- English
- Français
Publié le 11 octobre dans Libération
Depuis décembre 2018, la France et l’Allemagne ont mis en place un groupe de concertation bilatéral sur la question de l’antisémitisme. L’objectif est d’en faire une priorité en Europe. Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, Frédéric Potier se rend régulièrement outre-Rhin.
Avez-vous été surpris par cette tragédie en Allemagne ?
Je n’ai pas été particulièrement surpris, non. Lors de notre dernière rencontre en septembre, mon homologue allemand, Felix Klein, m’a fait part de sa vive inquiétude, en raison de l’augmentation des actes antisémites l’an passé et de la progression de l’extrême droite.
Y a-t-il un risque équivalent en France ?
Il y a ici, c’est évident, des groupuscules à l’œuvre. Mais si nous sommes inquiets, nous sommes aussi extrêmement vigilants. En France, une étroite collaboration existe entre le ministère de l’Intérieur et les instances communautaires juives afin de prendre les mesures de sécurité actives, les patrouilles, et celles dites passives, c’est-à-dire les infrastructures comme la vidéo ou les portails.
Le point commun fondamental entre la France et l’Allemagne, c’est la progression d’une extrême droite violente qui se revendique comme telle et qui tient des discours de haine désormais décomplexés. A Berlin, nous avons longuement parlé avec des experts français et allemands, des historiens, des sociologues sur l’influence de ces discours de haine et la manière qu’ils ont de susciter les passages à l’acte.
Quelles différences y a-t-il entre les deux pays ?
En Allemagne, l’extrême droite est forte au Parlement. Elle remet aussi en cause la politique mémorielle concernant la mémoire de l’holocauste. Elle a une volonté de réécriture de l’histoire qui a prévalu depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette extrême droite est engagée dans une sorte de combat historique.
Mais le négationnisme existe aussi en France ?
Le négationnisme progresse même très fortement, en France, sur les réseaux sociaux. Comme les théories du grand remplacement ou le conspirationnisme…
Pourquoi ce groupe de travail commun existe-t-il entre la France et l’Allemagne ?
Nous avons des points communs très forts, en particulier des questionnements en matière d’éducation pour prévenir ce type d’actes. Il y a aussi la même volonté de lutte contre la haine sur Internet. Nous avons des programmes de formation assez similaires en direction des gendarmes et des magistrats afin qu’ils repèrent et qualifient les actes antisémites ou racistes.
En Allemagne, votre homologue a été nommé seulement cette année. N’avez-vous pas l’impression que le pays n’a pas pris suffisamment tôt conscience des dangers de l’antisémitisme ?
Je ne sais pas s’ils ont tardé ! Je ne vais pas vous dire oui ou non… Mais, entre partenaires européens, nous regardons ce qui marche et ce qui ne marche pas en matière de lutte contre l’antisémitisme ; nous essayons de trouver les meilleures pratiques opérationnelles et de ne pas nous cantonner au discours moralisateur. Plusieurs Etats sont totalement dépourvus de structures dédiées. Cela fait défaut tout particulièrement dans des pays de l’Est, comme la Pologne ou la Hongrie. L’antisémitisme y progresse mais la réponse étatique n’est pas à la hauteur des enjeux.