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Publié le 6 décembre dans Le Figaro
Qu’un responsable religieux s’exprime avant une élection n’est pas d’usage outre-Manche. Le 25 novembre, deux semaines avant les législatives, Ephraim Mirvis, grand rabbin du Royaume-Uni, a publié une tribune dans The Times . Son texte exprime l’angoisse de ses coreligionnaires face à un «nouveau poison» qui touche le Parti travailliste (Labour Party): l’antisémitisme. Si cet homme, qui représente 62 synagogues orthodoxes et un peu plus de la moitié des 263.000 juifs britanniques, a pris sa plume, c’est que la communauté s’inquiète. Des propos antisémites tenus par des membres du Labour n’ont entraîné ni sanction ni exclusion, mais seulement des avertissements ou des enquêtes internes. Deux exemples. Liam Moore, candidat à la députation à Liverpool (retiré depuis), avait vitupéré les «sionistes de Rothschild qui tiennent Israël et les gouvernements du monde». Lesley Perrin, membre du Labour, avait, elle, diffusé une vidéo négationniste, ce qui ne lui avait valu qu’une admonestation. «Que vont devenir les juifs et le judaïsme en Grande-Bretagne si le Parti travailliste compose le prochain gouvernement?» demande le rabbin Mirvis dans sa tribune du Times.
À partir de l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du parti en 2015, le sujet n’a cessé d’enfler. «Depuis qu’il est devenu président, explique Mike Katz, qui dirige le Jewish Labour Movement rassemblant des adhérents juifs, une culture d’antisémitisme a été tolérée et a empoisonné le parti à tous les niveaux.» Certains députés ont claqué la porte du groupe parlementaire pour cette raison. Et le débat continue à animer ses rangs. À deux reprises en 2018, Corbyn avait présenté des excuses publiques à ceux qui ont été «blessés» par des propos tenus par des «groupuscules au sein du parti». Mais ces gestes n’ont apaisé les critiques ni dans la sphère publique ni au sein de sa formation. En fait, son accession au pouvoir a consacré la victoire de l’aile gauche du Labour, qui ne prend pas de gants pour critiquer Israël et où les frontières entre antisionisme et antisémitisme sont souvent franchies. Corbyn lui-même a prêté le flanc au soupçon lorsqu’il a qualifié le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien de mouvements «amis» (propos qu’il a regrettés depuis). En 2010, il avait même dîné avec le dirigeant du Hamas Khaled Mechaal, lors d’une visite à Gaza.
Interviewé le 26 novembre, Jeremy Corbyn a refusé de présenter des excuses à quatre reprises alors que le célèbre journaliste de la BBC Andrew Neil le confrontait à des propos antisémites de membres du parti qui n’avaient entraîné aucune sanction. Preuve des dissensions au sein même de sa formation, deux personnalités du «cabinet fantôme», Richard Burgon, chargé de la Défense, et Nia Griffith, de la Justice, ont critiqué leur leader et présenté, eux, des excuses à la communauté juive britannique. La seconde a dit avoir «honte». Pis, en mai dernier, la Commission pour l’égalité et les droits de l’homme, un organisme public indépendant du gouvernement, a lancé une enquête sur le Labour pour établir si ce parti avait discriminé ou harcelé les juifs. Une démarche inédite pour cet organisme qui jusqu’ici n’avait pris qu’une seule formation sous sa loupe: le British National Party, groupe d’extrême droite au programme résolument raciste. D’ores et déjà, les juifs britanniques se sont fait une opinion: un sondage indique que 78% d’entre eux ne veulent pas de Jeremy Corbyn comme premier ministre.