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Publié le 29 août dans France Inter
Ahmed Merabet est la douzième victime des frères Kouachi. Le 7 janvier 2015, juste après l’attentat contre Charlie Hebdo, le policier a foncé sur place, appelé pour une fusillade sans savoir qu'il allait se retrouver face à des terroristes qui l’ont abattu froidement, à l’arme de guerre, dans la rue. Il avait 40 ans.
"Ahmed Merabet était Français, d’origine algérienne et de confession musulmane, très fier de s’appeler Ahmed Merabet et de représenter la police française, de défendre les valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité", résume son frère Malek, bouleversé, lors du vibrant hommage familial juste après l’attentat du 7 janvier 2015. "Ahmed était un homme d’engagement", poursuit Malek, la voix entrecoupée d’un sanglot. Autour de lui, tous les frères et sœurs sont en larmes aux côtés de leur maman. Depuis, la famille Merabet n'a pas beaucoup parlé, préférant vivre son chagrin en silence. Ce jour-là, elle a dit l'essentiel sur Ahmed, le fils, le frère chéri, tombé sur le bitume d’un trottoir de Paris un matin d’hiver, assassiné par des terroristes islamistes qui disaient venger le prophète Mahomet. Les frères Kouachi ont tué Ahmed Merabet au nom d’Allah. Allah en qui croyait aussi Ahmed Merabet. "Il ne faut pas mélanger les extrémistes et les musulmans, les fous n’ont ni couleur ni religion. L’islam est une religion de paix, de partage et d’amour", insiste Malek Merabet, lors de cet hommage pudique qu’il rend à son frère Ahmed.
Ahmed Merabet est né dans une famille unie, le 8 février 1974, en région parisienne. La famille est modeste. Ahmed est travailleur. Il se bat pour commencer à gravir le échelons de la société. Il commence à bosser dans un fast-food, puis à la SNCF, avant de réaliser son rêve d’enfant : devenir policier. Ahmed Merabet débute dans la police nationale en tant que gardien de la paix. Il est affecté au commissariat du 11e arrondissement de Paris, en 2008. François [le prénom a été changé] était devenu l'un de ses grands amis de la police. “Ahmed était très calme, il était gentil, souriant, serviable, il était aimé de tout le monde au commissariat”, témoigne-t-il. Ensemble, ils ont “patrouillé des centaines de fois, en police secours” pour des bagarres, des violences, des accidents. À chaque intervention, François se souvient qu’Ahmed Merabet prenait le temps de parler, posément. Souvent, une fois l’intervention achevée, ses collègues n'avaient pas spécialement envie de s'attarder, "mais lui voulait toujours discuter avec les gens, il adorait discuter, et jamais il ne s’énervait", raconte son copain de terrain. Dans le 11e arrondissement de Paris, Ahmed Merabet était très connu par les habitants, les commerçants. "On ne pouvait pas faire un pas rue de Lappe, par exemple, sans que les cafetiers nous interpellent et proposent un café à Ahmed".
Ahmed pour les intimes au commissariat, c’était "Mémed". Il était aussi surnommé "Monsieur Baudelaire" pour les procès-verbaux qu’il rédigeait impeccablement, se souvient François. "Dès qu’il y avait un PV à taper, il était toujours le premier candidat, il écrivait très bien, il avait une très très belle écriture, c’est pour ça qu’on l'appelait Baudelaire". Appliqué et consciencieux, Ahmed Merabet était aussi un excellent camarade. Quand il partageait un verre avec ses collègues après le boulot, "il proposait toujours de nous ramener, même pour ceux qui habitaient loin, même si ce n’était pas sur son chemin", indique François. Ahmed Merabet était généreux. Il vivait à Livry-Gargan où il avait acquis un petit pavillon dans lequel il vivait avec sa compagne. Ahmed Merabet était aussi un fils très affectueux, toujours inquiet pour sa maman. "Il me parlait beaucoup de sa maman, il l’aidait souvent pour faire les courses, s'assurait qu’il ne lui manquait rien", raconte François. "Ahmed était le pilier de la famille", avait témoigné son frère Malek dans son hommage après l’attentat. "Ahmed, homme d’engagement, avait la volonté de veiller sur sa maman et les siens, depuis la disparition de son père il y a vingt ans". Ahmed aura donc passé la moitié de sa vie à être le protecteur de la famille. Il était aussi "un frère taquin, un tonton gâteau, un compagnon aimant", dit son frère Malek. Toute la famille Merabet était fière d’Ahmed et de son travail. En ce mois de janvier 2015, Ahmed Merabet venait de réussir le concours d’officier de police judiciaire, il aurait dû commencer ce nouveau poste d’enquêteur judiciaire le lundi 12 janvier 2015.
