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Publié le 1er juillet dans Le Parisien
C'est une affaire qui illustre le risque d'exfiltration de djihadistes vers la France. Avec la perte des territoires naguère contrôlés par le groupe Etat islamique (EI), l'instabilité en Syrie et la vulnérabilité des camps kurdes, les services de renseignement craignent que des combattants gagnent clandestinement le sol européen en bénéficiant de l'aide de puissants réseaux de passeurs.
Dans ce cadre, une opération antiterroriste a été menée mardi 30 juin dans la matinée par les policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et de la Sous-direction antiterroriste (Sdat). Deux hommes de 32 et 42 ans, nés en Tunisie, ont été interpellés à Paris et La Courneuve (Seine-Saint-Denis) et placés en garde à vue pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Ils sont soupçonnés d'être membres d'un réseau européen prenant en charge, en France et en Allemagne, des djihadistes ayant séjourné au sein de Daech, en leur fournissant faux papiers et logements. Les suspects étaient eux-mêmes en contact avec des passeurs turcs proches de l'organisation terroriste. Les enquêteurs tentent de déterminer si les deux hommes savaient qu'ils facilitaient le retour de djihadistes ou s'ils œuvraient dans le cadre d'une filière d'immigration irrégulière plus large.
Dans ce dossier ouvert à l'automne 2019 par le Parquet national antiterroriste (Pnat), cinq autres personnes âgées de 25 à 34 ans sont déjà mises en examen. Les investigations révèlent que le système a permis d'aider au moins un combattant à entrer en France. Mohamed F., 30 ans, a été interpellé à Villers-Côtterets (Aisne) en octobre par les agents de la DGSI. Ce Tunisien ayant combattu pour Daech est parvenu à quitter la Syrie et entrer sur le territoire national en 2019 sans se faire remarquer grâce à ce réseau de facilitateurs. Il aurait préalablement séjourné en Allemagne. Un cas inquiétant, d'autant que l'homme a occupé d'importantes responsabilités au sein de l'organisation djihadiste, mais toutefois rare à ce jour. Il est aujourd'hui incarcéré en région parisienne. Les autres suspects, dont une femme de nationalité allemande, ont été arrêtés dans l'Aisne et le Rhône.
D'après l'enquête, Mohamed F. tenait des propos radicaux. Mais les policiers antiterroristes n'ont décelé pour l'heure aucun projet d'attentat. Un écrivain tunisien avait consacré un livre au parcours de ce combattant de Daech, qui se présente comme un déserteur. On y apprend que le jeune homme originaire de Nabeul (nord-est de la Tunisie) a épousé les thèses salafistes au moment de la révolution tunisienne au début des années 2010. Soupçonné de comploter contre le régime de Zine El-Abidine Ben Ali, Mohamed F. aurait été arrêté et torturé en prison.
A sa sortie en 2014, il rejoint l'EI à Raqqa en Syrie, en passant par la Turquie et intègre immédiatement un bataillon de soldats envoyé sur les champs de guerre. Il participe à la lapidation d'une femme ayant eu des relations hors mariage et aide un membre de la police religieuse à couper la main d'un voleur. Déçu finalement par la vie sous Daech, agacé de ses divergences religieuses avec les émirs et la persécution de ses compatriotes tunisiens, il aurait finalement revendu sa kalachnikov et se serait enfui en 2017 avec l'assistance de djihadistes rivaux proches d'Al-Qaïda. Avant que l'on retrouve sa trace, sous un faux nom, dans l'Aisne, deux ans plus tard…
Les investigations menées sur le réseau de Mohamed F. doivent déterminer si d'autres djihadistes ont pu, comme lui, rentrer en Europe incognito.