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Publié le 11 Décembre 2019

Europe/Antisémitisme - Italie: rassemblement autour de Liliana Segre, une survivante de la Shoah victime d'antisémitisme

La sénatrice, survivante de l'Holocauste, est la cible régulière d'attaques antisémites sur Internet. Une marche en soutien a été organisée le 10 décembre à Milan.

Publié le 10 décembre dans Le Point

C'est une petite cohorte compacte d'écharpes tricolores qui a investi le centre de Milan hier soir. Quelque 600 maires, venus de toute l'Italie, ont répondu présent à l'appel lancé par Giuseppe Sala, édile de la capitale lombarde. Une marche contre la haine et le racisme organisée par l'élu en soutien à l'un de ses plus célèbres administrés : Liliana Segre.

Cette rescapée d'Auschwitz de 89 ans est une cible régulière d'attaques antisémites sur les réseaux sociaux, notamment depuis sa nomination, début 2018, de sénatrice à vie par le président de la République Sergio Mattarella. Mais, à l'automne dernier, les messages de haine se sont multipliés – jusqu'à 200 par jour, affirmait le quotidien La Repubblica – quand le Sénat italien a décidé de voter la mise en place d'une commission parlementaire chargée de lutter contre le racisme et l'antisémitisme : un projet initié par Liliana Segre. Face à la violence, les autorités milanaises ont été obligées de placer l'octogénaire sous protection policière permanente.

Laisser « la haine aux anonymes du clavier »

Déjà en novembre, écœurés par ce déferlement de haine, plusieurs milliers de Milanais avaient bravé la pluie pour témoigner leur soutien à la sénatrice. Hier soir, ils étaient encore présents pour accompagner le cortège de maires venus de tout le pays pour marcher, comme une « escorte civile » disent-ils, aux côtés de la parlementaire lombarde. Sous les acclamations et les applaudissements, Liliana Segre, émue et souriante, a été la seule à prendre la parole, appelant à laisser « la haine aux anonymes du clavier ».

Née dans une famille juive de Milan en 1930, Liliana Segre a vu sa vie entièrement basculer lorsque le régime de Mussolini a décrété, en 1938, des lois raciales contre les quelque 50 000 juifs vivant sur le territoire italien. Contraints à l'exil, ses proches et elle ont tenté en vain de trouver refuge dans le Tessin, en Suisse voisine. Expulsés vers l'Italie, ils ont été ensuite arrêtés et transférés de prison en prison jusqu'au 30 janvier 1944. Ce jour-là, depuis la tristement célèbre quai 21 de la gare centrale de Milan (alors occupée par les Allemands), Liliana Segre est envoyée vers les camps de concentration de l'Europe de l'Est. Son père mourra à Auschwitz en avril et ses grands-parents paternels, arrêtés au printemps, y seront exécutés au mois de juin. La jeune Liliana, 14 ans, devenue un simple numéro tatoué sur le bras, 75190, est employée pendant un an dans une usine de munitions, propriété du groupe Siemens, jusqu'à la libération du camp par l'Armée rouge.

Quarante-cinq années de silence

Ils ne seront que 25 (sur 776) enfants italiens de moins de 14 ans à revenir de l'horreur concentrationnaire. Parmi eux, Liliana Segre. L'adolescente retrouve l'Italie et ses grands-parents maternels. Suivront alors quarante-cinq années de silence sur ce passé douloureux. Puis, devenue mère et grand-mère, quelque chose l'a « incitée à parler », explique-t-elle dans une longue interview dans Il Fatto Quotidiano. « Sans haine. Essayer de ne pas trop parler de la mort mais autant que possible de la vie », poursuit la sénatrice. Commence alors un long travail de mémoire et d'échanges avec les jeunes écoliers et les étudiants italiens. « Comprendre est impossible, mais connaître est nécessaire », rappelle-t-elle régulièrement, empruntant les mots de Primo Levi, autre compatriote rescapé des camps.

Une bataille pour la mémoire dans laquelle Liliana Segre vient de perdre un allié et ami. Il y a quelques jours, en effet, Piero Terracina, le dernier juif romain survivant des camps de concentration, s'est éteint à 91 ans. « Nous ne nous sommes rencontrés que bien des années après, mais nous étions tous deux sur la même barricade que représente le témoignage », évoquait-elle récemment dans la presse italienne, soulignant cette « fraternité silencieuse » qui les unissait. Une perte qui ravive les craintes de la sénatrice : « Je crois que la mémoire se cultive trop peu et que, avec notre disparition, tout finira. »

« Le climat s'est aggravé »

Malgré cela, la parlementaire poursuit son combat contre la haine et contre « l'indifférence mortelle ». « Le climat s'est aggravé, s'inquiète-t-elle. Quatre-vingts ans ont passé depuis les lois racistes et [aujourd'hui] le racisme est minimisé, il est toléré. […] Il y a une forme de réhabilitation de ces années. Il y a un danger à ce que l'on retourne vers des formes lourdes de discrimination. »

Et les récents déferlements de haine sur les réseaux sociaux semblent confirmer qu'en Italie « l'antisémitisme n'est jamais éteint », souligne Liliana Segre. En 2018, l'Observatoire de l'antisémitisme transalpin recensait 197 cas d'antisémitisme dans le pays. En forte hausse par rapport aux années précédentes, Internet restant le principal canal de haine, selon le rapport qui souligne que « l'antisémitisme en ligne s'exprime ouvertement ».

Pourtant, à l'heure de voter pour la naissance de la commission parlementaire contre le racisme et la haine, les partis de la droite italienne (Forza Italia de Silvio Berlusconi, La Lega de Matteo Salvini et les post-fascistes de Fratelli d'Italia) ont, eux, choisi de s'abstenir, craignant, disent-ils, de voir la liberté d'expression restreinte. Un choix politique qui a laissé la sénatrice Segre « déçue » et « étonnée ». Et d'envoyer un message clair : « Il n'est plus possible de rester indifférent, et je le dis, moi qui ai la haine inscrite sur le bras. »

 

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