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Dès le 1er octobre 2000 (au lendemain de la mort de Mohamed Al Dura, début de la seconde Intifada, donc), de nombreuses soupapes sont tombées. Rappelons ici que des manifestations palestino-islamo-gauchistes se sont multipliées sur le sol français, avec des gens qui hurlaient, outre « Allah ou-akbar ! », entourés de drapeaux du Hezbollah ou de pancartes djihadistes du Hamas (avec adjonction de portraits de Saddam Hussein en mars 2003) : « À mort les Juifs », « À mort Israël ! ». Ces manifestations étaient devenues de plus en plus clairement l’expression de toutes les variantes de l’« antisionisme » ambiant, celui qui se diffuse dans l’opinion française depuis une trentaine d’années, selon un mouvement de radicalisation croissante (1).
Ce que nous voyons aujourd’hui est donc la conjonction de plusieurs mouvements :
-Dans la France des années 2000, l'hostilité à l'endroit des juifs s'est largement développée dans les milieux issus de l'immigration qui vivent dans les quartiers sensibles et difficiles. Ces jeunes s'identifient quelquefois aux Palestiniens. Lorsqu’ils s’en prennent aux juifs, ils pensent « venger » les palestiniens.
-Par ailleurs, dans les « quartiers sensibles », une sorte de jalousie sociale est alimentée par divers stéréotypes, dont celui du « Juif riche », celui du « Juif puissant » dans la finance, la politique, les médias. D’où le raisonnement-type qu’on rencontre dans certains entretiens semi-directifs avec des « jeunes » issus de l’immigration et marginalisés : Les Juifs sont accusés de prendre toutes les places et d’occuper tous les postes désirables. S’ajoute l’accusation de la « solidarité juive » : « Ils se tiennent entre eux », disent ou pensent-ils. Ils voient les Juifs comme une espèce de franc-maçonnerie ethnique, pratiquant le népotisme à tous les niveaux, dans tous les domaines. « Ils sont partout », « Ils ont le pouvoir », « Ils nous manipulent » (2).
-De fait, dans des zones de non-droit, des bandes de voyous -racistes et antisémites- ont semé la terreur. Dans certaines de ces zones et quelquefois au cœur des villes, les citoyens juifs ont eu peur de circuler et les parents juifs se sont inquiétés pour leurs enfants.
L’autre facteur sans doute concerne l’identification à la cause palestinienne dans la communauté musulmane. On a une gêne à en parler en France, embarrassés à l’idée de dénoncer les actes antisémites sous prétexte que certains auraient pu être commis par des musulmans. En ce qui nous concerne, nous pensons que, quand un individu agit au nom d’une religion ou d’une identité pour porter préjudice à un autre individu en raison de sa religion, le public doit en être informé. Ceci étant, nous tenons à éviter des amalgames car il serait injuste de faire porter à l’ensemble de la communauté arabo-musulmane les violences perpétrées par des « brebis galeuses ». Elles ont d’ailleurs été influencées par des discours et des prêches, dans des réunions privées, certaines mosquées fondamentalistes. Ces prêcheurs de haine essayent d’entraîner les jeunes déstructurés et paumés.
-L’extrême gauche a elle aussi alimenté toutes sortes de confusions. Rappelons ici que dans les années 70, les comités Palestine sont créés dans le but de soutenir la lutte « révolutionnaire » du peuple palestinien contre le sionisme et l'impérialisme avec à sa tête l'impérialisme américain et d'appuyer activement le mouvement de libération de la Palestine. Les activités de soutien au peuple palestinien se multiplient donc après septembre 1970 et les C.P. soutenaient le mouvement de libération palestinien dans sa volonté de détruire l'Etat d'Israël en tant « qu'Etat aux structures théocratiques, racistes, colonialistes, capitalistes et fascistes, et de construire une Palestine laïque démocratique et socialiste ». Puis, la cause palestinienne est sortie du ghetto des manifestations groupusculaires et est devenue, pour reprendre l’expression du philosophe Pierre-André Taguieff, la nouvelle « cause prolétarienne ». Elle fut ainsi transformée en cheval de bataille des « exclus » et des banlieues. Comment s’étonner dans ces conditions que certains aient cru comprendre à ce sujet que : Juifs = Israéliens = nazis ?
-Cependant, il n’est pas faux d’affirmer que ce conflit sert aussi d'alibi a l'expression de l'antisémitisme dans des milieux plus privilégies culturellement et socialement. Bref, le conflit israélo-palestinien est quelque part un (faux) prétexte et il fait sûrement sauter et durablement le tabou de l'antisémitisme.
-L’extrême droite est toujours aussi nocive. Or, autour des réseaux de Dieudonné, d’Alain Soral et de groupuscules identitaires, nous trouvons plusieurs passerelles d’extrême droite et individus gravitant autour d’elle et qui sont animés par une haine féroce des Juifs. Quant au FN, certains ténors de ce parti, autour de Jean-Marie Le Pen, ont distillé pendant des années le mépris et la haine à l’encontre des Juifs de France.
C’est ainsi que pendant des années, des Synagogues sont devenues des cibles, les fidèles craignaient le pire, des parents avaient peur d’envoyer leurs enfants dans des écoles ou que leurs enfants portent une kippa sur la tête. Et pendant quelques années (2000-2003) l’on a officialisé par un silence coupable des gestes sans retenues, violents et irréparables commis par de jeunes nervis. Dans ces conditions, comment s’étonner que les cris de « Mort aux Juifs » ou de « Juif, la France n’est pas à toi » soient scandés à Paris ?
Notes :
1) Voir à ce sujet : Pierre-André Taguieff, Néo pacifisme, judéophobie et mythe du complot, Les Études du CRIF, juillet 2003.
2) Interview de Pierre-André Taguieff par Clémence Boulouque, le 23 mai 2013.