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Publié le 6 janvier dans Libération
Porte de Vincennes à Paris, le 9 janvier 2015. Un peu après 13 heures, Amedy Coulibaly fait irruption dans la supérette Hyper Cacher. A quelques heures du début du shabbat, la clientèle est nombreuse. Le délinquant multirécidiviste converti à l’islam, déjà recherché par la police pour le meurtre, la veille à Montrouge (Hauts-de-Seine), d’une policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, abat immédiatement trois personnes (une quatrième sera tuée ultérieurement) et en prend 17 autres en otage. À l’Hyper Cacher, le siège dure quatre heures tandis qu’au même moment, les tueurs de Charlie, Chérif et Saïd Kouachi, sont repliés et cernés par la police dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële. A 17h12, l’assaut est donné Porte de Vincennes. Alors qu’il ouvre le feu sur la police, Amedy Coulibaly, 32 ans, est abattu.
«Même si le temps a passé, l’attentat de l’Hyper Cacher demeure un traumatisme énorme pour la communauté juive en France, dit à Libération l’historien Marc Knobel, directeur des études au Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Le fait de s’en prendre à une épicerie cacher l’atteignait dans sa vie quotidienne.» Et cet attentat a accentué un climat d’insécurité déjà très prégnant.
Car l’attaque de 2015 est survenue dans un contexte difficile et douloureux pour les milieux juifs français. Depuis le début des années 2000, les actes antisémites se sont multipliés, le plus souvent en lien avec le conflit israélo-palestinien.
Mais surtout, le 19 mars 2012, il y a eu la tuerie de l’école juive Ozar Hatorah à Toulouse, par laquelle Mohammed Merah a clos sa série meurtrière. Marc Knobel : «Je n’avais jamais imaginé qu’en France, des enfants juifs puissent être tués de cette manière.» Ce sentiment est unanimement partagé au sein d’une communauté en première ligne face au terrorisme islamiste, qui s’en prendra plus tard à l’ensemble de la nation.
Au moment du drame de Toulouse, les milieux juifs déplorent un manque de solidarité de la société française. «Ces drames demeurent une souffrance, explique le grand rabbin de France, Haïm Korsia. Mais le sentiment d’indifférence a été dépassé en 2015. Qu’ont voulu nos adversaires ? Nous déchirer, nous diviser. La réponse a été collective et à ce moment-là, nous avons tous marché ensemble.» Pour autant, la communauté juive ne se fait pas d’illusions. «En 2015, ce qui a soulevé cette immense mobilisation, c’est l’attentat commis contre Charlie Hebdo, explique le sociologue Smaïn Laacher, spécialiste des questions d’identité. L’attaque contre l’Hyper Cacher se situait dans une continuité, une même temporalité.»
Cinq ans plus tard, la tension et le climat d’insécurité ne sont pas retombés. Loin de là. Il y a eu les meurtres de Sarah Halimi en 2017 et de Mireille Knoll en 2018. «Ce sont nos grands-mères qui ont été assassinées», appuie Marc Knobel. Malgré tout, le grand rabbin de France veut, lui, croire à la capacité de résilience de sa communauté. «Toutes les haines sont insupportables et nous avons besoin d’une réponse collective forte. Il faut nous appuyer sur cette force que nous avons trouvée en 2015 pour nous relever ensemble», dit Haïm Korsia.
Pourtant depuis vingt ans, presque un juif sur dix a quitté l’Hexagone pour Israël. Mais ces dernières années, les départs sont moins nombreux (2 600 en 2018 contre 8 000 en 2014 et 2015). «Ce que nous voyons, c’est une sorte d’alya [le retour en Israël] intérieure, explique Marc Knobel. À condition d’en avoir les moyens financiers, les familles quittent des villes de Seine-Saint-Denis ou des quartiers de l’Est parisien pour se regrouper à Boulogne ou dans le XVIIe arrondissement. Des restaurants ferment à tel endroit pour rouvrir ailleurs.» Des déplacements de proximité qui ont pour but de déserter des zones considérées comme trop risquées.