- English
- Français
« Est-ce que la croyance spirituelle influence le processus médical ? Point de vue d’un médecin ». Étrange question !
C’est une bien étrange question que celle-là. Surtout en cette période où certains tentent d’imposer une vision de la laïcité gommant les différences, au profit d’une approche égalitariste. Dans ce contexte, spiritualités et médecine ne devraient pas interférer.
Pour aborder ce sujet délicat, c’est la position du médecin que j’adopterai, et plus modestement je reviendrai sur mon expérience personnelle, sans volonté aucune de généralisation. Juste un témoignage.
À première vue comment ne pas abonder dans ce sens quand il s’agit de la santé. Normalement nous apprenons notre métier sur les bancs de la Fac et à l’hôpital, et à aucun moment D.ieu n’intervient dans le processus diagnostique ni dans le traitement. Le principe premier de l’action du médecin est « Primum non nocere », ce qui veut dire en latin, en tout premier lieu ne pas nuire. Qui plus est, nous avons une obligation de neutralité. Nous devons traiter tout patient quel qu’il soit et quelles que soient nos opinions ou croyances.
Cependant l’on ne peut ignorer que l’homme est un animal culturel et que l’on ne peut faire deux avec la culture dans laquelle nous avons baigné depuis l’enfance. Même si dans notre pratique professionnelle, notre action est déconnectée a priori de ces considérations, le parcours qui nous a amenés à choisir cette profession, l’angle sous lequel nous envisageons les hypothèses ou l’accompagnement du malade, sont empreints de cette culture. Plusieurs études, dont certaines auxquelles j’ai participé, montrent que les médecins, tout comme leurs patients, participent de ce phénomène. Le système de santé, les modalités de prise en charge, les guides de bonnes pratiques professionnelles sont le reflet du milieu qui les a vus naître. Aussi pour une bonne compréhension des choses, on ne peut et l’on ne doit pas méconnaître comment les choses sont advenues.
Le judaïsme, les Juifs, l’étude et la médecine,
Les mères juives ont une conception toute particulière du métier que doit exercer« leurs fils » : Médecin ou avocat… Force est de constater que je n’ai pas échappé à la règle !
Dans le judaïsme l’étude, la médecine et les sciences tiennent une place prépondérante. Ainsi dans la prière du vendredi soir qui reprend « Bereshit » (La Genèse), il est dit que « le monde a été créé à Faire ». Et pour faire, il faut comprendre et agir, ou l’inverse, agir puis comprendre. C’est un principe qui définit la place de l’homme dans la création. Homme en hébreu se dit « Adam » qui vient de la terre « Adama » et que l’on peut décomposer ainsi « Adam » « Ma » : l’Homme Quoi ou l’Homme questionnant. L’interrogation, ou la posture questionnante, sont au centre du judaïsme. Même sans toujours trouver de réponse, questionner sans cesse et abolir ainsi les limites du possible. La question redéfinit la vision que l’on a du monde. Elle ouvre des perspectives nouvelles, alors que quelque part, la réponse en mettant un point final pourrait clore notre horizon. En effet, il y a un aspect réducteur de la réponse qui impose des limites contenues dans la réponse elle-même. Sauf si l’on adopte une posture qui fait naître d’une question ou d’une réponse, d’autres interrogations. Ce positionnement fait surgir une multiplicité de possibles, nous rapprochant ainsi de la notion d’infini, et donc de l’Eternel. Un des noms du divin est « Shalem », la complétude. Et dans le cas présent la multiplicité des interprétations possibles.
