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Publié le 24 décembre 2020 sur le site Internet de France Musique
« Quand je reste quelque temps sans le toucher, je me sens mal. Je me sens coupable de passer tant de moments à faire autre chose. » À plus de 90 ans, le vieil homme, chevelure longue et grisonnante, n’avait jamais perdu de son amour de l’instrument. Ivry Gitlis, célébrissime musicien, est mort ce 24 décembre à Paris, après plus de 90 ans aux mains d’un violon, nous précise l'un de ses fils David Gitlis.
Magnifique interprète de Berg, Beethoven, Mendelssohn, Bach, Paganini et de la musique contemporaine, il aimait le jazz ou côtoyer les pop-stars, de John Lennon à Mick Jagger. Ivry Gitlis était sans équivoque la représentation des grands violonistes, pour le grand public. Pendant des années, ses passages sur les plateaux de télévision ont fait de lui un personnage incontournable du classique, apprécié et pédagogue.
France Musique rendra hommage à ce violoniste virtuose et légendaire, dès 15h dans l'émission "Relax" de Lionel Esparza et dans la matinale du 25 décembre de Jean-Baptiste Urbain.
Une vie dédiée au violon
Toute sa vie, l'instrument l’a accompagné. Sur toutes les scènes, tous les pays, avec tous les artistes. Il faut dire que si Ivry Gitlis n’est pas né avec un violon dans les mains -personne n’est musicien dans son entourage-, il va très rapidement en réclamer un. Alors qu’il n’a que 6 ans, sa famille et ses proches se cotisent pour lui offrir le précieux instrument. C’est le début d’une liaison fusionnelle.
Les premières notes, les premières leçons, et très vite, on repère chez le jeune Ivry un talent insoupçonné. L’enfant donne son premier concert à l’âge de 7 ans, en Palestine, là où il est né en 1922. Bronislaw Huberman (le futur patron du Philharmonique d’Israël) veille aux progrès de l’enfant. Très vite, il lui conseille de prendre la direction de l’Europe. Après une semaine de traversée de la Méditerranée, en quatrième classe, Ivry arrive à Marseille. Il n’a alors que 10 ans. À 12 ans, il entre au Conservatoire de Paris, rue de Madrid, mais en ressort un an plus tard. Ce n’était pas fait pour lui. Vient alors une succession « hachée d’accidents de parcours », comme il le décrit au Figaro, en 2012.
Passé à côté d’un concours
Et parmi ces péripéties, il y a la guerre. Ivry Gitlis traverse alors la Manche, pour retrouver le violoniste Carl Flesch, qui lui donnera des cours, et le fera rencontrer Jacques Thibaud et Georges Enesco. Ces deux-là deviendront ses mentors. Mais l’effort du conflit mondial le pousse à l’usine, où il travaille à la production de munitions. Le violon, pendant ce temps, n’est jamais loin. Il donne ses premiers récitals devant les soldats britanniques, dans les camps militaires et dans les hôpitaux, sous les bombardements. Il fait également son entrée à l'Orchestre Philharmonique de Londres, sur les ondes de la BBC.
Après l’Armistice, sa carrière va se lancer, progressivement. En 1951, il passe le prestigieux concours Thibaud. Parti favori, il termine cinquième. Et pour cause, sa participation au concours est ébranlée par une polémique. Certains accusent le jeune artiste d’avoir volé un Stradivarius durant la guerre. Scandale lors de la finale. Et pas de succès pour Ivry Gitlis à la clef.
Le spécialiste des grands concertos du XXe siècle
Qu’importe. Le violoniste est déjà vu comme un talent à Paris. Tout comme aux États-Unis, où il part se placer sous les ailes de Jascha Heifetz, un des plus grands instrumentistes de l’époque, outre-Atlantique. C’est là qu’il découvre les tournées, sous la coupe de George Szell et Eugène Ormandy. L’imprésario Sol Hurok, qu’il a aussi rencontré aux États-Unis, le pousse à enregistrer ses interprétations des grands concertos de Berg, Bartok et Sibelius. Il fait sensation sur les scènes américaines, et s’impose petit à petit comme la référence du violon et des pièces instrumentales de son siècle.
