Le terme « populisme », qui nous concerne donc tous, est une catégorie trompeuse, utilisée tellement à tort et à travers qu’elle n’a pas de pertinence et d’ailleurs pas de définition scientifique satisfaisante. Elle sert de paravent : tout le monde comprend qu’on me demande de parler aujourd’hui de l’extrême- droite, qu’elle soit traditionnelle (NPD allemand), en voie de mutation, (FN français) ou droite radicale occidentaliste anti-musulmane (Geert Wilders). Il faut craindre ces extrémismes- là non seulement parce qu’ils seraient antisémites ou pourraient le devenir, mais parce qu’ils veulent abolir la démocratie représentative au profit de la démocratie directe, qui signifie la dictature de l’opinion, la versatilité des passions donc le gouvernement à courte vue et le primat des affects sur le dessein politique.
L’usage inconsidéré et disqualifiant du mot « populiste » sert désormais à délégitimer toute manifestation de la volonté des peuples d’être dirigés par des gouvernements élus et d’orienter librement leur avenir. Or quand les gouvernements agissent de la sorte et évacuent le peuple, ils font courir aux juifs deux dangers aussi grands que le populisme. D’abord celui d’une réaction contre les « élites » dont les juifs peuvent être désignés comme le noyau dirigeant, le « centre secret ». Ensuite celui qui résulte d’une perte de substance de l’Etat, qui se produit lorsque celui-ci cesse d’exercer sa fonction de puissance. Quand un gouvernement pose le postulat qu’on ne peut que gérer et non changer la réalité, l’Etat cesse de faire de la politique. Cependant celle-ci ne disparaît pas, parce que c’est la politique qui fait l’Etat et non l’inverse: elle migre simplement ailleurs et ce sont des pouvoirs non- étatiques qui la prennent en charge. Situation néfaste pour les juifs parce que l’Etat politique est seul à pouvoir les protéger et les inclure alors que, mis en compétition avec des acteurs non- étatiques dans une jungle qui échappe à l’exercice par l’Etat de sa puissance, ils sont livrés à la concurrence sans loi des communautés, des égoïsmes économiques ou même des instances internationales qui disent le droit à la place des Nations.
Les juifs en tant que citoyens sont évidemment libres de leurs choix militants et électoraux. Certains appartiennent à des formations d’extrême- droite, rien n’est nouveau en ce domaine et rien ne changera. Ceux qui suivent cette voie se réclament le plus souvent de la droite mais l’hédonisme post- moderne de Wilders et des partis xénophobes scandinaves est-il vraiment de droite ? Et vraiment conforme aux enseignements du judaïsme ? La théorie du choc des civilisations défend-elle les valeurs de la droite et les intérêts des juifs contre l’islamisme, ou est-elle le vecteur de la suprématie américaine sur un monde globalisé, indifférencié, n’obéissant qu’à la technique et au marché ? Pour conclure, le plus problématique pour les juifs n’est-il pas le caractère radicalement moderne des populismes d’extrême- droite, au sens où ceux-ci étant le produit d’un monde où la Tradition, la transcendance et la Loi ne forment plus les mentalités, le fait juif ne lui est pas compréhensible ?