
La fratrie Wajcman vivait au 11 rue Bargue.
Ce lundi 27 janvier, plus d’une centaine de militants ont collé toute la nuit pour rendre les noms et prénoms des enfants déportés depuis @Paris #SouviensToiParis pic.twitter.com/zlCDMmtUoM— UEJF (@uejf) January 27, 2020
Entre 1942 et 1944, un peu plus de 6.000 enfants ont été arrêtés dans la capitale.
Dimanche soir, à Paris. Photo Cha Gonzalez pour Libération
Au 8, rue Popincourt, dans le XIe arrondissement, Jérémy Ktourza contemple, ému, la façade de l’immeuble où apparaissent désormais les noms des trois sœurs de son grand-père. Selma, Camelia et Rosa Sanarki avaient 16, 17 et 18 ans quand elles ont été déportées avec leurs parents à Auschwitz. L’étudiant de 24 ans a découvert leur adresse par hasard, en préparant l’action. «J’ai tenu à coller leur plaque moi-même, dit-il. C’est la première fois que je viens ici, à un endroit où je peux retrouver un bout de leur histoire.» En passant le pas de la porte, une habitante de l’immeuble lui confie qu’elle ignorait que ces murs avaient été le théâtre du génocide juif. «Penser à ces enfants en rentrant dans le hall, c’est déjà faire vivre leur souvenir pour empêcher qu’il ne s’estompe, et en faire autre chose que des chiffres et des registres», lance Capucine Sznajder. Elle sort de la pile d’affiches entassées celle qui commémore la sœur de son grand-père, gazée à 10 ans dès son arrivée à Auschwitz, le 24 août 1942. «Pour moi, c’est d’autant plus symbolique qu’elle est morte le jour de mon anniversaire», glisse l’étudiante de 20 ans.
L’idée des collages est née du documentaire les Enfants du 209 rue Saint-Maur, de Ruth Zylberman, qui retrace le parcours des dizaines d’enfants raflés à cette adresse, et d’une question qui leur a tous traversé l’esprit lors du visionnage : qu’en est-il de mon propre immeuble, de la rue que je traverse tous les jours, de celle où j’ai grandi ? «Là où j’habite, rue de Belleville, c’est une véritable hécatombe», rappelle Anaël Blum, déléguée nationale en charge de la mémoire. Une carte interactive, créée à partir des recherches de Serge Klarsfeld, recense les adresses des immeubles où plus de 6 000 enfants ont été raflés entre 1942 et 1944. Elle marque par l’ampleur des rues concernées, notamment dans l’Est parisien et dans le quartier du Marais. L’horreur culmine au 58, rue Crozatier, dans le XIIe, où 45 enfants ont été raflés. Le plus jeune n’avait même pas 1 an. Le groupe de militants fait une minute de silence après avoir énuméré tous les noms répartis sur une quinzaine de plaques. «Derrière cette liste, il y a des dizaines de visages, d’histoires qu’on essaie de réincarner, pour ne pas les oublier», souligne Noémie Madar, présidente de l’UEJF.
Ce lundi, des dizaines de chefs d’Etat se rassemblent sur le site d’Auschwitz pour commémorer la libération du camp de concentration le plus meurtrier par les troupes soviétiques, en 1945. «La cérémonie de cette année est importante car de plus en plus de survivants meurent, souligne Anaël Blum. Les Parisiens doivent se sentir concernés par cet état d’urgence de la mémoire : même avec les nombreux témoignages oraux, le négationnisme continue de se propager, alors maintenant que les voix vivantes commencent à disparaître, il faut trouver de nouvelles formes d’actions pour faire prendre conscience de l’ampleur de la Shoah.» Les étudiants de l’UEJF ont donc choisi de faire parler les murs.
L’horreur culmine au 58, rue Crozatier, dans le XIIe arrondissement, où 45 enfants ont été raflés. Photo Cha Gonzalez pour Libération
«Avec la mort des survivants, le temps de l’émotion se clôt et on entre davantage dans une phase d’éducation», poursuit Noémie Madar, qui insiste sur la «portée éducative» de ces plaques dans un contexte où l’antisémitisme «connaît une forte recrudescence» en France. Elle évoque de nombreux cas d’insultes ou de harcèlement à l’encontre des juifs dans les universités. «Ces plaques commémoratives servent aussi à rappeler que la haine des juifs mène à la mort, au travers du génocide mais également des nombreux crimes et attentats antisémites que l’on a connus ces dernières années», insiste la présidente de l’UEJF. Le groupe ne finit de coller les dernières plaques qu’au petit matin, en face du mémorial de la Shoah, à l’heure où les premiers passants posent leurs yeux encore endormis sur le nom des milliers d’enfants juifs assassinés.
22 Rue des Ecouffes, 75004 @Paris
Estery Golcymer, 10 ans
Bernard Goldstejn, 7 ans
Georges Goldstejn, 8 ans
Chana Blajchman, 10 ans
Fanny Blajchman, 3 ans
Jeanne Blajchman, 6 ansPassant, souviens-toi de leur nom pic.twitter.com/tYXYI9RmC1
— UEJF (@uejf) January 27, 2020