Ivry Gitlis rêve toujours de voyages. En 1963, il est le premier artiste israélien à se produire en URSS. De retour en Europe, il s’installe à nouveau à Paris. Sa carrière de soliste est lancée, il joue désormais avec les plus grand orchestres, les plus grands chefs et dans les plus grandes salles de concert. À partir de là, tout le monde voudra programmer Ivry Gitlis. Tout le monde, y compris en-dehors du classique.
Coqueluche des médias du monde entier
Le musicien est approché par Brian Jones, à la fin des années soixante. Le fondateur des Rolling Stones veut prendre des cours de violon, mais pas avec n’importe qui. Gitlis accepte. Et il participe, en 1968, au Rock and Roll Circus, le show filmé du groupe britannique. Sur les bandes, jamais diffusées, on voit même le violoniste jouer aux côtés de John Lennon et Yoko Ono. Sourire en coin, comme interpellé par la prestation de la chanteuse japonaise avant-gardiste.
Toute sa vie, Ivry Gitlis aura eu à cœur de conquérir de nouveaux publics. Pas seulement les spectateurs des grandes salles de concert. Le musicien est de plus en plus médiatisé, à partir des années soixante-dix. Il participe notamment au Grand échiquier de Jacques Chancel, et est invité à l’une des émissions de Guy Lux, avec Sheila et Claude François, durant laquelle il a joué un mouvement de concerto de Bach. Gitlis joue même avec Michel Legrand, Barbara, ou encore Michel Berger. Preuve s'il en fallait qu’il sait s’adapter à tous les styles. Il popularise la musique classique, démocratise le violon, et loue les créations de nombreux compositeurs contemporains, dont Bruno Maderna et Iannis Xenakis.
En 40 ans, Ivry Gitlis apparaît sur grand écran. François Truffaut le fait jouer dans L’Histoire d’Adèle H, en 1975. Six ans plus tard, Gitlis tourne avec le Commissaire Maigret, interprétant un clochard violoniste. En 2003, cette fois-ci dans son propre rôle, il apparaît dans Sansa, du compositeur et réalisateur Sigfried. On le verra aussi dans La Septième cible de Claude Pinoteau ; Les Cachetonneurs de Denis Dercourt et Des gens qui s'embrassent de Danièle Thompson.
Un artiste attachant et plein de ressources
Entre les tournées, les concerts, et les enregistrements, l’agenda d’Ivry Gitlis est resté très longtemps très rempli. L’artiste va tout de même créer et diriger son propre festival de musique, à Vence. Ivry Gitlis cherche la liberté. Il s’offre alors cet espace de création et de diffusion, dans lequel il s’essaye à des collaborations, autant avec Léo Ferré qu’avec la pianiste Martha Argerich.
Depuis plus de 50 ans, le violoniste israélien vouait une relation privilégiée avec son amie Martha Argerich. Aussi forte que celle qu’il avait avec son Stradivarius, le fameux Sancy de 1713 qui l’accompagne depuis 1964. En 2013, il avouait au Figaro : « Martha est une magicienne : jouer avec elle, c’est comme jouer avec la vie. Sans elle, le piano n'existerait pas. »
Pour tous les artistes qui lui ont été contemporains, Gitlis était une source d’inspiration. Grâce à sa liberté et à sa personnalité unique, entre pédagogie bienveillante et humour de showman, « il donnait confiance dans la possibilité de briser des systèmes », d’après Emmanuel Hondré, le directeur du département concerts de la Philharmonie, qui lui avait rendu hommage lors d’une soirée en janvier 2019. À l’époque, Emmanuel Hondré ajoutait : « Gitlis a besoin des musiciens, comme les musiciens ont besoin de lui. »
Amoureux du jazz, de la pop, de la musique contemporaine, autant qu’il était de la musique classique, il devient en 2008 parrain de l’association « inspiration(s) ». Son but : promouvoir la musique et rendre le classique accessible à tous. Même aux gamins de petites villes de Palestine, dont les rêves d’enfance exercent la fascination du monde entier, pendant plus de 90 ans.