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Comment un mouvement comme Boko Haram prospère-t-il au Nigeria ?
P. Cyriaque Mounkoro : Boko Haram est un petit groupe de musulmans opposés à l’éducation « occidentale » : à leurs yeux, la femme est faite pour le mariage, et l’éducation - sauf coranique - est interdite. Au fond, ils œuvrent à l’islamisation du Nigeria à tout prix et par la force. Ce qui sera difficile dans un pays de 100 millions d’habitants, marqué par une grande diversité religieuse... Il faut bien voir qu’il ne s’agit pas d’un projet commun des musulmans du Nigeria, seulement d’une poignée d’entre eux.
Pour paraphraser Jean de La Fontaine qui disait qu’il n’y avait « pas de sot métier, mais seulement sottes gens », je dirais qu’il n’y a pas de religion violente, mais seulement des gens violents. En l’occurrence, leur succès est le résultat des pratiques abusives et des manipulations à la fois des responsables religieux et politiques dans cette région. Les deux sont étroitement liés, imbriqués même.
S’y ajoute le facteur ethnique : au Nigeria, comme dans beaucoup de pays africains, appartenance religieuse et ethnie sont étroitement liées. Ainsi, on associe, abusivement d’ailleurs, haoussa, l’ethnie du Nord, à musulman. Depuis onze ans que je vis dans ce pays, je constate combien ces trois facteurs - politique, religion et appartenance ethnique - se combinent pour expliquer la violence et l’insécurité.
Les tensions sont-elles anciennes ou datent-elles de la naissance de ce mouvement au début des années 2000 ?
Non, elles sont anciennes, mais au fur et à mesure des évolutions mondiales, de l’arrivée de nouvelles générations, c’est de pire en pire. Les jeunes, dans le Nord, sont pauvres et très peu éduqués : ils ne sont jamais sortis de leur village et ne connaissent que la loi coranique. Ils ne voient pas que leurs leaders religieux comme politiques sèment la pagaille uniquement pour servir leurs intérêts personnels. La population n’est pas formée à réfléchir.
Le chômage joue également un rôle : la majorité des jeunes n’ont pas de travail et l’éducation n’est accessible qu’à un petit nombre d’entre eux. Quand un jeune a faim et soif, il est très facile de lui dire « fais-ci, fais ça »...
Quelle est la réaction des autorités ?
Leur silence, jusqu’à ces derniers jours, était assez décourageant. Tous les jours, la population manifeste dans les rues, dans toutes les villes du pays, pour demander la sécurité, la fin des kidnappings... Dans les églises, comme dans les mosquées, nous prions pour la paix. Le 1er mai, des milliers de femmes musulmanes et chrétiennes ont défilé ensemble dans les rues d’Ibadan, c’était très beau !
J’espère que les pressions de la France, des États-Unis vont aider à réveiller les consciences et faire bouger les choses. La pression de la population et celle de la communauté internationale sont complémentaires : ensemble, elles peuvent pousser le gouvernement à sortir de sa passivité... Lire la suite.