Cinq jours avant, c’est donc l’un de ses derniers jours au planning de police secours. Ce jour-là, c’est son copain François qui a fait le planning et a choisi comment les équipes seraient organisées. François a affecté son copain “Mémed” au poste de conducteur pour la vacation du jour. “Je l’avais mis conducteur car il était l’un des meilleurs au volant, Ahmed conduisait vite et bien”, indique François, qui s’en est énormément voulu quand il a appris qu’Ahmed avait été touché par les terroristes. “Je me suis dit que si je l’avais mis chef de bord, côté passager, peut-être que son véhicule serait arrivé moins vite sur place, et qu’il ne se serait pas retrouvé nez à nez avec les terroristes”.
Quand Ahmed Merabet quitte le commissariat ce jour-là, il ne peut pas se douter qu’un attentat vient d’être commis à Charlie Hebdo. Sur les ondes radio de la police, les premières informations évoquent une fusillade, mais tous les policiers qui convergent en même temps - un véhicule de la BAC, des policiers à VTT, deux voitures de police secours - pensent qu’ils arrivent sur un braquage. A la place, ils doivent faire face à des terroristes armés de kalachnikov. Julien [le prénom a été changé], du commissariat du 12e arrondissement de Paris, était dans l’une des voitures siglées police nationale qui s’engage dans l’allée-Verte. Julien connaissait bien Ahmed Merabet. Ils patrouillaient aussi régulièrement ensemble. Quand Julien arrive face aux terroristes, il les prend d’abord pour des collègues de la BAC car le soleil l’éblouit, mais les tirs de kalachnikov visent sa voiture, “les balles sifflaient dans l’habitacle”. Julien riposte à l’aveugle, la tête collée au levier de vitesse. Son pistolet tente d’atteindre les terroristes à travers le pare-brise. Il n'échappe aux frères Kouachi que grâce au sang-froid de son conducteur qui enclenche la marche arrière tandis que lui riposte comme il peut, "pour les gêner". Cette riposte et cette marche arrière leur sauvent la vie, ils réussissent à s’extirper de leur véhicule boulevard Richard-Lenoir, "mais Ahmed n'a pas eu notre chance", se désole-t-il.
À quelques mètres, au même moment, Ahmed Merabet gare son Berlingo siglé police nationale, sans savoir que des terroristes sont en train d’arriver à bord d’une Citroën C3 noire. Ahmed Merabet cherche l’ennemi sans voir où il se cache ni à quoi il ressemble. Le policier court le sur le terre-plein central, au milieu du boulevard. Un tir de kalachnikov le fait chuter à terre. Son artère fémorale est touchée. Ahmed Merabet gémit. Chérif Kouachi, qui vient de le blesser, s’approche de lui et crie : “Tu veux nous tuer ?” Ahmed Merabet supplie : “ Non, c’est bon, chef”, et le terroriste le vise, froidement, d’une dernière balle, mortelle. La scène, cruelle, a été filmée par un riverain et qui a posté sans réfléchir la vidéo sur les réseaux sociaux. Des images insoutenables pour la famille. François, le copain de commissariat d’Ahmed, n’a jamais voulu les voir lui non plus, “par respect”.
Au commissariat du 11e arrondissement de Paris, personne n'a oublié Ahmed Merabet. Il est devenu un héros, un symbole. Sa photo est à l’entrée du bâtiment. À l’intérieur, un espace lui est dédié, dans une salle commune. Des artistes ont peint son portrait, il y a aussi des plaques lui rendant hommage, et des photos sur lesquelles Ahmed Merabet sourit de son sourire doux et franc. Le lieutenant Ahmed Merabet avait 40 ans.