Ensuite, il y un ange qui s’appelle Raphaël dont la mission est double : soigner et guérir. Il nous rappelle que le monde dans lequel l’on vit est « bien », comme le dit l’Eternel, non parce qu’il est parfait, mais parce qu’il est inachevé et qu’ainsi il laisse une place à l’Homme pour agir. Dans cette perspective, les fléaux, les épidémies, les maladies se doivent d’être combattues. L’homme doit donc comprendre et agir sur ce monde pour les combattre, à la manière du rôle attribué à Raphaël, et en cela « parachever » la création. On retrouve cette idée dans la mystique juive, la « Kabale », dite Lourianique qui définit le concept de « Tsim Tsum » ou retrait. D.ieu aurait opéré un retrait d’une partie de lui-même, pour faire apparaître un espace où il n’est pas dans sa complétude, afin que l’Humanité puisse exister. Et le rôle de l’Homme serait d’agir dans ce monde et sur ce monde afin que par son action, il participe au projet Divin de création et obtienne ainsi ce que l’on appelle la « rédemption ». C’est un partenariat avec le créateur.
Ensuite dans la pratique de l’étude juive et de l'herméneutique, c’est-à-dire l’interprétation, il existe deux principes fondamentaux : l’intertextualité qui permet d’interpréter un passage d’un texte avec les éléments d’un autre. Et l’intersubjectivité, on ne peut avoir raison tout seul, il faut convaincre les autres du bien-fondé de ses positions, par l’argumentation et non la force. Elaborer à plusieurs en quelque sorte.
Et au sommet de tout cet édifice, il y a un Maître. Celui qui vous apprend et qui vous guide. Par sa position, il peut vous dire ce que d’autres n’oseraient pas. Il est celui qui par son action vous impose à votre tour de transmettre. La transmission est ainsi un impératif. Par le questionnement, le Maître nous apprend à transmettre, non pas uniquement le rite, la forme, mais du sens, le mouvement. Ce que l’on retrouve dans l’interprétation impropre que l’on a donnée au peuple juif de « peuple élu », pour « Am segoula ». Un des sens est « peuple qui s’adapte » qui proviendrait de la voyelle appelée « segol » formée de trois points qui quel que soit la façon dont on la prend retombe toujours sur sa base. Apprendre le mouvement et le transmettre est complexe. C’est la raison, pour laquelle nous avons besoin de repères, ce sont nos Maîtres ! Ainsi, l’on ne dit pas, « il est écrit dans le Talmud », mais « Rabbi Méïr a dit », ou « tel Maître qui l’avait lui-même appris d’un autre »… Etablissant une longue chaine de filiation.
Médecin et Juif?
Ce Colloque, m’a obligé à m’interroger sur mon parcours et sur le type de médecin que je suis, mes rapports avec les patients, et l’influence de ma culture sur ma pratique.
Au début de tout, il y a eu mon Maître, le Pr Jacques Michel Robert, Professeur de Génétique Médicale à Lyon. Sans lui je ne serai pas ce que je suis. C’était un humaniste. Il m’a donné la passion de la génétique. Il m’a guidé et dit les mots qu’il fallait quand il fallait. Je lui dois tant, lui qui nous a quittés il y a presque 20 ans. Je me rappelle quand j’étais étudiant, il avait le pire des horaires qui soit, le vendredi après-midi. Et pourtant l’amphi était plein ! Il commençait toujours ses cours par une histoire que personne ne voulait manquer. Et à l’intercours, il répondait à toutes les sollicitations. Et si l’on n’avait pas fini, il nous recevait dans son bureau pour poursuivre la discussion. Je pense à lui souvent, et lorsque j’ai un choix difficile à faire, je me demande souvent comment il m’aurait conseillé. Son enseignement est encore bien vivant à travers ses élèves.
Le questionnement est au centre de mon parcours, puisque j’ai d’abord été chercheur, avant d’avoir une pratique clinique. Je voulais comprendre l’origine des maladies héréditaires et du cancer en particulier, pour que ce double fardeau ne soit plus une fatalité. Faire en sorte de contribuer à la compréhension des mécanismes à l’origine de cette maladie et que cette connaissance serve ensuite les patients en développant des stratégies adaptées de dépistage et de prévention, voire développer de nouveaux traitements. C’était il y près de 30 ans. Depuis, le travail opéré par la poignée de scientifiques que nous étions alors a permis d’atteindre une partie de ces objectifs. Nous sommes passés de concepts abstraits, à une application concrète au service des patients, tout en poursuivant notre questionnement permanent pour améliorer nos pratiques.
