- English
- Français
Publié le 18 octobre dans Le Figaro
Une colère froide, palpable. Plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans toute la France, dimanche, pour rendre hommage à Samuel Paty, le professeur d’histoire décapité vendredi dans les Yvelines, et pour dire leur exaspération face à la barbarie. À Paris, le premier ministre Jean Castex, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, la maire de Paris Anne Hidalgo, la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse ou encore le chef des Insoumis Jean-Luc Mélenchon, ont notamment participé à un rassemblement place de la République. Les patrons de La République en marche, Stanislas Guerini, du PS, Olivier Faure, et d’Europe-Écologie-Les Verts, Julien Bayou, étaient également sur place. Tout comme l’eurodéputé EELV Yannick Jadot.
Mais le climat n’était pas à l’unité nationale. Des responsables LR ont ainsi refusé de participer à ce rassemblement. «Il y a eu trop d’attaques sans vraies ripostes. Trop de marches suivies de trop de reculs. Trop d’hommages sans courage», a par exemple tweeté le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau. Du côté du Rassemblement national, les responsables sont plutôt «dans l’action politique, travaillent à quelque chose de plus concret et en ont un peu marre de la politique de la bougie», a indiqué le parti.
Je suis très choquée. Il y a eu Charlie, l’Hyper Cacher, le Bataclan, le prêtre égorgé, les policiers… Ça suffit ! Maintenant, il faut de la fermeté !
Dans la capitale, la foule était très compacte et quelques drapeaux français étaient visibles dans les rangs. De nombreux manifestants ont fait part de leur indignation après l’assassinat de Samuel Paty. «Je suis très choquée. Il y a eu Charlie, l’Hyper Cacher, le Bataclan, le prêtre égorgé, les policiers… Ça suffit! Maintenant, il faut de la fermeté!», expliquait par exemple Simone, 73 ans, une enseignante à la retraite, munie d’une pancarte clamant «Tolérance zéro pour tous les ennemis de la République». Un peu plus loin, Alexandre, 23 ans, avait, lui, décidé de venir manifester avec la une du Charlie Hebdo republiée cinq ans après les attentats de janvier 2015. «C’est un symbole. Il faut être fort en montrant ces caricatures et en les republiant», estimait l’étudiant.
Certains Français musulmans ont tenu eux aussi à faire entendre leur voix. Comme Latifa, une hôtesse de l’air de 46 ans, venue avec son petit-neveu. «Je suis là pour exprimer mon écœurement. J’étais déjà là en 2015. Cet acte barbare ne représente pas ma religion», expliquait-elle.
Parmi les manifestants, qui ont enchaîné les minutes d’applaudissements, de nombreux slogans résumaient l’état d’esprit de la foule. «Samuel assassiné, des milliers de profs toujours debout», «Il fait sombre au pays des Lumières» ou tout simplement «Je suis Samuel Paty», pouvait-on lire sur des pancartes. D’autres slogans étaient plus offensifs.«Non aux escrocs de l’islamophobie» ou encore «Nous sommes en France! Pas à Kaboul!», clamaient plusieurs messages. Sur place, certains manifestants se disaient particulièrement préoccupés pour l’avenir du pays. «Je veux que mes enfants et mes petits-enfants vivent normalement, comme nous. Il faut que ceux qui viennent en France respectent nos règles et notre mode de vie», estimait ainsi Alberte, 84 ans, venue avec un drapeau français à la main. «On veut nous enlever notre liberté d’expression. Certains essaient de nous imposer leurs règles et ne sont pas d’accord avec notre façon de vivre», abondait son amie Marie-Louise, 73 ans, craignant que la situation «dégénère en guerre civile».
"Avant, on pouvait dire plus de choses. Je suis venue car je ne veux pas que notre liberté de penser soit prise par d’autres. Je ne sais pas quel monde on va laisser à nos enfants". Véronique, 56 ans
À quelques mètres de là, Véronique, 56 ans, se montrait elle aussi très inquiète. «Avant, on pouvait dire plus de choses. Je suis venue car je ne veux pas que notre liberté de penser soit prise par d’autres. Je ne sais pas quel monde on va laisser à nos enfants», se questionnait cette mère de famille originaire de banlieue parisienne. Avant de poursuivre: «On doit pouvoir s’exprimer et débattre dans notre pays sans être taxé de racisme.»
D’autres ont refusé de se joindre au rassemblement. «Je ne défilerai pas aux côtés de ceux qui tiennent la porte à l’idéologie des assassins, a par exemple expliqué l’essayiste Céline Pina. Je ne défilerai pas avec la FCPE, qui a défendu le port du voile, donc l’humiliation et l’infériorisation de la femme, alors même que ce signe (…) est un marqueur des islamistes. (…) Je ne défilerai pas aux côtés de la LDH, acteur majeur de la légitimation en son temps de Tariq Ramadan.»
Des rassemblements ont également eu lieu ailleurs en France dimanche. À Lyon, 12.000 personnes se sont réunies place Bellecour, selon la préfecture, face à la statue de l’Homme de pierre, symbole de la Résistance. Certains manifestants arboraient un autocollant «Je suis enseignant» au revers de leur veste ou une rose à la main. À Bordeaux, la place de la Bourse s’est remplie peu après 15 heures pour rendre hommage au professeur assassiné. Du côté de Toulouse, quelque 5 000 personnes, selon le syndicat enseignant FSU, se sont rassemblées place du Capitole. À Marseille, environ 2500 personnes ont marché dans les rues de la ville avant de se disperser devant la préfecture.
Il y a également eu des rassemblements à Lille, Strasbourg, Nice, Bastia, Grenoble ou encore Nantes. À Rouen, le Comité interconfessionnel a déposé une gerbe en hommage à Samuel Paty devant la stèle érigée en mémoire du père Jacques Hamel, assassiné à Saint-Étienne-du-Rouvray. Ses membres ont ensuite observé une minute de silence. Un hommage national sera rendu mercredi à Samuel Paty, en coordination avec sa famille, a annoncé l’Élysée samedi, sans encore en préciser le lieu.