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Introduction, par Marc Knobel, Directeur des Etudes du CRIF :
Lorsque le CRIF a décidé de publier un recueil de textes en hommage au 70e anniversaire du CRIF, nous nous demandions comment nous devrions procéder. Nous avons alors contacter quelques intellectuels dont nous connaissons la valeur et le talent. Il fallait les solliciter en leur présentant ce projet et en les invitant à nous proposer des textes. Nous pourrions ainsi composer un recueil, comprenant une trentaine d’articles. Mais, pour que ce projet prenne corps et qu’il ait du sens, il fallait mettre à l’aise nos auteurs. Nous avions bien une trame et des sujets : soixante-dix années de vie juive ou l’attachement des Juifs de France aux valeurs de la République ; les différentes composantes de la vie juive en France ; l’antisémitisme ; la mémoire de l’affaire Dreyfus, la Shoah ; le lien avec Israël, le conflit israélo-palestinien et ses répercussions sur les Juifs de France. Nos auteurs pourraient parler de culture, de l’apport des Juifs à la philosophie, à la musique, à la peinture, etc. À moins qu’ils ne préfèrent aborder d’autres sujets : leur judaïsme et ce que légueront les parents à leurs enfants ; les caractéristiques de la pratique religieuse ; ou encore ce qu’il faut penser de l’éventuel retour au judaïsme pour les uns ou de l’éventuel éloignement pour les autres.
Finalement, certaines des personnalités qui ont fait bon accueil à notre demande ont traité du sujet qui leur tenait le plus à cœur et, au final, chacun a composé sa propre petite musique, comme une partition personnelle. L’histoire du CRIF a inspiré plusieurs auteurs, l’un a voulu évoquer le traumatisme de la Shoah, un autre sa mémoire, l’un a parlé d’Émile Zola, un autre de l’attachement des Juifs d’Algérie et du choix de la France, beaucoup s’inquiètent de l’antisémitisme et du racisme. Mais ce qui ressort de l’ensemble, c’est cette incroyable vitalité : celle des Juifs de France qui portent l’étendard des valeurs républicaines.
Nous reproduisons ci-après le premier article de ce recueil : la tribune d’Eliette Abécassis, écrivain : « Il y a quelques années ». Nous publierons par la suite l’ensemble des tribunes de ce recueil.
Mais ce qui ressort de l’ensemble, c’est cette incroyable vitalité, cette merveilleuse histoire des Juifs de France et d’un Conseil représentatif qui, à tous les instants, les accompagne, les représente, parle en leur nom– quelles que soient les circonstances, agréables ou non.
Nous reproduisons ci-après la tribune d’Eliette Abécassis.
Marc Knobel, Directeur des Etudes du CRIF
Il y a quelques années encore, je sortais dans la rue avec une étoile de David autour du cou. Il y a quelques années encore, je n’avais pas peur d’emmener mes enfants à l’école. Il y a quelques années, il était possible d’enseigner la Shoah dans tous les collèges et les lycées.
J’osais aborder le thème d’Israël avec mes amis non-juifs.
J’avais des amis non-juifs.
Je ne pensais pas sérieusement à partir en Israël, même si j’y pensais toujours.
Il y a quelques années, j’ai donné à ma fille un prénom français. Je l’ai inscrite à l’école publique, sans penser qu’un jour je devrais l’en retirer par peur qu’on ne la frappe parce qu’elle était juive.
Je ne voyais pas apparaître des caricatures dignes des années Trente sur Internet.
Je ne trouvais pas non plus quantité de sites répertoriant les noms des personnalités juives en France.
Je ne rencontrais pas sur Google, You Tube ou Facebook des propos antisémites.
Et dans le bar d’un grand hôtel, je n’avais pas entendu les délires d’un vieux fou, qui n’était ni vieux ni fou.
Il y a quelques années, je lisais Le Monde. Je regardais les nouvelles à la télé. Pour moi, la Shoah était incompréhensible. Je me disais : plus jamais ça ! Et surtout, je me demandais : pourquoi les Juifs ne sont-ils pas partis à temps d’Allemagne, alors que tant de signes inquiétants auraient dû les alerter ?
Il y a quelques années, je ne me savais pas en exil sur ma terre natale.
La France était mon pays, ma culture, ma façon d’être et de penser.
Je pensais que nos dirigeants nous protégeaient. Je ne croyais pas entendre un jour une remarque sur les Juifs et l’argent dans une émission de télé grand public.
Je participais à un congrès des étudiants juifs, intitulé « J’ai deux amours », où étaient présents les représentants de tous les partis politiques.
Je ne rencontrais pas autant de Français sur les plages israéliennes. Et l’on pouvait encore acheter un appartement à Tel-Aviv.
Il y a quelques années, je partais en vacances dans les pays arabes. J’aimais aller sur la trace de mes ancêtres, les Sépharades.
Ceux qui furent massacrés à Grenade en 1066 par une foule musulmane qui haïssait les Juifs qui, disaient-ils, étaient riches et puissants.
Ceux qui, victimes de l’Inquisition catholique, furent obligés de se cacher ou de partir.
Il y a quelques années, je ne pensais pas devenir marrane. Il y a quelques années encore, je ne pensais pas devoir cacher mon étoile de David lorsque je sortais dans la rue.
Il y a quelques années malgré tout, j’avais foi dans l’homme.
Il y a quelques années, Ilan n’était pas mort.
Myriam, Gabriel, Arié et Jonathan étaient encore en vie.
Il y a quelques années, il était encore possible d’être juif en France.