L’intertextualité : Dans mon exercice, je m’aperçois que j’ai toujours œuvré sur deux champs en même temps. Un marginal sécant, comme dirait Cozier. J’ai travaillé à la fois en Génétique et en cancérologie. Cette double approche a donné naissance à ce qu’on appelle désormais l’Oncogénétique, c’est-à-dire la Génétique du Cancer. C’est mon Maître qui m’a encouragé à défricher ce champ encore peu développé, à une époque où l’on pensait que les gènes n’avaient rien à voir avec l’apparition des tumeurs. Lors des premiers congrès internationaux sur le sujet, nous étions peu nombreux, quelques pionniers qui avions tout à faire. Et en premier lieu, convaincre la communauté scientifique du bien-fondé de notre démarche, avant même les premiers résultats. Prouver que « nous ne nuisions pas » aux patients en revenant par nos enquêtes sur leur histoire familiale parsemée de mauvais souvenirs et réveiller ainsi en eux quelque chose qu’ils auraient préféré oublier. On sait désormais qu’il n’en est rien et qu’il n’y a rien de plus anxiogène que de ne pas savoir. Même sans proposer de solutions immédiatement applicables, nous faisions œuvre utile en donnant une explication à tous ces malheurs, en nous occupant d’eux et en les intégrant dans une certaine mesure dans la normalité, car ils n’étaient pas seuls à souffrir de ces maux.
L’intersubjectivité : J’ai toujours ressenti la nécessité de travailler en équipe, pour convaincre du bien-fondé de cette approche bien sûr, mais surtout pour faire bénéficier les patients de la compétence de chacun dans son domaine particulier, ce qu’on appelle aujourd’hui la pluridisciplinarité. Dès le début, j’ai tout mis en œuvre pour convaincre de la nécessité de créer des structures alliant consultations, laboratoires et registres, ayant à la fois une activité de soin et de recherche dans le domaine de la génétique du cancer. Le tout chapeauté par une organisation nationale. Le concept a convaincu la Ligue Nationale Contre Cancer qui a financé la première structure de ce type. Puis le monde de la génétique, de la cancérologie et La Fédération Nationale des Centre de Lutte Contre le Cancer. C’est ainsi qu’est né le Groupe Génétique et Cancer, avec des médecins et des scientifiques d’horizons différents. Grâce à ce soutien institutionnel, cela a donné corps à cette ambition de pouvoir prendre en charge des patients qui jusqu’à présent ne pouvaient se tourner vers personne. Je ne serai jamais assez reconnaissant à tous ceux qui nous ont aidés et qui ont cru en nous.
La transmission. Tous ces efforts n’auraient aucun sens si le travail accompli ne devait pas se transmettre. C’est la raison pour laquelle dès que cela a été possible j’ai fait bénéficier mes collègues de mon humble expérience pour qu’ensemble nous puissions faire de l’oncogénétique. En effet, les membres d’une même famille sont souvent répartis sur tout le territoire français, voire à l’étranger. Il était donc indispensable de réaliser un maillage national. Puis, par la suite je suis devenu Professeur à la Faculté de Médecine ce qui a donné plus de lisibilité et de moyens, à cette action.
Laisser de la place aux patients. Dans mes rapports avec les patients, j’essaye d’appliquer ce qui m’a été transmis, et tout ce que j’ai appris au cours de ces années. Cela est loin d’être évident. J’ai compris progressivement, par des essais et par mes erreurs qu’il fallait laisser de la place aux patients et non pas leur imposer une check-list qui nous convienne, mais qui par sa rigidité les exclut, même si le système dans lequel nous évoluons est très contraignant. Sans cela, notre action n’est pas efficace. Nous devons également leur parler un langage qu’ils comprennent, afin qu’ils s’approprient le message, car ce que nous avons à leur dire est parfois très dur et très complexe. Il faut que s’installe un partenariat entre le « soignant et le soigné » afin qu’il devienne à son tour un messager et qu’il transmette les informations reçues aux membres de sa famille pour assurer une prise en charge médicale adaptée à leur niveau de risque.
