Tribune
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Publié le 20 Juin 2012

« Eïn breira »

Billet du 11 juin 2006 de Jean SARFATI, journaliste à Radio Kol Hachalom Grenoble

 

Peu de médias l’ont souligné : la semaine qui vient de s’écouler a marqué le 45ème anniversaire de la Guerre des Six Jours. Les Palestiniens ont  trouvé un nom, encore un, « la Naksa » pour ces jours  qui ébranlèrent le monde. On commémore aujourd’hui les anniversaires de Claude François - Cloclo – ou de Johnny  ou de n’importe quoi, mais on semble ignorer en France le souvenir de cette guerre qui marqua  tant nos vies. 

45 ans donc, plus de la moitié d’une vie entière ! 45 ans qu’on vit avec ! Je me souviens de ces instants comme si c’était hier.  Le 5 juin 1967 au matin, j’allumai la radio. Alors que je n’y croyais presque plus, après un très long intermède, la guerre venait d’éclater aux aurores. Israël annonçait que l’Egypte avait pris l’initiative des combats. Les Arabes, dans des communiqués triomphants, assuraient que les raffineries de pétrole de Haïfa étaient détruites, que les chars syriens étaient descendus des hauteurs du Golan et occupaient plusieurs villages et kibboutzim frontaliers. L’incertitude la plus totale régnait le premier jour. Je cessais d’aller au lycée et séchais les cours. Avec mes camarades juifs parisiens, nous vivions dans la rue, participions à des meetings, des manifestations. Nous achetions tous les journaux, écoutions la radio, anxieux, à la recherche du moindre indice. A cause de la censure de Tsahal, rares étaient les nouvelles provenant d’Israël. La majeure partie des informations aux premiers instants de la guerre provenait de la propagande arabe survoltée. Les Israéliens se taisaient et ce silence cachait sans doute de lourds secrets... ou de graves défaites ! Puis peu à peu des rumeurs s’élevèrent qui disaient que l’aviation égyptienne avait été complètement détruite dès le premier jour. Nous nous sentîmes soulagés par cette information. Les volontaires, les donneurs de sang, affluèrent de plus en plus nombreux à l’ambassade d’Israël. Julien Besançon, le célèbre journaliste d’Europe 1, faisait parvenir des nouvelles de plus en plus précises. En fait Israël venait de déclencher une guerre préventive à l’acte de guerre que constituait selon lui le blocus d’Eilat, le port donnant sur la mer Rouge et par une ruse suprême avait annoncé que les Egyptiens avaient attaqué les premiers.  La force israélienne se déployait dans tout le Sinaï. El-Arish était prise, Gaza encerclée. Le roi Hussein de Jordanie, malgré les avertissements répétés de l’Etat juif, venait de se joindre à l’Egypte et à la Syrie. Tsahal avait pénétré dans la vieille ville de Jérusalem. Les troupes israéliennes atteignaient le Mur occidental et le Mont du Temple. Le grand rabbin Chlomo Goren faisait sonner le schofar, la trompe rituelle à la face de l’univers. Jérusalem était reconquise après deux mille ans de prières et d’espérances. Le peuple juif croyait vivre des temps messianiques. C’était la débandade au Golan. Les Syriens s’enfuyaient à toutes jambes. En six jours, soit le 10 juin 1967, l’affaire était réglée. Les retombées de cette guerre ne se sont pas fait attendre. Le gouvernement français et la gauche française crièrent au scandale. Des images de réfugiés palestiniens franchissant le Jourdain apparurent sur les écrans de télévision.

 

Dans le métro, dans la rue, des Arabes clamaient leur douleur, leur désespoir d’avoir été humiliés de la sorte par les Juifs. Les Egyptiens avaient perdu des dizaines de milliers d’hommes terrassés, pour une grande part,  par la soif dans les grandes étendues désertiques. Pour la première fois depuis sa naissance, Israël était présenté comme un Goliath agressant de sa main de fer des pays arabes sous-développés et bavards.

 

Par la suite, les trois « non » des pays arabes réunis à  Khartoum ne présageaient rien de bon pour les évènements futurs. Il importe de rappeler ces trois « non » :

 

- Pas de négociation avec Israël ;

- Pas de paix avec Israël ;

- Pas de reconnaissance d’Israël et aucune discussion concernant les territoires palestiniens.

 

Le cancer de la guerre proche orientale était dès lors bien installé pour des générations sans doute…

 

On disait à l’époque, « eïn breira » en hébreu, ce qui signifie qu’on n’avait pas d’autre choix… que d’attaquer Nasser. Ce qu’on ne savait peut-être pas encore, c’était que la haine –en Français- la haine,  brillerait encore et encore.

 

45 ans après, les choses ont peu bougé et Israël est devenu, malgré tous ses efforts et ses réussites, le Juif des Nations, toujours en quête de reconnaissance par ses voisins égarés dans un ressentiment qui parait éternel.

 

Et je ne peux aujourd’hui m’empêcher de me demander si dans le fond cette guerre qu’on croyait miraculeuse fut pour Israël une chance ou plutôt une tragédie fatale dont on mesurait mal à l’époque les redoutables engrenages…

 

Jean Sarfati