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Publié le 18 avril dans L'Express
Quelque 250 enquêteurs, 117 tomes de procédure, 10 000 procès-verbaux, deux procès devant la cour d'assises spéciale, dont l'un qui trouvera son dénouement ce jeudi, à l'issue de presque quatre semaines d'audience. Le procès en appel d'Abdelkader Merah est hors normes à bien des égards.
Le frère du tueur de Toulouse, qui est soupçonné d'avoir été la tête pensante du projet mortifère de Mohamed Merah, faisant sept victimes en mars 2012 à Toulouse, est de nouveau jugé depuis le 24 avril pour "association de malfaiteurs terroristes" et "complicité" par la cour d'assises spéciale de Paris. Condamné en première instance à 20 ans de prison, il avait été acquitté du chef de complicité des crimes de son frère. Un verdict qui avait déclenché l'appel du parquet général.
Le travail de cette cour spéciale uniquement composée de magistrats, partie délibérer ce jeudi en milieu de matinée, devra se concentrer sur leur intime conviction, en l'absence de preuves matérielles. Mardi, l'avocat général a requis, comme en première instance, la réclusion criminelle à perpétuité.
L'Express revient sur un mois d'un déroutant procès.
Le 8 mars, Jonathan et Brian, deux témoins de la tuerie perpétrée dans l'école juive Ozar Hatorah à Toulouse, sont venus raconter l'insoutenable à la barre. Il est presque 8 heures ce 19 mars 2012. Jonathan Sandler, 30 ans, et ses deux fils Arié et Gabriel, 5 et 3 ans, attendent devant l'école.
Brian, qui a alors 15 ans, accompagne deux autres camarades chargés de veiller sur la fille du directeur, Myriam, 8 ans, que l'on doit venir chercher. Jonathan, 17 ans, assiste à la prière des morts dans la synagogue de l'établissement. Merah gare son scooter devant l'école et tire les premiers coups de feu.
"J'ai ressenti comme un coup de 'taser', ça m'a électrocuté tout le corps". "La balle, explosive, a tout détruit sur son passage, touché les poumons, l'estomac", raconte Brian, qui a été grièvement blessé. Myriam, Arié, Gabriel et Jonathan Sandler ont été achevés par les balles du tueur en quelques minutes.
Décrit tout au long des débats comme le "mentor" du djihadiste toulousain abattu le 22 mars 2017, Abdelkader Merah, 36 ans, a constamment affiché un visage impassible. Lorsque le tribunal lui a donné la parole pour la dernière fois mercredi, il n'a lâché qu'une phrase. "Je voudrais simplement dire que je n'ai rien à voir avec l'action perpétrée par mon frère". Pas un regard pour les victimes et leurs proches de la part de ce trentenaire à la barbe fournie, aux cheveux en catogan et aux grosses lunettes, qui se faisait appeler "Ben Laden" dans son quartier.
Le délinquant toulousain Fettah Malki, condamné en première instance à 14 ans de réclusion criminelle pour avoir fourni un gilet pare-balles et un pistolet-mitrailleur à Mohamed Merah, a lui aussi été bref. "Je voudrais exprimer mes regrets d'avoir donné une arme à Mohamed et avoir une pensée pour les victimes. Pour le reste, je ne suis pas un terroriste", a dit le second accusé, qui s'est toujours présenté comme un "commercial" de la cité, ancré dans la délinquance mais totalement étranger à la religion.
Il a perdu un fils, Jonathan, et deux petits-fils, Arié et Gabriel, le 19 mars 2012, dans la fusillade de l'école Ozar Hatorah. Comme en première instance, chaque jour, Samuel Sandler s'est assis sur le banc des parties civiles pour revivre le cauchemar.
"Je viendrai chaque jour. Si je n'étais pas là, je trahirais mes enfants", avait promis avant le procès ce vieil homme au Parisien. Au micro de France Info, il avait aussi décrit "l'angoisse d'à nouveau revoir les témoins de cette scène et d'entendre à nouveau le déroulé des derniers instants de mes enfants. Jonathan a donné sa vie pour protéger ses enfants, pour protéger l'école."
Samuel Sandler, auteur du livre Souviens-toi de nos enfants, n'a jamais prononcé le nom de Mohamed Merah, qu'il ne nomme que par le terme d'assassin. Il a également toujours refusé de soutenir le regard d'Abdelkader Merah.
"Un seau de haine" en guise d'éducation. C'est ainsi que l'aîné de la fratrie, Abdelghani Merah, a décrit sa jeunesse le 27 mars à la barre. L'homme de 42 ans, cité comme témoin, est considéré par le reste de la famille comme un "traître", car il a dénoncé l'attitude et les agissements des siens après les tueries.
Il a raconté le père, petit entrepreneur algérien, qui frappe la mère, démissionnaire, et les trois garçons qui s'enfoncent dans la délinquance, de foyers en séjours en prison. Un jour, Abdelkader, avec qui les relations se sont dégradées très largement, lui a asséné "sept coups de couteau".
Son de cloche diamétralement opposé chez la mère, qui décrit une "une famille comme tout le monde" le 4 avril face à la cour. L'une de ses filles a pourtant rejoint la Syrie et deux de ses fils se sont radicalisés. L'aîné, Abdelghani, est quant à lui devenu à ses yeux un "éclaté de la tête", selon les mots employés par Zoulikha Aziri ce jour-là. "J'ai un enfant mort. Un autre en prison. Et moi je suis seule comme une clocharde maintenant...", s'est-elle aussi lamentée.
"Le nom de Merah doit être associé à une sanction ferme car ce nom est brandi encore aujourd'hui comme une fierté par des candidats au djihad", a lancé mardi l'avocat général Frédéric Bernardo. Selon lui, les crimes du cadet frère, Mohamed, ont été rendus possibles par une "communauté d'esprit, de projet et d'action" entre les deux frères.
Comme en 2017, l'accusation a requis une peine de prison à perpétuité, assortie d'une période de sûreté de 22 ans. En première instance, la cour avait finalement jugé que "s'il partageait bien les motivations" du djihadiste, "aucun élément" ne montrait qu'Abdelkader Merah "connaissait les objectifs visés et les crimes commis par son frère".
Sans surprise et comme en première instance, mercredi la défense de l'accusé a plaidé l'acquittement pour les faits de complicité. Elle a fustigé un dossier "sans preuves" et une accusation minée par le poison de l'émotion nourrissant "une volonté délibérée de rendre la justice au pied du mur de l'exemple". Elle a également mis au défi la cour de trouver la "moindre preuve" de complicité des sept assassinats commis pas son frère Mohamed en mars 2012.
"Si l'on condamne un homme sans preuve, fût-il un islamiste radical de la pire espèce, fût-il un monstre ou un animal de la pire inhumanité ? Alors, je vous l'affirme, ce sont les terroristes qui auront gagné", a aussi clamé Eric Dupond-Moretti, défenseur de l'accusé.