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Publié le 11 Mai 2020

France/Antisémitisme - Il y a 30 ans, la profanation du cimetière juif de Carpentras indigne la France

La profanation du cimetière juif de Carpentras, dans la nuit du 8 au 9 mai 1990, reste l’un des actes antisémites les plus marquants de l’après-guerre en France. Il avait suscité une mobilisation historique, jusqu’au sommet de l’Etat.

Publié le 9 mai dans Sud-Ouest

Trente ans après, la profanation du cimetière juif de Carpentras reste un des actes antisémites les plus marquants de l’après-guerre en France : il avait suscité une mobilisation historique, jusqu’au sommet de l’Etat où la responsabilité de l’extrême droite avait été pointée du doigt.

Un cadavre exhumé et empalé

L’affaire, qui a marqué le deuxième septennat du président François Mitterrand, démarre dans la nuit du 8 au 9 mai 1990. Cinq néonazis âgés de moins de 25 ans, armés de pelles, pioches et pieds-de-biche saccagent 34 sépultures dans le carré juif du cimetière de cette cité du Vaucluse. Comble de l’horreur, le cadavre d’un homme, Félix Germon, 81 ans, décédé 15 jours plus tôt, a été exhumé, son linceul ouvert et son empalement simulé avec un pied de parasol.

 "Horreur et consternation"

Les jours suivants, la profanation fera la une des médias et de "Sud Ouest". "Horreur et consternation", titre en page intérieure le 11 mai le journal, en se faisant l’écho de la vague unanime de réprobation et de condamnation qui soulève le pays et la région. 

La une de Sud Ouest dimanche, le 13 mai 1990.

La une de Sud Ouest dimanche, le 13 mai 1990.  © Crédit photo : Archives Sud Ouest

L’onde de choc s’étend au pays tout entier

Dans la communauté juive de Carpentras, implantée dans la ville depuis au moins le XIIIe siècle, c’est la consternation et l’incompréhension : comment a-t-on pu s’en prendre à un des plus anciens cimetières israélites de France ? Partie de la cité du Vaucluse où les Juifs ont été protégés depuis le Moyen-Âge et pendant des siècles par la Papauté, et où se trouve la plus ancienne synagogue de France, l’onde de choc s’étend au pays tout entier. Pierre Joxe, alors ministre de l’Intérieur, se rend sur place le jour même de la découverte des faits et parle de "racisme, antisémitisme, xénophobie, intolérance et exclusion". Il met en cause les idées véhiculées par Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national (FN), devenu depuis le Rassemblement national (RN) dirigé par sa fille Marine.

"Racisme, antisémitisme, xénophobie, intolérance et exclusion"

Des personnes se recueillent le 13 mai 1990 à l’extérieur du cimetière juif de Carpentras profané dans la nuit du 8 au 9 mai.

Des personnes se recueillent le 13 mai 1990 à l’extérieur du cimetière juif de Carpentras profané dans la nuit du 8 au 9 mai.  © Crédit photo : Archives AFP

Les politiques de tous les autres bords condamnent, la société s’indigne. C’est le début d’une mobilisation qui fera date contre l’antisémitisme et culminera le 14 mai avec une manifestation à Paris rassemblant plus de 200.000 personnes, dont François Mitterrand.

Il s’agit d’une première pour un président de la République depuis 1945, et le restera jusqu’à la manifestation de 2015 après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, à laquelle participera François Hollande.

L’affaire marquera durablement la famille Le Pen et le FN

Le Front national, lui, se dit victime d’une "manipulation ignoble" et récuse tout lien entre ses discours xénophobes, les sorties antisémites ou négationnistes de Jean-Marie Le Pen et les passages à l’acte des profanateurs, que la justice mettra des années à identifier. L’affaire marquera durablement la famille Le Pen et le FN. Trente ans après, rebaptisé RN, il s’est très profondément implanté dans la région, devenue l’un de ses bastions. C’est dans l’une des circonscriptions de Carpentras qu’est élue en 2012, à 22 ans, Marion Maréchal, la petite fille de Jean-Marie Le Pen. Un symbole qui a permis de "laver l’affront" fait au nom des Le Pen, s’enorgueillira le patriarche.

La ville, elle, tente d’oublier, alors que pour beaucoup son nom reste associé à la profanation. Aucune commémoration n’est prévue cette année, pas plus que les précédentes, précise le maire divers gauche Serge Andrieu.

Une longue et laborieuse enquête judiciaire

Quant à l’enquête judiciaire sur la profanation, longue et laborieuse, de rumeurs en fausses pistes, dont certaines jettent injustement l’opprobre sur des familles de notables de Carpentras, elle durera sept ans. S’y illustre notamment Gilbert Collard, aujourd’hui député européen du RN. A l’époque avocat, il s’offre en 1990 un coup d’éclat médiatique en brandissant, dans une émission de TF1 relayant ces pistes sans fondement, une enveloppe censée contenir les noms des coupables.

Le dénouement intervient le 30 juillet 1996. Yannick Garnier, un ancien skinhead devenu agent de sécurité, se présente spontanément à la police et avoue être l’auteur, avec quatre complices, de la profanation de Carpentras, permettant à la justice d’aboutir. Lors de son procès, six mois plus tard, en avril 1997, il raconte être devenu "antisémite par conformité" à la fin des années 1980. Il sera condamné en avril 1997, avec trois autres complices, admirateurs d’Hitler mais sans lien avéré avec le FN, à des peines allant de 20 mois à deux ans d’emprisonnement ferme. 

Visant à célébrer Hitler, la profanation avait été longuement préméditée et orchestrée par Jean-Claude Gos, un ancien militant du Parti nationaliste français européen (PNFE), un groupuscule nationaliste dont le slogan était "France d’abord, blanche toujours", et Olivier Fimbry, qui effectuait à l’époque son service militaire. Mort en 1993 dans un accident de moto, Gos ne sera jamais jugé.

Le 4 décembre 2019, c'est la consternation en Alsace, après une nouvelle profanation d'un cimetière juif. Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner s'est rendu sur place en fin de matinée pour une "cérémonie de recueillement".

Le 4 décembre 2019, c’est la consternation en Alsace, après une nouvelle profanation d’un cimetière juif. Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner s’est rendu sur place en fin de matinée pour une "cérémonie de recueillement".  © Crédit photo : AFP

Les profanations se répètent

Depuis, les profanations se répètent au fil des ans. En décembre 2019, plus d’une centaine de tombes du cimetière juif de Westhoffen, à l’ouest de Strasbourg, ont été maculées de croix gammées, une profanation découverte mardi qui a semé la "consternation" en Alsace où une série d’actions similaires ont été perpétrées ces derniers mois.

"L’antisémitisme est un crime et nous le combattrons, à Westhoffen comme partout, jusqu’à ce que nos morts puissent dormir en paix", a tweeté le président Emmanuel Macron dans la soirée du 3 décembre 2019.