- English
- Français
Publié le 18 janvier dans L'Express
En terminer avec l'impuissance face à ceux qui malmènent la cohésion nationale et la fraternité, face à ce qui méconnaît la République et bafoue les exigences minimales de vie en société, conforter les principes républicains : telle est l'ambition du projet de loi.
C'est le projet fort du quinquennat d'Emmanuel Macron. Le projet de loi contre le séparatisme, renommé projet de loi "confortant le respect des principes de la République", sera ce lundi sur le gril des députés avec en commission ses 51 articles qui, sur fond de lutte contre l'islamisme radical, touchent à des sujets ultrasensibles. Début février, le copieux projet sera au menu de l'Assemblée nationale durant deux semaines. Ce texte, présenté en conseil des ministres après l'assassinat de Samuel Paty en octobre, est destiné à lutter contre l'islam radical en réprimant les incitations à la haine et en renforçant les obligations imposées au culte musulman.
Près de 1 700 amendements ont été déposés. "On souhaite une discussion modérée... J'ai peu d'espoir", glisse alors l'un des rapporteurs. Certains amendements promettent déjà des échanges houleux, y compris au sein de la majorité, comme autour de l'interdiction du voile pour les petites filles ou les accompagnatrices scolaires, proposées par les députés LREM Aurore Bergé ou François Cormier-Bouligeon. Argument : "le consentement", "des enfants de 5 ou 6 ans n'ont pas forcément leur libre arbitre", a dit samedi Aurore Bergé sur France Inter. Un amendement pour lequel la présidente du m national, Marine Le Pen, s'est dite favorable.
Un autre amendement déposé vise les mamans accompagnatrices pour les sorties scolaires. Plus précisément, les mamans voilées et entend interdire le port du voile pour les accompagnants de sorties scolaires. Dans la même lignée, le député LR Éric Pauget souhaite que les "personnes participant à l'exercice ou aux travaux d'une mission de service public à titre rémunéré ou bénévolement" soient tenues de "respecter les exigences de neutralité religieuse", en réaction à la polémique autour de Maryam Pougetoux, porte-parole de l'Unef, pointée du doigt pour s'être présentée voilée à une commission d'enquête de l'Assemblée nationale en septembre.
Armer toutes les polices municipales de France, sanctionner de six mois de prison le port du voile intégral, lier la création d'un compte Twitter à l'envoi d'une pièce d'identité... Le panel d'amendements déposés apparaît comme un fourre-tout de nombreuses idées déjà apparues lors des débats publics.
De son côté, la Défenseure des droits (DDD) estime que le projet de loi comporte des "risques d'atteinte aux libertés", dont celles d'association et d'enseigner des parents, et pourrait par conséquent "affaiblir les principes républicains eux-mêmes". Il "risque de conforter une tendance générale (...) au renforcement global de l'ordre social", a souligné la Défenseure, Claire Hédon, dans un avis, regrettant que l'action publique se replie "une nouvelle fois dans la facilité apparente de la restriction des libertés" pour "atteindre un objectif d'intérêt général".
Plus d'un tiers des articles du texte "visent à renforcer les dispositifs de contrôle et près d'un quart définissent des peines d'emprisonnement", note-t-elle. Ce projet de loi ne mentionne pas la lutte contre "l'entrisme communautaire (...) pour l'essentiel d'inspiration islamiste", pourtant son objectif principal, mais "vise des catégories beaucoup plus larges" (personnels des services publics, associations, cultes...), regrette-t-elle encore.
La DDD épingle aussi l'article pénalisant les certificats de virginité, pratique controversée et peu répandue parfois demandée avant un mariage religieux. "Cette pénalisation risquerait de stigmatiser" les médecins et soignants soucieux de protéger les patientes de la pression de leur environnement familial, et "les priverait de la possibilité d'engager une discussion d'information et d'éducation", remarque la Défenseure des droits. Dès lors, "tantôt le projet semble indirectement viser une catégorie très spécifique de la population, ce qui peut poser problème au regard des principes d'égalité et de non-discrimination, tantôt, pour ne pas le faire explicitement, il prévoit des interdictions et sanctions d'application tellement vastes qu'elles sont hors de proportion avec la difficulté qu'il souhaiterait traiter".
Claire Hédon dénonce enfin la fin de la scolarisation à domicile pour tous les enfants dès 3 ans, sauf dérogations, en jugeant que l'étude d'impact n'étaye pas "le risque de prosélytisme au sein de l'instruction dans la famille". La liberté d'enseigner des parents, dont la "valeur constitutionnelle a été reconnue", "se trouve très amoindrie", insiste-t-elle.
Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT, a estimé que ce texte "confortant le respect des principes de la République" part d'un constat "juste". Mais, a-t-il ajouté, les réponses "peuvent être incomplètes et problématiques", la CFDT regrettant notamment que la question de l'islam en France "sous-jacente au débat autour de cette loi", ait "tendance à être traitée sous l'angle réducteur de la vigilance à l'islam radical".
Dans la foulée, Nathalie Verdeil (CGT) a souligné que son syndicat était "évidemment favorable à la lutte contre la montée des intégrismes", mais a dénoncé "un texte fourre-tout qui ne correspond pas à son titre, ni aux intentions données dans les présentations médiatiques". Comme les autres organisations syndicales, il s'est dit "nuancé" quant à l'article 1er prévoyant l'extension du devoir de neutralité aux salariés des entreprises délégataires de service public, estimant qu'il va falloir "un travail de précision".