De la théorie à la pratique !
En fait, le cycle de formation n’est vraiment achevé que si un jour on se trouve à notre tour patient, ou touché de près par la maladie ou par un évènement cruel, ce dont malheureusement se charge assez souvent la vie.
Les belles paroles, les raisonnements que l’on a savamment distillés durant nos consultations, peut-on se les approprier à notre tour ? Comme beaucoup d’entre nous, j’ai été confronté à de pénibles situations. Cela m’a beaucoup appris sur mes propres limites et sur l’apport de l’Autre. Je dois ajouter à cela un autre élément. Dans ma famille, je compte nombre de témoins directs d’une période de barbarie incommensurable. Malgré l’indicible, ils se sont reconstruit, même si on leur avait tout pris, et se sont donné un futur. Et rien ne peut être comparé à ce qu’ils ont vécu. De leur faiblesse, ils ont fait une force. C’est ce qu’on appelle la résilience.
Comment concilier tout ce que j’ai évoqué précédemment avec ces terribles faits ? C’est le « Livre de Job » qui m’a mis sur la voie. Il m’a permis de comprendre que l’on ne pouvait pas tout comprendre, et qu’il existait des questions sans réponse. Ce texte nous apprend que l’on vit dans un monde complexe et dur, où ne règne pas la juste rétribution au sens où les « bons », tels que nous le concevons à notre niveau, ne sont pas obligatoirement récompensés, et que les « méchants » ne sont pas automatiquement punis. C’est durant ces épreuves que nous intégrons le fait que nous avons beaucoup plus de questions que de réponses.
Après avoir pris conscience de cela, quelles options s’offrent à nous, baisser les bras ou continuer ? À l’exemple de mes ainés qui ont vécu des épreuves que j’espère n’avoir jamais à subir, il n’est d’autre choix que « de faire avec » et de poursuivre la route pour nous et pour les autres, afin de transmettre. Ce que je me suis efforcé à faire, pas toujours avec succès.
Le spécifique, un chemin vers l’universel ?
À y regarder de plus près, je m’aperçois que ce que je fais en tant que médecin et à travers ma spécificité juive, d’autres le font également à travers leurs propres particularités. C’est-à-dire aboutir au même but de prendre en charge le mieux possible nos patients et améliorer nos pratiques. C’est en cela que finalement nous nous rejoignons quel que soit notre parcours et le milieu dans lequel nous évoluons. C’est ainsi que le particulier tend vers l’universel. C’est comme un cercle dont tous les points de la circonférence aussi éloignés soient-ils, ont tous la même origine ou tendent tous vers le même objectif.
S’il fallait une autre preuve, le serment que nous prêtons après avoir obtenu le grade de « Docteur ». Cela peut-être le serment d’Hippocrate, quelle qu’en soit la version qui a évolué avec le temps et les cultures. Ou celui de Maïmonide, médecin juif, Rabbin, et philosophe. Je suis sûr qu’il en existe d’autres. Tous ont pour but d’élever le praticien au-dessus des querelles, et à travers son chemin, de soigner les maux du corps et de l’esprit de tout patient qui se présentera à lui.
« L’Autre souffre aussi. C’est un Autre moi-même. Je le reconnais à travers la pathologie qui me frappe également ». Cette phrase je l’ai entendu à l’IPC, autour du « Puits de Lumière » cette espace de recueillement pluriculturel où chacun peut s’élever à la transcendance quel que soit sa culture. Et le médecin est là pour contribuer à améliorer l’état de santé de tous. N’est-ce pas là un apprentissage et une mise en pratique du principe d’unité, sans pour autant gommer les différences ?
Pr Hagay Sobol
L’Espace Ethique Méditerranéen
Jeudi 21 février 2013
ETHIQUE MEDICALE ET RELIGIONS
«Docteur, croyez-vous que je vais guérir ?
L’apport de la spiritualité dans la guérison»
Renseignements : Tél : 04 91 38 44 26/27
Site : www.medethique.com
Inscription en ligne : http://evenement.medethique.com