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Publié le 17 novembre dans Le Monde
C’était le premier sujet à l’ordre du jour du Conseil de Paris, mardi 17 novembre. Avant d’examiner le budget 2021 ou le plan de soutien à l’emploi, les élus parisiens ont tenu à rendre hommage à Samuel Paty, le professeur d’histoire-géographie assassiné par un islamiste radical le 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), tout près de son collège. Après une minute de silence et des déclarations de circonstance, le Conseil de Paris a décidé, à l’unanimité, de donner prochainement le nom de Samuel Paty à un lieu de la capitale, une rue, une place ou un jardin, encore à identifier.
« Nous devons rendre hommage à ceux qui, comme Samuel Paty, enseignent à leurs élèves les principes de la liberté d’expression et de la laïcité », a déclaré le conseiller de Paris et sénateur Rémi Féraud, auteur de la proposition, au nom du groupe Paris en commun d’Anne Hidalgo.
Cette décision prise sans difficulté a pourtant provoqué dans les couloirs de l’Hôtel de ville et sur les réseaux sociaux un emballement soudain, les écologistes du Conseil se retrouvant accusés à tort de ne pas vouloir rendre hommage à Samuel Paty. Un exemple de « fake news » qui se propage à la vitesse de l’éclair.
Tout est parti de l’intervention de Fatoumata Koné, la présidente du groupe des élus écologistes. Tout en affirmant que les Verts allaient voter en faveur de ce projet, elle a souligné que la décision constituait une entorse à une règle du Conseil de Paris : en principe, l’attribution d’un nom à un lieu ne doit intervenir que cinq ans au moins après la mort de la personne concernée. Il s’agit d’éviter des choix précipités, pris sous le coup de l’émotion.
Anne Hidalgo, qui présidait la séance, n’a guère apprécié ce rappel des règles communes. La maire a regretté que les élus ne soient pas tous parfaitement alignés « sur un événement aussi majeur que la décapitation d’un professeur dans le cadre d’un attentat terroriste ».
Puis est intervenu le vote. Comme une partie des élus participaient de chez eux, par Internet, le scrutin n’a pas eu lieu à main levée, mais de façon électronique, et le décompte des voix a été annoncé de façon un peu confuse : 122 votes pour, 20 abstentions. Il ne s’agissait en réalité pas d’abstentions. Certains élus n’avaient simplement pas pris part au vote, parfois parce qu’ils ne maîtrisaient pas le nouveau dispositif.
Plusieurs élus de droite ont immédiatement accusé les écologistes de s’être abstenus, sans la moindre preuve. Geoffroy Boulard, le maire (Les Républicains, LR) du 17e arrondissement, a vilipendé sur Twitter la « honteuse attitude » des élus Verts, « incapables de soutenir la dénomination d’une place en mémoire de Samuel Paty ». Ajoutant : « Ce vote démontre que le combat contre l’islamisme ne fait pas l’unanimité à Paris. Anne Hidalgo doit clarifier ses alliances en urgence. »
Son collègue du 16e, Francis Szpiner, a lui aussi crié au scandale. Dans la foulée, mélangeant les faits, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) s’est énervée à son tour sur Twitter devant le « spectacle désolant » donné par la supposée absence d’unanimité au Conseil de Paris : « Les 20 abstentionnistes qui ont notamment excipé d’un texte [de] 1938 imposant cinq ans après le décès ont en revanche rendu hommage à l’esprit munichois de l’époque. »
Au bout d’une heure, la réalité du vote a émergé. Les écologistes ont fait savoir clairement qu’ils avaient voté pour qu’un lieu reçoive le nom de Samuel Paty, et critiqué les attaques des maires LR. « Cette instrumentalisation politicienne par la droite est à vomir », a commenté David Belliard, l’élu qui menait la liste écologiste au premier tour des municipales.
Les élus montés au créneau ont, eux, rétropédalé. « In fine, les Verts ont majoritairement voté pour. Dont acte », a ainsi écrit M. Szpiner sur Twitter. « Mais c’était crédible… », confiait-il dans les couloirs.
M. Boulard a pour sa part fait suivre son premier message d’un deuxième l’atténuant un peu : « Pour être complet sur ce sujet, le détail des votes électroniques que nous venons d’obtenir (enfin !) montre aussi des problèmes techniques pour certains votes d’élus à distance. » Tout en poursuivant : « Cela n’enlève rien aux propos réticents et donc inadmissibles de la présidente des écologistes parisiens. » Comme souvent en pareil cas, les messages accusatoires ont été assez massivement repris sur Internet. Les correctifs, beaucoup moins.