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Publié le 4 mai dans Le Figaro
Elles ont pour nom Makhraj 7 (Sortie 7), Umm Haroun (La Mère d’Aaron ) ou El Nehayeh (La Fin). Dans les pays du Golfe et en Égypte, des séries télé de ramadan provoquent la controverse, en mettant en scène dans un élan inédit les Juifs et Israël. Les propos sont à front renversé. En Arabie saoudite, un royaume qui n’entretient officiellement aucun lien avec l’État hébreu, des tabous se lèvent. Il est question des injustices subies par des familles juives dans le Koweït des années quarante, ou du débat sur les conditions d’une possible détente avec Israël. En Égypte, une nation en «paix froide» avec son voisin depuis la signature d’un traité bilatéral voici plus de quarante ans, la destruction de l’«État sioniste» et le «retour des Juifs en Europe» sert de point de départ à un récit de science-fiction.
La Fin part du principe que l’État hébreu a disparu : Le premier épisode présente une scène dans une école: un professeur raconte à ses élèves «la guerre de libération de Jérusalem». Elle a éclaté avant 2048, à la suite de la désintégration des États-Unis, «le principal soutien de l’État sioniste». La confrontation s’est achevée rapidement par une victoire des pays arabes. «La plupart des Juifs d’Israël se sont enfuis et sont retournés dans leur pays d’origine en Europe», explique l’enseignant, en oubliant qu’une importante partie des Israéliens est issue des communautés juives d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Ce que rappelle, en revanche, la série saoudienne Umm Haroun : Elle s’ouvre par un monologue en hébreu. «Avant que nos pas ne disparaissent et que nos vies ne tombent dans l’oubli, nous serons perdus dans le temps. Nous sommes les Juifs du Golfe qui sont nés dans les pays du Golfe», dit en préambule la fameuse actrice koweïtienne Hayat al-Fahd, 71 ans, qui interprète le rôle principal, celui de la mère d’Aaron. Sage-femme, elle finit par quitter les rives du Koweït pour s’installer au bord de la Méditerranée, en Israël. C’en est trop pour le Hamas et pour de nombreux internautes. «Umm Haroun rappelle la première ministre Golda Meir qui était une criminelle de guerre», s’énerve le mouvement islamo-nationaliste.
Une deuxième série diffusée en Arabie saoudite, Sortie 7, présente un personnage - interprété par l’acteur Rashid al-Shamrani -, qui prône une amélioration des liens avec Israël et accuse les Palestiniens de s’en prendre au royaume saoudien «malgré tout ce que Ryad a fait pour eux». Le moment clé, où tout bascule, est un dialogue entre al-Shamrani et un fonctionnaire du gouvernement. «Nous sommes allés à la guerre pour la Palestine, nous avons arrêté le pétrole pour la Palestine, et quand leur administration a été fondée, nous avons payé leurs dépenses et leurs salaires à un moment où nous avions besoin de cet argent. Et maintenant, ils s’en prennent à l’Arabie saoudite», lance al-Shamrani. «Les doigts de vos mains ne sont pas tous les mêmes. Tout comme il y a des Palestiniens qui ont été expulsés en 1948 et qui ont subi des massacres, il y a des Palestiniens qui ont vendu leur terre à des Juifs. Ce sont des gens comme les autres. Il y a des bons et des mauvais…». «Mais c’est Israël qui plante la haine entre les Palestiniens et le reste des Arabes», répond son interlocuteur.
La discussion a déclenché une vague de colère dans les rangs des activistes propalestiniens qui ont dénoncé une tentative de dresser la société arabe contre leur cause. L’Arabie saoudite et les pays du Golfe se sont rapprochés d’Israël, en développant une coopération sécuritaire occulte, au nom de la lutte contre l’ennemi commun, le régime chiite iranien. De son côté, l’Égypte travaille étroitement avec les services israéliens pour contrecarrer les attaques des groupes djihadistes dans le Sinaï, mais craint que le plan Trump, qui préconise l’annexion de territoires en Cisjordanie occupée, consolide le pouvoir du Hamas, proche des Frères musulmans, à Gaza.