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Publié le 28 août dans France Inter
Michel Renaud est l’une des douze victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo. Ce 7 janvier 2015, il était l'invité de Cabu, qui l'avait rencontré deux mois plus tôt à Clermont-Ferrand, au festival Rendez-vous du carnet de voyage, qu’avait créé Michel Renaud, grand voyageur humaniste. Michel Renaud avait 69 ans.
Le goût du voyage, Michel Renaud l’a presque toujours eu, lui qui était né à Paris en 1945 mais avait grandi dans le port de Nantes jusqu’à l’âge de six ans. Enfant à la santé un peu fragile, il est d’abord élevé par ses grands-parents, au bord de l’océan, pour y respirer le bon air marin. Son grand-père travaille dans un port, au Havre. Lui raconte les bateaux, quand il rentre. Michel passe son enfance à rêver devant les navires qui prennent le large. Et il commence alors sa première collection de vignettes d’animaux et de plantes. Il remplit des classeurs d’images, avec des images du monde entier, qu’il découpe. Ne tarde pas à lire “des dizaines de livres sur les aventures et les animaux d’Afrique”, raconte Gala Romanov Renaud, dans le livre-hommage qu’elle a consacré à son mari. Un livre intitulé “Michel Renaud, besoin du monde”. Elle y raconte la fascination du jeune Michel pour l’exposition universelle de 1958, à Bruxelles. Il a alors treize ans, visite l’expo avec ses parents et prend des multitudes de photos, se passionne pour les stands les plus visités, ceux des États-Unis et de l’Union Soviétique. À cette époque, Michel Renaud est retourné vivre à Paris avec ses parents, un père qui travaillait chez Bull, sa mère employée de banque. Il est élève au lycée Condorcet, à Paris et découvre les livres de Joseph Kessel, écrivain grand reporter qui le fascine et devient l’un de ses modèles.
Michel Renaud, lors d'un de ses voyages en Asie centrale. "Il adorait prendre des photos", nous confie sa veuve, en nous montrant ce cliché / DR
Michel Renaud se lance dans des études de journalisme, lui qui n’a pas toujours été très studieux. Il réussit brillamment le concours du prestigieux Centre de Formation des Journalistes, à Paris. Et il devient journaliste, pour voyager, surtout. Il a aussi en poche une licence de sociologie. Il écrit ses premiers articles au Figaro, signe ses premiers reportages radio à Europe 1. C’est mai 1968, et Michel Renaud rêve de découvrir le monde autant que de le changer. Il rêve d’un monde plus juste. Voyage dès qu’il peut, son carnet de reporter ou son micro dans le sac. Il devient aussi père. Un fils naît d’une première union.
Puis en 1982, Michel Renaud est tenté par une nouvelle aventure, loin des rédactions parisiennes, dans la capitale de l’Auvergne, à Clermont-Ferrand, au pied des monts Dôme. C’est le maire socialiste de la ville, Roger Quilliot, qui vient de passer une petite annonce, à la recherche d’un directeur de la communication. Michel Renaud, homme de gauche convaincu depuis toujours, fonce au pays des volcans et s’installe à la mairie de Clermont-Ferrand. Michel Renaud a alors 37 ans, et devient donc le conseiller du maire dans sa communication, dans une période très houleuse dans la ville du pneu Michelin, où les plans sociaux se succèdent. Il lance un journal municipal, “Demain Clermont”, récompensé plusieurs fois au titre de meilleur magazine des collectivités. Michel Renaud est resté près de trente ans à la mairie. Après la mort de Roger Quilliot, il devient un bras droit de Serge Godard, qui le choisit comme directeur de cabinet adjoint, en 1997. L’actuel maire socialiste de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi, a fait sa connaissance dans ces années-là. À l’époque, Olivier Bianchi est un tout jeune élu, nommé adjoint à la Culture. Il se souvient de ses premières rencontres avec Michel Renaud, “un homme riche dans l’échange, qui avait dans son bureau une immense carte géographique avec des pays du monde accrochée au mur”. Quand les gens venaient le voir pour parler boulot, assez vite, la conversation dérivait, et “on parlait de son jardin secret, ses deux grandes passions, les voyages et la bande dessinée.”
