Lu dans la presse
|
Publié le 29 Janvier 2020

Allemagne/Antisémitisme - À Berlin, le président israélien à l’écoute de jeunes juifs allemands sur l’antisémitisme

Reuven Rivlin a été reçu mardi par son homologue allemand dans le plus grand lycée juif de la capitale. Il prononcera mercredi un discours devant le Bundestag.

Publié le 28 janvier dans Le Figaro

Reuven Rivlin est l’hôte pour deux jours de son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier mais, mardi 28 janvier, dans le foyer du gymnasium Moses Mendelssohn, le plus grand lycée juif de Berlin, le président israélien donnait parfois l’impression d’être la puissance invitante.

Face à un parterre d’une quarantaine d’élèves, majoritairement de confession juive, il a implicitement invité à ces derniers à émigrer en Israël et à marcher sur les traces des fondateurs de l’État sioniste. «Vous êtes bienvenus en Israël» leur a-t-il lancé, mêlant dans ses interventions, traits d’humour et leçons de patriotisme, vantant notamment les mérites de l’équipe nationale de basket. Sur la chaise à côté, le chef de l’État allemand, s’excusant parfois d’interrompre un hôte trop volubile, en est resté au registre de la gravité et de la culpabilité, celle qui consiste à représenter, face aux descendants des victimes, un État qui a conçu la Shoah et reste, soixante-quinze ans plus tard, rongé par l’antisémitisme.

"Cette enseignante m’a dit : "si Hitler était encore en vie, tu serais morte !"" Une élève du lycée Moses Mendelssohn

«Avez-vous connu des expériences négatives en matière d’antisémitisme dans votre scolarité antérieure?», s’inquiète Frank-Walter Steinmeier, s’adressant aux élèves qui ont rejoint sur le tard le gymnasium Moses Mendelssohn. Une jeune fille noire, non juive, s’apprête à raconter un souvenir pénible avec une enseignante de son ancienne école. Puis elle s’interrompt brusquement et demande d’un ton inquiet: «Est-ce que je peux prononcer son nom?» Sans attendre la réponse, elle enchaîne: «Cette enseignante m’a dit: «si Hitler était encore en vie, tu serais morte!» Après cela, ses parents l’ont inscrite au lycée juif. «Depuis, mes yeux se sont ouverts» sur l’antisémitisme, explique-t-elle. Une de ses camarades raconte qu’un de ses amis juifs est harcelé dans son école. Une autre se voit interdire par ses parents toute promenade dans Berlin avec une étoile de David autour du cou.

«Quand je suis retourné dans mon ancienne école à Berlin, mes camarades se sont moqués de moi et ont dit: «Tiens, voilà la nouvelle juive», raconte à son tour Deborah. «Tu es avant tout un être humain!» tente de la réconforter le président Rivlin. «Mais ils ne comprennent pas!», renchérit la jeune fille, visiblement traumatisée. «Crois-moi, ne fais pas attention à tout ça. Dieu nous protège», lui répond le chef de l’État israélien.

Le «même démon» qui pervertit à nouveau l’Allemagne

Après Jérusalem, jeudi dernier, et Auschwitz, lundi, Reuven Rivlin achève à Berlin le troisième et dernier volet des commémorations de l’Holocauste en compagnie de son homologue allemand. Après un tête-à-tête avec Angela Merkel, il prononcera mercredi matin un discours important devant le Bundestag.

Déjà, devant le mémorial de Yad Vashem, Frank-Walter Steinmeier avait exprimé «sa plus profonde tristesse» à la vision du «même démon» qui pervertit à nouveau son pays. Au lycée Moses Mendelssohn - célèbre Juif allemand des Lumières et grand-père du compositeur - il a constaté que l’éducation des familles et de l’école était souvent impuissante à combattre «l’influence négative des réseaux sociaux». «Même si ma page Facebook est régulièrement contrôlée, j’y ai lu la semaine dernière des commentaires incroyables», avoue, choqué, le président allemand.

En contraste, Reuven Rivlin a vanté la vitalité d’un «État juif démocratique», fort de sa diversité d’origine et linguistique, la cohésion patriotique d’une armée qui protège sa population, et de sa ville natale Jérusalem. «L’existence d’Israël n’est pas une compensation au titre de l’Holocauste mais la patrie de tout l’État juif dont nous sommes très fiers», a-t-il répété. En attendant peut-être, un jour, de succomber à la tentation de l’Alya - l’émigration en terre d’Israël - les jeunes Juifs allemands tentent de se fondre, simplement, dans leur propre pays. «J’ai été choquée d’apprendre que des Allemands ignoraient que des Juifs vivaient encore en Allemagne. D’autres s’en tiennent uniquement au stéréotype du Juif, défini comme victime de la Shoah», regrette une jeune lycéenne, qui milite dans une association. «Ils ne comprennent pas que nous sommes aussi, de simples adolescents.»