C’est en voyageant que Michel Renaud a rencontré Gala, sa femme adorée, qui ne se bat plus aujourd’hui que pour une chose : que justice soit rendue pour l’homme de sa vie. La première fois qu’ils se sont vus, c’était en URSS, en pleine perestroïka, avant la chute du rideau de fer. Gala Romanov n’a alors que 23 ans. Elle est Biélorusse, enseigne le français dans la ville de Gomel, jumelée à Clermont-Ferrand. Michel Renaud débarque à Gomel pour une visite. Il a 43 ans et tombe amoureux au premier regard. De retour en France, Michel écrit à Gala. Ils s’écrivent pendant plusieurs années, des dizaines de lettres d’amour. Puis Gala Romanov vient habiter en Auvergne, devient officiellement son épouse, une petite fille naît de leur union en 2004. Elle aime d’abord chez son mari son “regard profond”, son “énergie”, ses “combats pour tenir le monde éveillé”. Ensemble, ils continuent à voyager. D’abord en Crimée, puis au Burkina Faso, en Ouzbékistan, en Syrie, au Vietnam, un ou deux voyages par an, une quarantaine de pays au total. Voyages à deux d’abord, puis à trois, avec leur fillette, qu’ils n’ont pas hésité à emmener vivre pendant des mois, sous une yourte au Kirghizistan, alors qu’elle n’était encore qu’un bébé.
Gala Romanov Renaud explique que “c’est l’actualité, des événements ou la lecture d’un livre qui provoquaient l’envie de partir, de voir ce qui se passait ailleurs. Michel était très attentif aux pulsations du monde.” Michel Renaud aimait les pays en ébullition, sans être l’un de ces baroudeurs attirés par un danger. Il voulait surtout “aller voir de ses propres yeux ce que les événements allaient changer ou avaient changé pour les gens d’un pays en contestation, ce que les gens ressentaient et espéraient”, explique sa veuve, dans leur appartement clermontois, empli d’objets rapportés du monde entier. Elle précise que “Michel n’aimait pas voyager comme un touriste, il n’aimait pas ce mot ; pour lui, voyager c’était être voyageur, être en contact avec les gens, écouter les autres, leur poser des questions”. L’autre l’attirait plus que tout. Et les pays aux frontières presque jamais franchies. Ainsi, il avait réussi à voyager en Corée du Nord. Dans un album-photos, on le voit en train de visiter une maternité à Pyongyang. D’autres clichés le montrent avec des Touaregs, au Sahara ; il défendait leur cause. Sur d’autres photos-souvenirs, il est au Yémen, dans le salon d’une famille, ou dans un troquet local, en train de partager un thé avec des Yéménites enturbannés. Michel Renaud avait revêtu leur coiffe, il sourit, visiblement heureux. “Michel Renaud avait une curiosité insatiable pour les autres peuples, les autres cultures, il aimait les autres”, résume Olivier Bianchi, qui se souvient aussi d’un “conteur extraordinaire”.
Le conteur racontait donc ses pérégrinations dans des carnets. L’amour immodéré des carnets de voyages l’a même conduit à créer un festival, avec quatre amis, tous amoureux des écrivains-voyageurs, telle leur héroïne Ella Maillart, l’écrivaine suisse qui avait pour devise “Lire ne vaut rien, il faut aller voir”. La devise donne son nom à l’association que crée Michel Renaud dans les années 90, avec sa bande de copains globe-trotters passionnés. Parmi eux, Pierrette Viel, aujourd’hui présidente de l’association Ifav (Il Faut Aller Voir). Elle a retrouvé les mots que Michel avait écrits, à l’occasion de leur premier festival de carnettistes, le Rendez-vous du carnet de voyage. “Il y a le voyage où l’on passe, anonyme et voyeur. Ce voyage dont seule la satisfaction est de se rassasier d’images, de sons ou d’odeurs, d’émotions fugaces ou de frissons aventureux. Et puis, il y a le regard porté sur le monde. Le voyage n’est plus alors seulement un aller-retour dans l’ailleurs. Il demande au voyageur un véritable exercice d’analyse et de mémoire. Et si le carnet de voyage était cet exercice même ?”, demandait Michel Renaud.
Ce festival du Rendez-Vous du carnet de voyage est devenu un événement incontournable à Clermont-Ferrand. Michel Renaud, sollicité dans d’autres villes, “s’est d’ailleurs toujours battu, fidèlement, pour que ce rendez-vous reste dans la capitale de l’Auvergne, et il avait un don pour attirer les carnettistes les plus réputés”, souligne Olivier Bianchi. C’est que Michel Renaud était aussi un homme très fidèle à ses engagements et ses convictions. Un homme coquet aussi, qui adorait porter des chaussures de couleur pourpre. Un homme à la “voix radiophonique, douce et profonde”, se souvient Pierrette Viel. Elle ajoute que leur festival se voulait “très convivial, à l’image de Michel”. Ce festival des carnettistes-voyageurs “était le reflet de Michel”, assure Gala Romanov Renaud. C’est lors du festival de novembre 2014 que Michel Renaud avait rencontré Cabu, invité d’honneur de l’édition. En retour, Cabu avait invité Michel Renaud à venir assister à la conférence de rédaction de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. Ce fut le dernier voyage de Michel Renaud. Sa fille, aujourd’hui âgée de 15 ans, et qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son père, dit de lui qu’il restera “le meilleur papa du monde”. Et que quand elle sera grande, comme lui, elle voyagera un carnet à la main.